Le Centenaire de La Bovary,

Les Amis de Flaubert – Année 1951 – Bulletin n° 2 – Page 1 – Réf. 002_001

 

Le Centenaire de La Bovary

 Il y a cent ans — le 19 Septembre 1851 — Gustave Flaubert dans sa solitude de Croisset, écrivait les premières lignes de Madame Bovary. C’était une tentative hardie.

Le roman romanesque, malgré quelques prodromes de décadence demeurait le maître. Flaubert dans sa prime jeunesse, n’avait point échappé à cette ambiance, encore que les Mémoires d’un Fou, Novembre et Smarh, n’eussent jamais été publiés.

Vingt mois de voyage en Orient, ce monde aux horizons infinis, avait appris au puissant observateur la vanité des conventions, même en littérature, et la nécessité de bâtir toujours un monde nouveau.

Enfin le : « Il faut jeter cela au feu » accueillant la ténébreuse Tentation de Saint Antoine, pesait toujours dans l’esprit de l’écrivain. Désemparé, mal vu des siens, il suivait le conseil de Louis Bouilhet et de Maxime Du Camp, et jetait les premières lignes de : « L’histoire de Delamare ».

Le sujet était bien mince ; la famille Flaubert connaissait beaucoup l’officier de santé Delamare, ancien carabin de l’Hôtel Dieu, et son épouse, l’inconstante et très imaginative Delphine Couturier. Si mince même et aussi si transparent, que Flaubert d’une part, dut couvrir d’affirmations hâtives, telles que « La Bovary c’est moi » le thème d’une trop évidente réalité ; et d’autre part, car la page était souvent vide — ce qui explique les lenteurs de l’œuvre — fournir à celle-ci, et pendant cinq ans, des tableaux pris çà et là aux extérieurs de la vie de l’époque, ou encore les scénarios entièrement bâtis, ou encore faire appel à des souvenirs de jeunesse.

Car dans Madame Bovary, merveilleusement enchaînés, drapés d’un style inégalable, on retrouve pour peu qu’on se penche sur le problème des origines et des modalités du roman, bon nombre d’épisodes que la réalité quotidienne avait fait naître, et dont Flaubert en travailleur infatigable, précis et consciencieux, utilisait les éléments de la manière la plus éclatante.

Mais quel labeur ! On le devine, ce géant des lettres dans son cabinet de travail entouré de ses livres, accoudé à sa table, écrivant de sa plume d’oie des phrases qu’il raturait comme avec un scalpel, écrivant à nouveau pour raturer encore ; et, brusquement, se levant, sortant de ce laboratoire du style montant vers l’allée des tilleuls, y déambulant à grands gestes, gueulant ses phrases, pour découvrir encore et toujours des imperfections. On le devine en son Pavillon du bord de l’eau, penché au balcon de fer où fleurissaient la glycine, les roses et le chèvrefeuille, regardant de ses yeux de Viking, sur le fleuve royal déroulant son flux gigantesque, les navires qui remontaient vers Rouen, lourdement chargés ; ou bien quand venait la nuit et que la lune et les brouillards légers de l’eau drapaient le paysage de noir et de blanc, dire aux siens avec un soupçon de mélancolie : « Allons, rentrons, il est l’heure de retourner à la Bovary ».

Ce que fut ce labeur effrayant de cinq ans, d’autres l’ont dit et écrit. Le roman réaliste, succédant au roman imaginatif, était né. Une pléiade d’artistes devaient succéder au Maître Rouennais.

Ce labeur glorifie Gustave Flaubert, mais il glorifie aussi la Normandie ; et c’est peut-être le plus piquant de l’histoire que de voir Flaubert immortaliser, en même temps qu’Emma Bovary, sa ville natale qu’il avait si souvent maudite.

L’Association des Amis de Flaubert ne pouvait demeurer indifférente à ce prestigieux anniversaire.

Par l’intermédiaire de son Bulletin, elle convie ses adhérents demeurés fidèles au souvenir du romancier, à élever leur pensée vers l’écrivain et vers l’œuvre qui font tant honneur aux Lettres Françaises.

Jacques Toutain-Revel.

 

En marge du centenaire

 Par l’obligeant intermédiaire de la Direction des Bibliothèques Municipales de Rouen, les AMIS DE FLAUBERT ont obtenu la reproduction photographique d’un certain nombre de pages du manuscrit (premier texte) de Madame Bovary, déposé à la Bibliothèque Centrale de la Ville.

Notre Groupement tient des exemplaires de ces clichés à la disposition des adhérents et des flaubertistes, désireux de les obtenir, en témoignage et en souvenir du labeur de Gustave Flaubert. Le prix de chaque exemplaire (21×31) est de soixante-dix francs, frais d’envoi en sus (cinquante francs).