Paul Le Poittevin, grand-père de Maupassant

Les Amis de Flaubert – Année 1976 – Bulletin n° 49 – Page 29

 

Paul Le Poittevin

Grand-père maternel de Guy de Maupassant

Les biographes de Guy de Maupassant ont négligé d’étudier ses ancêtres maternels, les Le Poittevin. Ils citent parfois Jean-Paul-François Le Poittevin, son grand-père, sans signaler sa réussite sociale et son origine cotentinaise, facile à découvrir, puisqu’il s’agit de visiter la concession Le Poittevin-Maupassant, dans le cimetière de La Neuville-Champ-d’Oisel, de faire disparaître la mousse emplissant le creux des lettres, et de lire sur la tombe de Paul Le Poittevin, son lieu de naissance, à Bricquebec, (Manche) en 1778. Il est regrettable qu’il ait été écrit et répété : Les Le Poittevin, « famille bourgeoise de Fécamp ».

Guy de Maupassant n’avait que dix ans lorsque ses parents vendirent les biens Le Poittevin qu’ils possédaient à Bricquebec, où le souvenir de sa famille disparaîtra rapidement, et lorsque, vingt ans plus tard, le conteur deviendra célèbre, Bricquebec ne se souviendra pas d’avoir donné le jour à son grand-père.

La Manche sera peu connue de l’écrivain qui ne la cite qu’épisodiquement, par exemple dans : le Horla ; Notre Cœur (Le Mont-Saint-Michel vu du jardin public d’Avranches) ; La légende du Mont-Saint-Michel ; (La Merveille lui sert de comparaison à plusieurs reprises dans Au soleil et La Vie errante) ; La Fenêtre (« une jolie fille de Granville, où toutes les femmes sont jolies ») ; Mon oncle Jules (embarquement pour Jersey de la famille Davranche à Granville) (1).

Sa naissance.

JeanPaul-François Le Poittevin vit le jour à Bricquebec, le 7 août 1778, de Georges-Ambroise Le Poittevin et de Jeanne Desperques. il fut baptisé le lendemain et nommé par Jean-Paul-François Desperques, prêtre, assisté de Dlle Anne Desperques, ses oncle et tante.

Son père, meunier du Moulin de Gonneville, mourut deux ans plus tard, et Jeanne des Perques fonda un nouveau foyer avec François Desquesnes.

Ses ancêtres paternels.

Les Le Poittevin, comme les Mouchel, leurs alliés à maintes reprises, étaient dès le XVe siècle fixés à Sauxemesnil (M. c. de Valognes) où ils ont laissé leur nom à deux villages de cette commune, les hameaux des Poittevins et des Mouchels. Avec Néhou et Vindefontaine, Sauxemesnil était un des trois centres potiers du Cotentin, où étaient fabriquées des poteries de terre utilitaires et décoratives comme les fontaines, les bénitiers, les encriers, etc. Sur vingt potiers, dont le nom est connu en 1781, six étaient des Le Poittevin et tous les autres des Mouchel. Dans cette paroisse subsista longtemps une endogamie très poussée et ces deux familles étaient si nombreuses qu’il était nécessaire de donner à ses différents rameaux des surnoms pour les reconnaître, tant dans la vie courante que dans les actes officiels.

Les Le Poittevin ont porté plus de cinquante « avernoms » (sobriquets), certains rappelant leur profession, tels Le Poittevin – Jean-Pot et Le Poittevin – Poterie.

Il peut être écrit des Le Poittevin, un argument avancé pour obtenir une dispense de consanguinité pour des Travers, potiers de Néhou, en 1691 : « Si on ne leurs donnoit une seigneurye (nom de terre ou autre nom) on ne pourrait les disserner les uns d’avec les aultres, mesme les uns dans les aultres, sinon par leur dicte seigneurye dans les roolles des tailles ».

Georges-Ambroise Le Poittevin naquit à Colomby (M. c. de Saint-Sauveur-le Vicomte), le 5 novembre 1737. À l’âge de trente ans, il devint fermier, avec son frère Louis, du moulin de Gonneville, à Bricquebec, pour la somme de 750 livres par an. La même année, il acheta pour 2.600 livres de terre située dans la paroisse voisine de Magneville (M. c. de Bricquebec), puis, en 1771, le tènement du Grand Angle, à Néhou (M. c. de Saint-Sauveur-le-Vicomte). L’année suivante, Il prit en fieffe, moyennant une rente foncière de 580 livres, la terre de Durécu, contenant 90 vergées de terre, située à Bricquebec et au Perques, à proximité du Moulin de Gonneville.

Confortablement installé, il épousa, en 1775, la fille du sieur de Montauval, Jeanne Françoise Desperques. L’année suivante, il se fit construire une maison par Nicolas Doguet, de Néhou.

C’est en sa terre de Durécu qu’il mourut le 16 janvier 1780. Son inventaire après décès de 27 feuillets fait état d’un mobilier, évalué à 3. 900 livres, que l’on pourrait considérer comme celui d’un bourgeois plus que d’un paysan puisqu’il comprend une tabatière garnie d’écaille, un violon et son archet, les bagues et joyaux de sa veuve.

Jeanne Desperques lui survécut jusqu’au 27 novembre 1810. De son second lit, elle eut trois enfants : un fils décédé à l’âge de 24 ans, en 1811 ; une fille, Geneviève-Rose Desquesnes mariée, en 1812, à Nicolas Duprey, mégissier à Bricquebec ; et Jeanne Desquesnes, mariée à Charles Lepigeon.

Jean Le Poittevin (père de Georges-Ambroise) naquit à Sauxemesnil (M. c. de Valognes), d’une famille de onze enfants. Hervé-Joseph Simon d’Arqueville, propriétaire de la terre de Bricquehoulle, à Colomby, fut plusieurs fois témoin et parrain des Le Poittevin. Thomas Le Poittevin, frère de Jean, fut fermier du sieur d’Arqueville de 1728 à 1742, et c’est probablement ce qui amena à Colomby plusieurs de ses frères et sœurs, où ils firent souche (2).

C’est à Colomby, où il était laboureur, que Jean Le Poittevin épousa, le 27 juin 1730, honnête fille Marie Viel, fille de Jean-François Viel et de Anne-Marie Diguet, originaire de cette paroisse, dotée de 6 livres de rente et de 300 livres de mobilier ; quant à l’époux, son père lui donnait, par avancement de succession, une maison et deux vergées et demi de terre, situées à Sauxemesnil.

Il demeurait à Sainte-Colombe (M. c. de Saint-Sauveur-le-Vicomte) quand, en 1749, il fieffa à son frère, Nicolas, une vergée et demie de terre, située au triage de la Fontaine du Viperray, à Sauxemesnil, qui lui revenait de sa succession paternelle.

Jean Le Poittevin fut inhumé le 4 août 1755, dans la nef de l’église de Colomby, ce qui, depuis que le Parlement avait augmenté considérablement le droit d’inhumation dans les édifices culturels, en 1721, constituait un critère social, quoiqu’il ne sût pas signer son nom.

Il fut le père de cinq enfants, parmi lesquels Georges-Ambroise, qui précède, et Jean-Nicolas (1735-1806), dont la descendance fournira plusieurs meuniers du moulin de Gonneville et se maintiendra aux Perques jusqu’au début de ce siècle.

Louis Le Poittevin (père de Jean) avait épousé à Sauxemesnil, le 26 novembre 1686, Catherine Mouchel, fille de Jean et de Noelle Le Biez, décédés. Par son contrat de mariage, reçu par les tabellions de Montaigu, le 3 du même mois, Catherine Mouchel apportait son trousseau, un rouet à filer et six brebis « qu’elle a tout gaygné de son bon ménage ». Robert, Nicolas, Gilles et Roger Mouchel, ses frères, lui constituèrent une rente totale de 60 sols à valoir sur sa succession paternelle, et ils ajoutèrent (sauf Nicolas qui refusa de verser sa quote-part) une somme de 30 livres « pour pot de vin ». Ses frères, sa sœur Guillemine et plusieurs parents, « pour la bonne amitié » qu’ils lui portent, complétèrent sa dot en lui offrant un coffre fermant à clef, deux assiettes et deux écuelles en étain commun, 30 sols et cinq brebis.

Louis appartenait à une famille d’au moins quatre enfants. Étienne Le Poittevin, son père, marié à Catherine Le Gay, avait donné une vergée de terre, par avancement de succession, à son second fils, Pierre, lors de son mariage avec Jacqueline Losmonée, en 1696. Si ses deux fils savaient signer, Étienne marquait d’une croix.

Étienne Le Poittevin vendit, en 1662, 7 livres de rente dotale à François, Jean et Denis Le Gay, ses beaux-frères. Il avait déposé son contrat de mariage devant tabellions l’année précédente. Catherine Le Gay était fille de Grégoire et de Marie Leconte. Une reconnaissance de rente, faite à son oncle, Jean Le Poittevin, en 1664, apprend qu’Étienne était fils de Louis et petit-fils de Thomas Le Poittevin, ce qui fait remonter l’ascendance Le Poittevin de Guy de Maupassant au XVIe siècle.

Ses ancêtres maternels

Tableau généalogique simplifié des Le Poittevin

I Thomas
II Louis
III Etienne
ép. vers 1661

Catherine Le Gay

IV Louis
ép. 1686

Catherine Mouchel

V Jean+ 1755

ép. 1730

Marie Viel

VI Georges-Ambroise
1737-1780

ép. 1775

Jeanne-Françoise Desperques

VII Jean-Paul-François1778-1850

ép. 1812

Marie-Anne-Victoire Thurin

VIII Simon-Paul-Alfred
1816-1848

ép. 1845
Aglaé-Julie –

Louise de Maupassant,

remariée en 1852

à Charles Cord’homme

Laure-Marie-Geneviève
1821-1903

ép. 1846

Gustave-François-Albert de Maupassant

1821-1899

Virginie
1830-1885

ép. 1850

Charles-Gustave d’Harnois de Blangues

XIX Paul-Louis1847-1909

ép. 1868

Lucie Ernoult

Guy1850-1893 Hervé1856-1889

ép. Marie-Thérèse Fanton d’Andon

Jeanne-Françoise-Geneviève Desperques portait le nom de sa paroisse, Les Perques (M. c. de Bricquebec), où sa famille est attestée, en 1588, par une donation de 77 sols de rente au trésor de l’église, faite par Jean et Guillaume Desperques, père et fils.

Les registres paroissiaux des Perques n’existant plus, nous n’avons pu dresser sa filiation. Nous savons seulement qu’elle avait un frère, l’abbé Desperques, et trois sœurs : Anne (1745-1810) épouse de Jean-Baptiste-François Hérouf, sieur de la Croutte : Madeleine (1750-1819), célibataire ; Françoise-Marguerite (1754-1816), épouse de Michel Martin, laboureur.

Charles-Antoine Desperques, sieur de Montauval, son père, mort avant 1770, avait épousé Madeleine Roger, décédée aux Perques le 20 février 1778. Le sieur de Montauval était le frère de Pierre-François Desperques, curé de Pierreville (M. c. des Pieux).

Les Roger étaient nombreux dans la région de Bricquebec et représentés dans toutes les classes sociales ; par exemple Me Jacques Roger, Sr de La Fontaine, vivait aux Perques, en 1689, et Jean-Baptiste Roger, Sr de La Blonderie, était bailli de Bricquebec, quand son fils, Jacques Roger, Sr du Varron, futur président de I’élection de Valognes, épousa, en 1739, Marie-Anne des Rosiers, fille d’un chirurgien et premier capitaine de la bourgeoisie de Valognes.

Une famille Roger, anoblie en 1470, vivait à St-Germain-le-Gaillard et à Grosville.

Le dernier curé des Perques, de l’Ancien régime, se nommait Jacques Roger, mais il n’est pas certain qu’il appartenait à la famille Roger de cette région, puisqu’il était originaire de Chênedollé (Calvados).

L‘Abbé Desperques (1747-1808), son oncle maternel et tuteur.

Paul Le Poittevin, orphelin de père à l’âge de deux ans, sa mère, bientôt remariée à François Desquesnes, sera élevé par son parrain et tuteur, l’abbé Jean-Paul-François Desquerques, qui lui avait donné ses prénoms.

L’abbé Desperques était né aux Perques, le 6 novembre 1747. Après des études au collège de Valognes, puis à Coutances, il fut ordonné prêtre dans la chapelle du Grand Séminaire de ce diocèse, par Mgr de Talaru de Chalmazel, le 19 septembre 1772, et entra dans la Congrégation des Eudistes. Il professa la philosophie au collège de Valognes en 1772 et 1773, fut nommé au Séminaire de Coutances, puis Supérieur au Séminaire de la Garlière, à St-Laurent-de-Cuves (M. C. de St-Pois), et de toutes les missions eudistes de Basse-Normandie, en 1782, et Supérieur des missions à Caen, en 1786. il redevint Supérieur de la Garlière puis retourna à Caen. En janvier 1789, pour des motifs inconnus, peut-être pour veiller davantage à l’éducation de son filleul, il quitta la Congrégation des Eudistes et prit la cure de Pierreville (M. c. des Pieux) que lui abandonnait Pierre-François Desperques, son oncle, moyennant 1. 000 livres de pension. Ce dernier avait succédé, en 1765, à Jean-Jacques Desperques, curé de Pierreville depuis 1737.

Dès son arrivée dans sa cure, il donna une mission qui fut très suivie. L’affluence de personnes était si grande que l’église ne pouvait les contenir et deux missionnaires prêchaient en même temps, l’un dans l’église, l’autre dans le cimetière.

Il refusa de prêter le serment à la Constitution et passa à Jersey, puis en Angleterre, à Southampton. Ses biens, situés au Vrétot et aux Perques, furent vendus par la Nation, en 1796. Après un exil de dix ans, ses anciens paroissiens vinrent le chercher en cortège depuis Valognes et fêtèrent son retour. Il ne demeura que quelques semaines parmi eux puisque ce prêtre, doué d’une vaste érudition, fut nommé à la cure de Notre-Dame de Saint-Lô, en avril 1803.

« Le grand nombre de prêtres assermentés qui se trouvaient en cette ville… rendait sa position fort difficile. Il y fut mal accueilli, eut d’abord à subir plusieurs avanies ; mais sa droiture, sa prudence et sa grande bonté ne tardèrent pas à lui concilier I’estime et l’affection même de ceux qui l’avaient le plus mal reçu » Un contemporain, Gabriel Houel, auteur d’une histoire de la ville, écrivait : « Il gouverna avec une prudence économique et la mort l’enleva trop tôt pour les biens de l’Église ». Il mourut le 30 avril 1808. Son portrait, conservé au presbytère de I’église Notre-Dame, a été peint par Lafosse, organiste.

L’abbé Desperques avait souhaité avoir pour successeur Jean-Charles Mabire, ancien chapelain de Louis XVI, attaché au service de Mesdames, tantes du roi. La lettre qu’écrivit l’évêque de Coutances à l’abbé Mabire témoigne de l’estime que portait le prélat à l’abbé Desperques : « La mort de M. le Curé de St-Lô laisse une place bien intéressante à remplir. Après avoir donné tous mes regrets à une perte aussi sensible pour moi qu’elle est affligeante pour tout le diocèse, je dois chercher à consoler cette église veuve en lui donnant pour pasteur un curé qui remplisse toutes les qualités que distinguaient M. Desperques et qui puisse continuer le bien qu’il a fait. Dans cette pensée, j’ai jeté les yeux sur vous pour vous dire : Tu es ille vir. Je suis d’autant plus satisfait de ce choix, qui a l’assentiment de tout mon Conseil, que je remplis par-là un désir qui avait occupé M. Desperques quelques instants avant sa mort… » L’abbé Mabire préféra demeurer curé de Grosville et l’abbé Houyvet fut nommé à St-Lô.

L’abbé Desperques avait fait une fondation de 12.000 F au profit du Grand Séminaire de Coutances, à charge de payer six quarts de pension à six sous-diacres ainsi désignés : deux par l’évêque, deux par le supérieur et les deux autres par la famille du donateur.

Son établissement à Rouen.

Le bourg de Bricquebec, bâti autour de son château médiévial, avait perdu, à la Révolution, son siège de bailliage et de haute-justice, qui concentrait là une petite noblesse et une bourgeoisie au service des Matignon, ses seigneurs. Ouverte aux affaires, mais aussi aux choses de l’esprit, cette société avait donné, comme au Canon, une fête des Rosières, en 1776, et elle compta un correspondant de l’Académie d’Arras. Au commencement du XIXe siècle, Bricquebec était un chef-lieu de canton de 4.000 habitants occupés, pour la plupart, à l’exploitation de la forêt, comme cloutiers, sabotiers, charbonniers, etc., avant qu’elle ne soit bientôt complètement saccagée par les défrichements.

Paul Le Poittevin ne fut pas retenu par le sol natal qui lui offrait peu de moyens de satisfaire ses goûts pour les grandes entreprises commerciales et il partit s’établir à Rouen. Il n’est pas impossible qu’il ait été introduit dans la capitale de la province par l’intermédiaire de Pierre Aubri de Grimouville, ancien greffier de l’amirauté de Rouen et des bailliages de Darnétal et d’Emendreville-lès-Rouen, devenu caissier de la manufacture des glaces de Tourlaville (M. c. d’Octeville) que son grand-oncle Desperques avait marié à une fille du seigneur de Pierreville, en 1779. Aurait-il connu, comme nous le supposons, Philippe Fontenilliat, négociant à Rouen, fondateur d’une filature de coton au Vast (M. c. de St-Pierre-Église) ? Cette usine, qui commença à marcher en 1803, prit une grande extension et occupa rapidement six cents ouvriers.

En 1807, Paul Le Poittevin est « contremaître » dans un établissement de teinture en rouges des Indes. Il ne tardera pas à s’établir à son compte en achetant une teinturerie à Darnétal, où d’autres Cotentinais, comme lui, venaient de s’établir, François et Hippolyte Jeanne, « artistes mécaniciens pour les machines hydrauliques », originaires de Turqueville (M. c. de Ste-Mère-Église).

Il géra si habilement son entreprise que sa fortune fut aussi rapide que brillante, puisqu’à 34 ans, au moment de son mariage, son capital était évalué à 127.925 F, dont 80.000 F « en marchandises et ustensiles propres aux fabriques ». L’orphelin du meunier de Gonneville avait bien réussi.

Son mariage en 1812.

Paul Le Poittevin épousa à Fécamp, le 24 septembre 1812 (et non en 1815) comme il est souvent écrit, Marie-Anne-Victoire Thurin, « réputée pour sa beauté », née à Fécamp en 1794, fille de Pierre-Simon Thurin, armateur, et de Victoire-Honorine Bérigny, décédée.

Mariés sous le régime dotal, leur contrat fut reçu par Me Rousselet, notaire à Fécamp, la veille du mariage. L’avoir de Mlle Thurin se composait de 4.341 F, lui revenant sur la succession de Louis-Abraham Bérigny, son aïeul ; de 418 livres de rente, de six maisons situées à Fécamp, de terres sises à St-Léonard près Fécamp, à Vattetot-sur-Mer, à Épreville et à Houquetot, et de 11.000 F que lui donnait son père, dont la moitié était fournie en mobilier : « soixante-douze chemises en toile, six en perkalle, douze jupes de dessous unies, six garnies, une douzaine de mouchoirs de poche, deux douzaines de paires de bas de coton, une douzaine de paires de bas de soye, quatre robes d’indienne, six robes blanches, une robe levantine, une robe de taffetas, une redingote levantine, une robe de douze serresteste, quinze fichus garnis, schals de laine et soye, schals de nuit, douze serreteste, quinze fichus garnis, schals de laine et soie, schals de nuit, une montre à boitte d’or, un peigne en argent doré et un lit garni ».

Victoire Thurin retrouva à Rouen une ancienne camarade du pensionnat de Honfleur, Caroline Fleuriot, qui, en cette même année 1812, venait d’épouser le docteur Achille-Cléophas Flaubert. Une solide amitié lia les deux familles : le docteur Flaubert sera le parrain d’Alfred Le Poittevin, en 1816, et Paul Le Poittevin nommera le futur romancier, Gustave Flaubert, en 1821.

Parmi les relations de la famille, il convient de mentionner le peintre Pouchet, qui fit le portrait du frère de Mme Le Poittevin. (Était-il parent du célèbre naturaliste Félix-Archimède Pouchet, qui enseignera les sciences naturelles à Gustave Flaubert ?). Le peintre Hippolyte Bellangé, auteur d’un portrait d’Achille Flaubert, frère de Gustave, Conservateur du Musée de Rouen, signera le contrat de mariage des enfants Le Poittevin.

Le Manufacturier.

Paul Le Poittevin débuta dans les affaires au moment du blocus continental qui repliait le pays sur lui-même, encourageant les inventions nouvelles, mais aussi produisant une hausse énorme sur les cotons. La production du coton, à Rouen, diminua des deux tiers en deux ans. Les fabricants restreignaient leurs achats et les filateurs leurs travaux. Seule, l’industrie des indiennes, s’accommodant des produits de fabrication normande, évita la crise.

L’année qui suivit son mariage, il devint propriétaire, pour 40.000 F, d’une « usine à usage d’indienne » située à Rouen, au faubourg St-Hilaire, quartier de la Pannevert.

En 1820, il acheta pour 34.000 F un moulin à alizari, à St-Léger-du-Bourg-Denis, à l’emplacement duquel il fit bâtir une filature de coton. De plus, il prit en location une filature appartenant aux demoiselles de Belbeuf.

Comme pour tous les industriels rouennais, la Révolution de 1830 ne fut pas sans alarmer Le Poittevin : en septembre, des manifestants saccagèrent des usines à Déville et menacèrent de pendaison un fabricant d’indiennes. La population de Darnétal, où Le Poittevin avait des fabriques, se révolta et se porta avec faulx et fourches contre la garde nationale, la cavalerie et un bataillon de ligne, venus réprimer l’émeute, qu’il fallut enlever à la charge. Les ouvriers réclamaient une réduction d’horaires et une amélioration de leurs salaires, à un moment où la situation se prêtait mal à leur donner satisfaction, en cette période de stagnation qui voyait fermer des fabriques et débaucher plusieurs centaines d’ouvriers.

La prospérité industrielle ne tarda pas à s’affirmer de nouveau, jusqu’à la crise de 1847. L’industrie cotonnière prit une grande expansion et il fallut faire venir à Rouen des ouvriers du Nord de la France pour renforcer les équipes locales.

Paul Le Poittevin profita de la stabilité monétaire pour acheter des rentes et aussi des terres.

Du chef de son épouse, héritière de son aïeul Bérigny, Paul Le Poittevin encaissa 6.921 F sur la vente de « denrées coloniales » et 16.266 F sur le navire le Mercure, vendu à la Martinique.

En 1841, Paul Le Poittevin devint actionnaire pour un douzième des entrepôts de sel Perrot, à Fécamp, dont sa femme était pareillement actionnaire pour une même part. Trois ans plus tard, il achètera cinq actions de 500 F de la société de L’Entrepôt général des sels de Fécamp.

En 1830, François-Fleury Néel, capitaine au long cours, demeurant à Agon (M. c. de St-Malo-de-la-Lande) et Rosalie Tanqueray, son épouse, vendirent à Mme Le Poittevin 85 ares de terre située à Épreville.

E. de la Quérière, dans sa Revue rétrospective rouennaise (Rouen 1853) dresse un portrait du bourgeois de Rouen, en cette première moitié du XIXe siècle, où se dessinent quelques traits de la personnalité de Paul Le Poittevin :

« Maintenant, il n’y a guère à Rouen que des marchands et des manufacturiers. Ceux-ci, bien loin d’être, comme autrefois, des gens ignorants et grossiers, sont, au contraire, des hommes souvent fort instruits, et aussi recommandables par leur urbanité que par les autres qualités qui distinguent l’homme bien élevé ».

« À Rouen, peu de fortunes sont nées du hasard, c’est dire d’heureuses spéculations ; elles sont presque toutes le produit d’un labeur soutenu, persistant, pénible ; le résultat d’économies prises non seulement sur le plaisir, mais encore sur les besoins journaliers et ordinaires de la vie. Faut-il donc s’étonner si l’artisan d’une fortune si chèrement acquise laisse apercevoir, en toutes circonstances, cet amour de l’épargne qui contribua à créer son opulence ».

« Tout se résume par de l’argent, beaucoup d’argent, immensément d’argent ; non pas de l’argent pour en user, mais de l’argent, trop souvent, pour en faire l’objet d’une sorte de culte ; de l’argent pour en augmenter la masse sans cesse ni trêve, et jusqu’à la mort… Plus de cassette, plus de coffre-fort ; le coffre-fort ne rapporte rien. Sans doute, la vue de l’or réjouit très agréablement leurs yeux ; mais ils sacrifient aisément cette jouissance au plaisir de convertir leur trésor en valeurs de portefeuille ou en immeubles, dont les revenus accumulés finiront par doubler, par tripler leur capital ».

« Le meuble le plus distingué était fait de bois de noyer, couvert de velours d’Utrecht, de velours de soie, ou encore d’étoffes de soie brochées ; chaises, fauteuils, bergères et canapé composaient l’ameublement d’une pièce.

Une glace en deux morceaux sur la cheminée, une autre plus étroite entre deux croisées…placée au-dessus d’une table de marbre portée sur une console de bois doré ; une pendule sur la cheminée ; des bronzes (rarement), des attaches pour bougies et un foyer en cuivre doré ; des portraits de famille : voilà en quoi consistait, à Rouen, un salon ou appartement bourgeois ». C’était bien le style du mobilier de Paul Le Poittevin, comme nous le verrons.

Il assura le bonheur matériel de ses deux enfants aînés, Alfred et Laure, en leur donnant une rente de 5.000 F sur un capital de 100.000 F, somme qui, pour un fils de meunier, témoignait de sa réussite. Il n’eut pas la joie de voir le mariage de sa fille cadette avec un écuyer, M. d’Harnois de Blangues. Cette alliance l’eût flatté. Si cette fille fut moins bien dotée que ses aînés, c’est que le père était mort et que les temps avaient changé.

Achats du Moulin et de la Vavassorie de Gonneville.

Paul Le Poittevin, devenu industriel rouennais, garda la nostalgie de la terre natale, et c’est à Bricquebec qu’il voulut investir, en terres, les bénéfices de ses entreprises.

Ce fut d’abord le moulin de Gonneville, en 1818, pour 10.025 F. Situé sur la rivière la Scye, il était à « deux roues en dehors et à trois moulans ». C’était l’un des dix-neuf moulins de Bricquebec. Son père en avait été fermier pendant treize années ; sa mère, puis ses cousins Le Poittevin, avaient continué son exploitation. En 1823, il acheta pour 3.900 F de terre située à proximité de ce moulin.

Le 15 octobre 1829, Sophie-Désirée de Beaudrap, veuve Labbey de Druval, lui vendit le Manoir ou Vavassorie de Gonneville, contenant 61 ha, situé à St-Jacques-de-Néhou (M. c. de St-Sauveur-le-Vicomte) pour le prix de 60.000 F.

Très fier de cet achat qui attestait sa brillante réussite, il tint, plutôt que de donner procuration, à venir signer l’acte, à Valognes, où il fut l’hôte de Jacques-Toussaint Cord’homme.

Le manoir de Gonneville se composait d’une maison manable, du XVIe siècle, flanqué d’un pavillon de style Henri IV, à toiture très élevée, d’une chapelle, d’un colombier et d’importants communs.

Ce manoir appartenait, en 1246, à Robert de Gonneville. Ce seigneur fut le bâtisseur du moulin de Gonneville, sur une pièce de terre qui lui avait été concédée par Robert Bertrand, sire de Bricquebec. En 1298, Pierre de Gonneville (héritier de Robert) vendit son manoir de Bricquebec à son frère Robert. Gonneville appartint successivement aux familles Breuilly (14e s. ), Levéel, du Hecquet et Travers (15e s. ), Pittebout (16e s. ), Pigache (17e s. ), puis Beaudrap.

Renée d’Ulmès tenait de Mme Laure de Maupassant une curieuse légende qui aurait influé sur la destinée de Paul Le Poittevin : « Il y a près de Valognes un vieux castel médiéval, la vavassorie de Gonneville, où se trouve une «  chambre hantée ». Tous ceux qui se risquaient à y coucher voyaient, dit-on, un mouton noir leur apparaître. Cette chambre inspirait à tout le monde une terreur telle que, plutôt que de s’y abriter, le plus misérable des chemineaux aurait dormi à la belle étoile, sur les cailloux du chemin. Bravant ce mystère, et peut-être attiré par lui, Paul Le Poittevin voulut dormir dans cette salle. Or, le mouton noir lui apparut et, d’une voix bizarre, mais nette, lui déclara : — Tant que toi et tes descendants conserverez ce domaine, la chance persistera pour vous ! Le jeune homme n’hésita pas à acquérir la vavassorie de Gonneville dès que la fortune lui permit cet achat » ?

Paul Le Poittevin se serait adonné aux sciences occultes.

L’écrivain Charles Frémine, né à Bricquebec, cite son manoir dans la Chanson du Pays et le donne pour cadre à son conte intitulé la Vieille : « La table est dressée dans la grande salle du manoir…Malgré son délabrement, cette salle qui occupe le rez-de-chaussée du pavillon central — un pavillon qui est en même temps une forteresse — n’en a pas moins gardé son grand air, sa marque seigneuriale. Dans le fond, une vaste cheminée Renaissance (qui existe toujours), avec landiers de fer et plaque armoriée, que surmonte un écu mutilé ; à gauche de la cheminée, une petite porte ogivale, surélevée de trois marches, à linteau ouvragé, fleuri dun épi…Des boiseries vermoulues, des morceaux de tentures, des toiles d’araignées s’accrochent, çà et là, aux murailles. Deux croisées d’inégales grandeurs et se faisant vis à vis éclairent le milieu de la pièce, laissant les angles dans une vaste obscurité : l’une donne sur la cour, sur les hauts bâtiments, granges, remises, écuries, qui l’encadrent ; l’autre, la plus grande, ouvre sur la campagne, sur le moulin, sur le pigeonnier chaperonné de lierre, sur la rivière coulant au bord de la prairie », etc.

Ses héritiers vendront Gonneville, en 1860, à Michel-Denis Garnier, pharmacien à Bricquebec, pour la somme de 135.000 F.

C’est chez Jacques-Toussaint Cord’homme que Paul Le Poittevin avait logé lorsqu’il s’était rendu à Valognes pour acquérir Gonneville. Guillaume-Richard Cord’homme, son père, avait été fermier du château de Tourlaville, et Bonne Le Scellière, sa mère, devenue veuve, s’était fixée à Valognes aux premiers jours de la Révolution. (Une demoiselle Le Scellière était la tante du Bienheureux abbé Pontus, martyrisé aux Carmes en septembre 1792).

Jacques-Toussaint Cord’homme, membre du conseil municipal, de la commission de I’hospice et de la fabrique de Valognes, avait épousé Louis-Henriette Heurtevent « un nom qui n’a pas heurté (je ne suis pas le vent !) mais caressé mes oreilles, dès ma prime jeunesse, car je le trouvais admirable » écrivait Barbey d’Aurevilly.

Cet hôte avait deux frères, l’un, le capitaine Guillaume Étienne Cord’homme, ancien soldat de l’Empire fait chevalier de la Légion d’honneur par Louis XVIII venait de mourir, trois mois plus tôt ; l’autre, Jean-Charles-François Cord’homme, avait quitté le Cotentin pour s’établir négociant en vins, à Rouen, 35 rue de la Vicomté, puis 23, rue des Iroquois, où il mourut le 12 février 1852. Son contrat de mariage avec Claudine-Adelaïde Trefouel avait été reçu par Me Germain, notaire au Havre, le 2 mai 1820. Plusieurs cousins Cord’homme, issus de Jacques-Toussaint, le rejoignirent à Rouen.

L’amitié entre les familles Le Poittevin et Cord’homme aboutira au mariage de la veuve d’Alfred Le Poittevin avec « Cornudet ». L’une et l’autre, originaires du Cotentin, partageaient le même amour du sol natal, où l’une comme l’autre y accroîtront le patrimoine de leurs ancêtres.

Son mobilier.

Son habitation, située rue de Lenostre, N° 2, ouvrait sur le boulevard Cauchoise et sur une cour intérieure. Elle comprenait deux étages : au rez-de-chaussée, une salle et un bureau ; au 1er étage, une salle, un salon et trois chambres.

Paul Le Poittevin aimait les meubles en bois d’acajou ou de palissandre et ses appartements en étaient remplis ; pas de mobilier rustique, mais des meubles « modernes », des objets précieux, des porcelaines de Chine, des vases de cristal, de belles pièces d’argenterie.

II serait trop long d’en dresser l’inventaire ; il suffira de décrire les principales pièces de sa demeure.

Dans la salle du premier : sur la cheminée, deux candélabres en cuivre doré avec stuatuettes en bronze, une table ronde en acajou, à six allonges, douze chaises en acajou couvertes de draperie rouge, une chaise d’enfant en merisier.

Dans le salon : garniture de cheminée en cuivre, de style Louis XV, une pendule en cuivre doré, deux flambeaux en cuivre doré, un vase en porcelaine du Japon, un guéridon en palissandre avec pierres ornées de sculptures, quatre fauteuils, six chaises, deux tête à tête, le tout en bois de palissandre, orné de sculptures et couvert de tapisseries de fond gris, orné de fleurs et de rosaces, six tabourets de pied couverts en velours de soie, portrait du frère de Mme Le Poittevin, par Pouchet.

Chambre : couche en acajou ornée de sculptures, table de nuit en acajou avec tablette de marbre, deux fauteuils Voltaire, une chauffeuse, quatre chaises, le tout en acajou, couvert de damas, une commode-bureau acajou ornée de cannelures, surmontée d’une tablette de marbre, une armoire à glace en acajou.

Cabinet de toilette : une table de toilette en acajou avec garniture en cuivre, une table de marbre surmontée d’une psyché, un fauteuil en acajou recouvert de velours d’Utrecht rouge, deux chaises en merisier, un secrétaire en acajou à demi-colonne avec garnitures en cuivre, deux flacons en cristal, deux verres en porcelaine dorée.

Chambre de Virginie Le Poittevin : le mobilier qui appartenait à cette jeune fille lui avait été donné par son frère, sa sœur, son aïeul maternel et ses parents, à titre de cadeaux ou d’étrennes : pendule Louis XV en cuivre doré, porcelaines de Sèvres, une petite cave à odeurs garnie d’écailles, avec incrustations en cuivre doré, renfermant des flacons en cristal, bougeoir en porcelaine du Japon, soupière et divers objets en porcelaine de Chine, service à thé sur plateau en bois de rose, une boîte à gants incrustée de nacre, un sujet en bronze de Fratin représentant une lionne emportant un cerf suivie de deux lionceaux, une bibliothèque en bois de palissandre, ornée de sculptures dans laquelle 115 volumes reliés, une table à ouvrage en érable avec incrustations en bois de palissandre, une commode en bois d’érable avec incrustations de palissandre, table de nuit et couche en érable, un éventail en ivoire orné de peintures, une montre, une chevalière et une croix en or, un cachet en argent, une soupière en argent, une robe de taffetas Pompadour forme Louis XV.

Argenterie et bijoux : seize couverts marqués AB, HB et Sne Thurin, STR avec écusson, une soupière, treize plats en argent, etc., une plaque de membre du Conseil des Prud’hommes, une montre en or à répétition, une tabatière garnie d’or, dont le couvercle représente un portrait en miniature, une chevalière garnie de cheveux, une chevalière garnie de trois diamants, un cachet en or.

Ses domiciles.

Paul Le Poittevin changea au moins quatre fois de domicile entre la date de son mariage, en 1812, et celle de son décès, en 1850.

En 1812, il demeurait à Darnétal. Quelques années plus tard, il avait transporté son domicile à Rouen, au 132, rue de la Grosse-Horloge ou Grande-Rue. L’annuaire de Rouen de 1833 le cite au 153, Grande-Rue (serait-ce une erreur ?) avec la profession de marchand de cotons filés et la qualité d’Administrateur de la Caisse d’Épargne et de Prévoyance, sise 25, rue des Iroquois, à deux pas du négoce Cord’homme. Dix ans plus tard, il demeurait au 140, Grande-Rue et, lors de son décès, au 2, rue de Lenostre. Il venait de louer une maison, 20, rue de Lémery, où il avait transporté quelques meubles et où sa veuve alla habiter avant de se retirer à Bornambusc, près de Mme d’Harnois, sa fille cadette.

Mme Le Poittevin avait conservé un pavillon à Fécamp où son ménage passait la belle saison.

Son décès.

Par testament du 30 décembre 1846, Paul Le Poittevin avait fait don à son épouse de la totalité de son mobilier et de l’usufruit de la moitié du surplus de ses autres biens, meubles et immeubles. Dans le cas où ses enfants contesteraient ce legs, il donnait à sa conjointe un quart en propriété et un quart en usufruit de ses biens meubles et immeubles.

Il mourut à Rouen, 2, rue de Lenostre, le 3 janvier 1850. Son corps fut transféré au cimetière de la Neuville-Champ-d’Oisel, où iI repose près de son fils Alfred.

Sa pierre tombale porte cette inscription :

Paul-François Le Poittevin

Né à Bricquebec (Manche)

le 7 août 1778

Mort à Rouen

le 3 janvier 1850

Paul Le Poittevin laissait les immeubles suivants, qui seront vendus en 1853 et en 1860 :

— À Rouen, un établissement de teinture au quartier de la Pannevert, rue de la Petite-Chartreuse.

— À St-Léger-du-Bourg-Denis, filature, quatorze maisons et une ferme.

— À Fécamp, deux maisons.

— À Néhou et Bricquebec, les Manoir et Moulin de Gonneville et la ferme de Durécu.

Sa veuve continua l’exploitation de sa filature de St-Léger-du-Bourg-Denis.

Ses trois enfants, Alfred, Laure et Virginie :

1) Simon Paul Alfred Le Poittevin, né à Rouen, le 28 septembre 1816 (filleul du docteur Flaubert, père de l’écrivain), décédé à la Neuville-Champ-d’Oisel le 3 avril 1848. Avocat à la Cour Royale de Rouen et poète, Paul Le Poittevin fut l’ami d enfance et l’un des plus chers compagnons de Gustave Flaubert.

Il épousa à la Neuville, le 6 juillet 1846, Aglaé Julie Louise de Maupassant, fille de Louis Pierre Jules de Maupassant et de Françoise Josèphe Aglaé Pluchart.

Leur contrat de mariage fut reçu par Me Guéroult, notaire à Rouen, le 2 juin 1846 : les apports personnels d’Alfred Le Poittevin, en mobilier, bijoux et bibliothèque, étaient d’une valeur de 5.000 F. Ses parents lui donnaient 20.000 F de meubles et un capital de 100.000 F, payable à la volonté des donateurs, qui produira, jusqu’à son remboursement, un intérêt de 5 % ; l’apport de la future comprenait 5.000 F de mobilier, dentelles et bijoux, et un capital de 80.000 F, à intérêt de 5%. Les futurs époux adoptaient le régime de la communauté réduite aux acquêts. Parmi les témoins : Achille Flaubert (frère aîné de Gustave), chirurgien en chef à l’Hôtel-Dieu de Rouen depuis quelques mois, et Madame, née Julie Lormier, Hippolyte Bellangé, directeur du Musée de Rouen, artiste peintre, et Madame, née Walter, M. Renard, Manufacturier à Rouen, oncle, M. Renard, président à la Cour d’Appel de Rouen.

De ce mariage naquit Paul Louis Le Poittevin, le 22 mai 1847, à la Neuville-Champ-d’Oisel, artiste peintre, paysagiste distingué, élève de Bouguereau et de Robert Fleury. Il a été écrit, par erreur, qu’il était fils du peintre de marine Eugène Le Poittevin (1806-1870), l’un des inventeurs d’Étretat, lié avec Maupassant. (il n’y a pas de parenté entre ces deux peintres).

Louis Le Poittevin épousa, à Rouen, le 5 août 1868, Lucie Ernoult, fille du banquier Sébastien Edmond Ernoult, et de Sophie Catherine Hain.

Louis Le Poittevin mourut sans postérité à Paris, le 4 août 1909.

Louise de Maupassant, sa mère, s’était remariée, le 18 octobre 1852, à la Neuville, avec Charles Henri Jacques Cord’homme, fils de Jean Charles François, décédé, et de Claudine Adélaïde Tréfouel. Leur contrat de mariage fut reçu par Me Guéroult, notaire à Rouen, le 16 octobre de cette même année. Charles Cord’homme apportait :

— Sa garde-robe, bibliothèque, bijoux, argenterie, chevaux et harnais, d’une valeur de 4.100 F ;

— Ses marchandises et créances, estimées à 35.000 F ;

— La moitié de la ferme de la Gervaiserie et cinq pièces de terre, à Valcanville (M. c. de Quettehou), deux herbages à Quinéville [M. c. de Montebourg), d’un revenu de 1.400 F ;

— Un capital de 50.000 F que lui donnait sa mère.

Après la mort d’Aglaé Pluchart, à la Neuville, le 27 mai 1850, Jules de Maupassant vint s’établir à Rouen, au 23 de la rue Jacques-Le-Lieur, où était établie la maison de commerce de vins de Charles Cord’homme, son gendre, et où il mourra le 15 janvier 1875.

Le libre penseur Charles Cord’homme (1825-1905), conseiller municipal de la Neuville-Champ-d’Oisel, où il avait repris l’exploitation du domaine agricole de son beau-père (3), conseiller général de Rouen pour le canton de St-Sever, en 1870, « candidat perpétuel aux élections sous l’étiquette démocratique », « trempait sa barbe rousse dans les bocks de tous les cafés démocratiques ». C’est « Cornudet » de Boule de suif. Disciple de Barbès, qui fut parrain de son fils, il fonda l’éphémère Républicain de Rouen. Il allait être incarcéré pour ses idées anti-bonapartistes lorsque fut proclamée la chute de l’Empire. Ce fut lui qui annonça la proclamation de la République aux Rouennais. Au 4 septembre, par suite d’une farce, sans doute, il s’était cru nommé préfet et il tenta un soulèvement de la Commune, fut arrêté et mis en liberté sous caution. Il s’exila en Belgique. Ses affaires abandonnées l’acculèrent à la faillite. Cord’homme ne put rembourser les 30.000 F prêtés par le banquier Guillaume Edmond Ernoult-Jottral (parent de son beau-fils) et ses biens cotentinais furent vendus pour une somme de 20.350 F. Il put reprendre son commerce de vins, établi, en 1898, au 24 de la rue Brisout-de-Barneville. Ses derniers espoirs politiques avaient été déçus par le Général Boulanger !

2) Laure Marie Geneviève Le Poittevin, née le 28 septembre 1821, décédée à Nice le 8 décembre 1903, mariée, à Rouen, le 9 novembre 1846, avec Gustave François Albert de Maupassant, né à Bernay le 27 novembre 1821, décédé le 24 janvier 1899, fils de Louis Pierre Jules de Maupassant, ancien contrôleur des contributions indirectes à Bernay, propriétaire à la Neuville-Champ-d’Oisel, et d’Aglaé Françoise Josèphe Pluchart.

De cette alliance naquirent Guy (5 août 1850 – 6 juillet 1893) et Hervé de Maupassant. Leur contrat de mariage fut reçu par Me Daverton, notaire à Rouen, deux jours avant la cérémonie, en présence du docteur Achille Flaubert, frère aîné de l’écrivain, d’Hippolyte Bellangé, Directeur du Musée de Rouen, artiste peintre (père du peintre Eugène Bellangé), de Théodore Douvre, Juge de paix, et de Madame, née Pluchart, oncle et tante du futur, de M. Renard, Président de la Cour de Rouen, de François Langliné, Directeur des filatures de Paul Le Poittevin.

Mariés sous le régime de la communauté, l’apport du futur se chiffrait à 5.000 F de meubles, « provenant de ses économies » ; à 10.000 F de meubles donnés par ses parents ; et à 80.000 F en espèces qui lui rapporteront un intérêt annuel de 5 % jusqu’à leur paiement ; la dot de la future comprenait 19.000 F de meubles et 106.000 F en espèces, dont l’intérêt de 5 % lui sera versé par ses parents d’ici le paiement.

Hervé de Maupassant, né à Grainville-Ymauville, le 19 mai 1856 (S-M. c. de Goderville), mort à Paris en 1889, épousa Marie-Thérèse Fanton d’Andon, qui lui donna une fille, Simone, née en 1887, mariée à Jean Ossola (1881-1932), député des Alpes-Maritimes de 1914 à sa mort, sous-secrétaire d’État à la Guerre en 1925 et 1926, fils de César Ossola, député des Alpes-Maritimes de 1906 à 1910.

3) Virginie Le Poittevin, née à Rouen le 4 septembre 1830, mariée le 7 juin 1852 avec Charles Gustave d’Harnais de Blangues, né le 10 avril 1822, châtelain de Bornambusc (C. de Goderville), fils de Robert-Germer-Sanson-Maurice d’Harnois de Blangues, éc., capitaine de cavalerie, chevalier de la Légion d’honneur, décédé en 1837, et de Catherine Rosalie Dufay.

Leur contrat de mariage fut reçu par Me Daverton, notaire à Rouen, le 31 de la même année. Le régime matrimonial adopté était celui de la communauté réduite aux acquêts. L’apport du futur se composait de

– Mobilier de son château, estimé à 7.200 F.

– Mobilier d’exploitation de ferme, estimé à 3.300 F.

– Linges, bijoux, argenterie, vins, voitures de maître, armes, estimés à 7.500 F.

– La terre de Bornambusc composée du château et de deux fermes, le tout formant une superficie de 41 ha, évalués à 160.000 F. (Sa mère renonçait à son usufruit sur ces biens.)

Virginie Le Poittevin apportait :

– Ses habits, bijoux, argenterie, ouvrages de littérature, instruments de musique, objets d’art, estimés à 15.000 F.

– Le tiers de sa succession paternelle, évalué à 60.000 F. Sa mère versait 10.000 F sur cette somme et, en attendant le paiement des 50.000 F restant, elle en versera l’intérêt de 5 %. (Son père étant mort, ce n’était pas la dot de son frère ni de sa sœur !).

De ce mariage naquirent trois enfants : Germer, en 1853, Suzanne (Mme Gabriel Huchard) en 1855, et Catherine (Mme Raoul Jay) en 1859.

Le nom de Maupassant est aujourd’hui représenté par la famille Barthélémy de Maupassant, à laquelle appartient l’épouse du grand acteur Louis de Funès.

Rémy VILLAND.

(Saint-Lô)

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SOURCES

Imprimés :

René Rouault de la Vigne, les ancêtres de Guy de Maupassant, leur noblesse disputée à tort, dans Revue des Sociétés Savantes de Haute-Normandie, N° 23 (Lettres N° 6), 3e trim. 1961, pp. 77-79.

Rémy Villand, les ancêtres maternels de Guy de Maupassant : les Le Poittevin, public. multigraphiées de la Société d’archéologie et d’histoire de la Manche, fasc. 25, 1975, 46 p.

Manuscrits :

Archives départementales de la Seine-Maritime :

Série E, Archives notariales :

I. Étude de Me Duboye-Fresnay, à Fécamp (exercice Rousselet) :

– Contrat de mariage Jean-Paul-François Le Poittevin et Marie-Anne Victoire Thurin, 23 septembre 1812.

II. Étude de Me Sauvage, à Rouen (exercice Daverton)

– Contrat de mariage Gustave de Maupassant et Laure Le Poittevin, 7 novembre 1846.

– Dépôt du testament de Jean-Paul-François Le Poittevin, 8 janvier 1850.

– Inventaire après décès de Jean-Paul-François Le Poittevin, 16 janvier 1850.

– Contrat de mariage Charles-Gustave d’Harnois de Blangues et Virginie Le Poittevin, 31 mai 1852.

III. Étude de Me Gence, Rouen (exercice Guéroult)

– Contrat de mariage Alfred Le Poittevin et Louise de Maupassant, 2 juin 1846.

– Contrat de mariage Charles Cord’homme et Louise de Maupassant, 16 octobre 1852.

Archives départementales de la Manche :

– Hypothèques de Valognes, Transcriptions, reg. 79, n° 39, 1829; reg. 344, n° 54, 1860.

– Registres paroissiaux et état civil de Sauxemesnil, Tamerville, Colomby et Bricquebec.

 

(1) Il faut noter que c’est dans la Manche, à Anneville-en-Saire, qu’Alexandre Astruc tourna plusieurs épisodes d’Une vie, en 1957.

(2) Parmi les descendants de ces Le Poittevin, fixés à Colomby, il convient de mentionner Alfred-Léon Le Poittevin (Valognes 1854 – Paris 1923), professeur à la Faculté de Droit de Paris.

(3) Le Château et le domaine de la Neuville-Champ-d’Oisel appartiennent au célèbre coureur cycliste Jacques Anquetil.