Deux Lettres inédites de Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1955 – Bulletin n° 7 – Page 45

 

Deux Lettres inédites de Flaubert

27 Septembre

Je te remercie bien de ton obligeance, ma bonne Laure. Ton petit mot à M. Danton sera très utile et j’espère que G. Pouchet sera rétabli au Muséum.

Hélas, non ! Je n’irai pas à Étretat ; à peine si j’aurai le temps d’aller à Dieppe passer un dimanche. Je manque de parole à Du Camp, au père Cloquet et à Mme Sand. Mais la mort est plus forte que tout : celle de Bouilhet, qui a bouleversé ma vie, a dérangé mes projets de vacances. J’ai à m’occuper maintenant 1° de ses affaires ; 2° de mon roman, et 3° de mon emménagement rue Murillo.

Toutes les douleurs se tiennent. Comme j’ai pensé à mon pauvre Alfred dans ces derniers temps ! Mais quand je l’ai perdu, j’ étais plus jeune et, partant, plus robuste qu’aujourd’hui. Je me sens très vieux et fatigué jusque dans la moëlle des os.

Tu reviens sans doute à Rouen vers le commencement d’octobre ? Je serai forcé d’être à Croisset au milieu de novembre, pendant une huitaine de jours. Alors, je pourrai te voir. J’ai grand besoin de passer avec toi un long après-midi, au coin du feu.

Je t’embrasse de tout mon cœur, ma chère Laure.

Ton vieil ami,

                                                           G. FLAUBERT.

Cette lettre est adressée à Laure de Maupassant, née Le Poittevin. On peut à coup sûr en compléter la date : 1869, année de la mort de Bouilhet, le 18 juillet. L’original (elle semble inédite) est en possession de M. G. Bosquet, qui nous en a aimablement adressé copie.

**

II

Mon cher ami,

Donnez-moi donc des nouvelles !

Soyez sans inquiétude sur votre caisse de livres ! La certitude où l’on est à Rouen que Paris ne bouge pas a redonné de la confiance.

Mes pauvres parents de Champagne nous ont écrit ce matin une lettre épouvantée. Ils se disposent à déménager comme en 1815. Mais nous n’en sommes pas encore là, Dieu merci !

N. B. — Quelle résolution a-t-on prise ?

La bêtise, l’inertie des autorités Rouennaises ne laisse rien à désirer. Par l’initiative de mon frère et de Raoul-Duval, la ville va envoyer au ministère de la guerre un bataillon de 500 hommes qu’elle entretiendra à ses frais.

L’ouvrier est comme l’Autorité : il dort, ô, abrutissement !

Quelle leçon, mon bon !

Répondez-moi poste pour poste.

Tout à vous, quoi qu’il advienne.

Gustave Flaubert

Croisset.   Vendredi midi.

Cette lettre (qui paraît inédite) nous a été aimablement communiquée par M. G. Bosquet, de Versailles, qui en a l’original. On en ignore le destinataire et la date exacte, mais puisqu’elle est indiquée : vendredi, elle a été écrite soit le vendredi 19 août, soit le vendredi 26 août 1870, « l’initiative » Raoul-Duval, Achille Flaubert ayant eu lieu au Conseil Municipal de Rouen aux deux séances du mercredi 17 août 1870 et du samedi 20 août 1870, et les Bonenfant étant arrivés à Croisset entre le 26 et le 31 août 1870. Les mots soulignés le sont sur l’original.