Correspondance de la famille Bouilhet

Les Amis de Flaubert – Année 1953 – Bulletin n° 4 – Page 40

 

Correspondance de la famille Bouilhet

Nous devons à l’obligeance de M. René Senilh, trésorier de notre Société, communication d’une lettre de Mlle Esther Bouilhet, sœur du poète Louis Bouilhet, l’ami de Gustave Flaubert, écrite quelques jours après le décès de Louis Bouilhet, à Mme Auguste Le Roy, mère de Georges A. Le Roy, en son vivant conservateur du Musée de Croisset.

Cette lettre éclaire d’un jour bienfaisant la question des « inimitiés familiales » ayant parfois éloigné les deux sœurs de Louis Bouilhet, du poète.

Chère Madame,

Votre bonne lettre d’hier nous a fait un grand bien, elle nous a redonné courage et consolation. Que l’amitié d’une âme pieuse fait de bien. Comme elle sait comprendre et adoucir les plus grandes douleurs !…

Oui, bonne amie, permettez-nous de vous donner ce nom, nous allons prier et prier avec plus de ferveur que jamais. Dieu est si bon !… Espérons, comme vous le dites si bien, que nos larmes et notre affliction auront pesé dans la balance de sa justice et auront obtenu pour notre cher ami, un moment de repentir ; et du Ciel un regard de miséricorde et de pardon.

Que nous eussions été inquiètes de savoir l’indisposition de ce bon Monsieur Le Roy. Heureusement que vous nous rassurez complètement et sur sa santé et sur la vôtre.

Nous vous remercions bien vivement de nous avoir procuré la photographie de notre pauvre cher ami. On y aperçoit déjà des traces de malaise, mais il est bien ressemblant. Nous l’avons placé au pied d’une petite statue de la très Sainte Vierge que notre bonne mère aimait beaucoup. Il nous semble là en sûreté. Nous y avions placé précédemment un petit morceau de cordon de la Légion d’honneur, puis plus tard, une rosette violette de sa décoration d’officier qu’il nous avait donnée lors de son dernier voyage à Cany. Ces souvenirs nous sont si chers ! Merci donc, Madame, et de votre envoi, et de vos bonnes prières.

Quant à notre santé, Dieu qui nous éprouve, daigne nous soutenir. Les nuits sont quelquefois bien pénibles et le jour ramène les larmes, chacun ici veut prendre sa part de notre peine, et ouvre plus profondément encore cette plaie qui n’est point fermée. Cependant nous reprenons courage dans la pensée que la volonté de Dieu le veut ainsi, et qu’il ne peut vouloir que le bien de ceux qui l’aiment, aussi devons-nous dire, comme nous l’écrivait ces jours-ci un bon prêtre de nos amis, Dieu nous l’avait donné, il nous l’a ôté : que son saint nom soit béni !…

Nous avons fait demander une neuvaine de messes à Notre-Dame des Victoires à Paris ; nous recevons aujourd’hui une lettre qui nous apprend qu’elle commencera demain à 9 heures. Si vous voulez, bien bonne amie, vous y unir, nous en serions bien heureuses.

Embrassez, je vous prie, pour nous nos deux petits amis, et dites-leur que nous les remercions aussi de leur souvenir quotidien pour M. Bouilhet. Encore une prière. Quand vous aurez un petit moment de libre, jetez à la poste pour vos amis de Cany quelques bonnes paroles comme vous en savez si bien dire ; elles seront reçues avec une bien vive reconnaissance. Nous sommes, ma sœur et moi, toutes à vous de cœur.

E. Bouilhet.

P.-S. : Nous présentons nos respects à M. Le Roy.

Cany, 30 juillet 69.