À propos du film de Madame Bovary

Les Amis de Flaubert – Année 1952 – Bulletin n° 3 – Page 45

 

À propos du film de Madame Bovary

M. Jacques Toutain-Revel avait eu, il y a quelque temps, l’occasion d’écrire à M. Pierre Descaves, président d’alors de la Société des Gens de Lettres de France, pour attirer l’attention de la Société sur la récente mise à l’écran du chef-d’œuvre de Gustave Flaubert : Madame Bovary. Ceux qui ont vu ce film… inimaginable, qui a soulevé à Paris et en France d’unanimes protestations, s’étonneront de la facilité avec laquelle les cinéastes truquent, déchirent et mutilent nos plus belles œuvres littéraires à des fins commerciales dont on ne peut louer ni l’intention ni le résultat.

Studio moderne, carton-pâte, habits fantaisistes… Gustave Flaubert lui-même, en costume romantique de haute couture, plaidant sa propre cause au procès de 1857… demeures somptueuses, éclairées au sunlight… Tout concourt à détruire l’atmosphère et le style du plus beau roman du monde. La chose est d’autant plus pénible que nombre de Français et d’étrangers risquent de juger Madame Bovary (cela va plus vite à l’écran qu’à la lecture) d’après ce film vraiment pitoyable.

Certes, on peut comprendre et admettre que la technique cinématographique exige une discipline implacable qui se moque éperdument de l’art littéraire. Et c’est précisément parce que certains romans, notamment ceux de valeur, ne peuvent en aucun cas être mis à la scène et encore moins à l’écran qu’il vaut mieux s’abstenir d’une si malencontreuse expérience.

Le public a jugé cette expérience par la froideur de l’accueil. Les aventures romanesques ne manquent pas ; qu’on les utilise, mais pitié pour les chefs-d’œuvre ! Ajoutons que M. Pierre Descaves, qui avait déjà, sur les instances de la Société des Gens de Lettres de France (20 décembre 1950), protesté auprès de la firme étrangère, a répondu à M. Toutain-Revel la lettre que voici :

« Paris, 24 avril 1951.

« Monsieur le Président,

» J’ai bien reçu votre lettre du 20 avril qui a retenu mon attention. Je partage votre émotion si légitime du massacre à l’écran d’un de nos plus purs chefs-d’œuvre : Madame Bovary, de Flaubert, et je m’élève avec vigueur contre les mutilations de notre patrimoine littéraire.

» Je vais refaire une nouvelle démarche auprès du Ministre de l’Information pour protester contre la déformation intolérable dont sont victimes nos plus belles richesses spirituelles.

» Je vous prie de croire, cher Monsieur le Président, à l’expression de mes sentiments les meilleurs.

 » Le Président : Pierre DESCAVES » .

Souhaitons que la protestation de la Société des Gens de Lettres soit entendue et surtout efficace.