Lexique des normandismes de Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1975 – Bulletin n° 46 – Page 37

 

Lexique des normandismes

Bernique ou bernicle : Interjection négative. Mme Bovary p. 551 : Lheureux est impitoyable devant le désespoir de Mme Bovary : « Oh ! C’est bien simple : Un jugement du tribunal, et puis la saisie… Bernique ! »

Boc : Voiture à chevaux ressemblant au tilbury. Mme Bovary p. 334 : « Le boc de Charles s’arrêta devant le perron du milieu… »

Bouchon (jouer au) : Jeu qui consiste à abattre avec un palet ou gros jeton de fer, un bouchon sur lequel est placé de l’argent, qui est l’enjeu de la partie. Se dit aussi « jouer à la galoche ». On dit pour qualifier une entreprise puérile ou l’action d’une personne niaise : « c’est jouer au bouchon avec des pains à cacheter ». Mme Bovary p. 317 : « Quand on était fatigué d’être assis, on allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon. »

Bouillerie : Bâtiment de la ferme où l’on distille l’eau-de-vie obtenue à partir de la pomme. Substantif venu du verbe bouidre (bouillir). Mme Bovary p. 355 : « Les maisons sont encloses de haies, au milieu de cours pleines de bâtiments épars, pressoirs, charretteries et bouilleries, disséminées sous le arbres touffus… »

Bourrée : Petit fagot de ronces, d’ajoncs épineux (vignot) lié avec une hart de bois vert ; on s’en sert pour chauffer le four à cuire le pain. (A. G. de Fresnay) Mme Bovary p. 375 : « Des bourrées, debout contre la clôture d’épines, entouraient un carré de laitues… »

Cavée : Chemin creux coupé dans une colline (A. G. de Fresnay) Bouvard et Pécuchet p. 731 : « Ils s’en reviennent par la cavée, sous une avenue de hêtres. »

Cautèle : Ruse, perfidie (Dubois). Définition parfaite de la personnalité normande. Mme Bovary p. 384 : « Lheureux, né gascon, mais devenu normand, doublait sa faconde méridionale de cautèle cauchoise ».

Chaircuiterie : Une édition primitive de Mme Bovary donne le terme ainsi orthographié p. 564 : « … Et dont les robustes normands s’emplissaient autrefois, croyant voir sur la table, à la lueur des torches jaunes, entre les brocs d’hypocras et les gigantesques chaircuiteries, des têtes de Sarrasins à dévorer ».

Cheminot : Mme Bovary p. 564 ; « … Petits pains en forme de turban que l’on mange pendant le carême avec du beurre salé : dernier échantillon des nourritures gothiques, qui remonte peut-être au siècle des croisades. »

Conséquent : Adjectif signifiant : Considérable, toujours employé avec des termes se rapportant à l’argent. Mme Bovary p. 540 : « Cela me fait de la peine, parole d’honneur, de vous voir vous dessaisir tout d’un coup d’une somme aussi conséquente que celle-là ». Dans la bouche d’un commerçant intéressé comme Lheureux, cet adjectif trouve véritablement sa place.

Crassineux : crassinage, crassiner : adjectif qualifiant une pluie fine et pénétrante tombant avec peu d’abondance. Mme Bovary p. 443 : Monsieur Binet, à la chasse aux canards trouve « le temps crassineux ».

Dissiper (se) : divertir son esprit, se changer les idées. Mme Bovary p. 310 : « Voilà le printemps bientôt, nous vous ferons tirer un lapin pour vous dissiper un peu. » Un Cœur Simple p. 603 : « Pour se dissiper, Félicité demanda la permission de recevoir son neveu Victor. »

S’écorer, écore : S’appuyer de toutes ses forces sur quelqu’un ou quelque chose afin de garder l’équilibre. Mme Bovary p. 452 : Hippolyte ayant un pied bot, « s’écorait » sur la jambe qui souffrait de cette infirmité.

Embricoler : passer à une vache ou à un cheval une sorte de bricole ou licol qui les empêche de brouter les arbres et surtout de manger les pommes dans les herbages (A. G. de Fresnay) Mme Bovary p. 374 : « Par le trou des haies, on apercevait dans les masures, quelques pourceaux sur un fumier ou des vaches embricolées, frottant leurs cornes contre le tronc des arbres. »

Enfle : Œdème, maladie du pis de la vache. Mme Bovary p. 394 : L’abbé Bourninisien est appelé par ses paroissiens pour soigner une vache atteinte de ce mal.

Forcir : Acquérir de la force (L. Dubois) Un Cœur Simple p. 598 : Mme Liébard trouve le jeune Paul « singulièrement forci ».

Galette : Sorte de crêpe de sarrasin. Un Cœur Simple p. 593 : « … Il lui paya du cidre, de la galette ; un foulard… »

Guête, guette, guetter : Du verbe guetter signifiant « regarder », se dit surtout aux enfants. (A. G. de Fresnay) Mme Bovary p. 408 : « Guête ! disait le paysan, on jurerait une petite fontaine qui coule !… »

Herbage : terrain planté en herbe et clos de haies ou « fossés » ; terrains secs mis en herbe par opposition aux prairies naturelles le plus souvent humides (A. G. de Fresnay) Mme Bovary p. 355 : « Au lieu d’améliorer les cultures, on s’y obstine encore aux herbages »

Locher : locher un pommier, le secouer quand il est petit afin d’en faire tomber les fruits (A. G. de Fresnay) Mme Bovary p. 408 : Justin se voit qualifié par son protecteur, M. Homais, « d’écureuil qui monte locher des noix à des hauteurs vertigineuses… »

Man : larve du hanneton, appelée aussi « chien-de-terre » Bouvard et Pécuchet p. 742 : « Bouvard imagina, pour détruire les mans, d’enfermer des poules dans une cage à roulettes,… »

Masure : herbage clos, planté et bâti, où se trouvent en pays de Caux l’habitation et le corps de ferme (A. G. de Fresnay) Mme Bovary p. 374 : « Par le trou des haies on apercevait dans les masures quelques pourceaux sur un fumier… »

Picot : dindon, de l’anglais peacock : paon, sans doute parce que le dindon fait la roue comme le paon (E. et A. Duméril) Mme Bovary p. 447 : le père Rouault écrit à ses enfants : « … La prochaine fois, par changement, je vous donnerai un coq, à moins que vous ne teniez de préférence aux picots… ». Nous notons que précédemment, le fermier emploie le mot dinde au masculin ; la confusion des genres est un phénomène linguistique normand.

Ravenelle : violier ou giroflée jaune ; de rave, parce que la feuille et les tiges de la ravenelle ont la saveur des raves. (L. Dubois) Mme Bovary p. 331 : « Madame Bovary retrouvait aux mêmes places, les digitales et les ravenelles, les bouquets d’orties… »

Vendue : Vente aux enchères ; Mme Bovary p. 553 : « Puis Lheureux la rappela, pour lui montrer trois aunes de guipure qu’il avait trouvées dernièrement dans une vendue ».

Vigneau, vignot : bois-jan, ajonc épineux employé pour chauffer le four ainsi que pour servir d’engrais et d’ameublissant de la terre au pied des jeunes pommiers. (A. G. de Fresnay) Mme Bovary p. 531 : « … L’hirondelle glissait entre des jardins où l’on apercevait, par une clairevoie, des statues, un vignot, des ifs… » Bouvard et Pécuchet p. 370 : « …D’un côté une tonnelle aboutissait à un vigneau ; » p. 732 : Bouvard et Pécuchet « allaient prendre le café sur le vigneau pour jouir du point de vue ».

Nous ne prétendons pas avoir répertorié tous les termes dialectaux contenus dans ces trois ouvrages de Flaubert. Cependant nous pensons avoir relevé les mots et expressions que l’on peut véritablement qualifier de « normandismes ».