Quelques prototypes de Madame Bovary :

Les Amis de Flaubert – Année 1955 – Bulletin n° 7 – Page 50

 

Quelques prototypes de Madame Bovary :

Homais junior, p. 50 – Le prétendu suicide de Louis-Gabriel Campion, p. 50-51 – Une vocation de Maître Bottais, p. 51-52

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Homais Junior

Dans une variante qui figure au bas de la page 250 de la Nouvelle version que M. J. Pommier et Mlle G. Leleu ont donnée de Madame Bovary, Homais se présente au médecin, le soir de son arrivée à Yonville, comme « Homais junior », soulignant ainsi, non sans quelque anglomanie, qu’il est le fils, non le père de famille.

Ce détail, retranché par Flaubert du texte définitif, semblerait offrir un argument aux partisans de l’identification, d’Yonville l’Abbaye avec Ry, Jouanne (Alfreld-Adolphe) étant, en effet, fils de Désiré Guillaume, autrement dit de Jouanne Senior ; mais à la condition, bien entendu, de fondre dans le même personnage le Père et le Fils, le premier prêtant son physique épais et apoplectique ; le second, son anticléricalisme et sa faconde.

Toutefois, nous reconnaîtrons volontiers que cette précision, soulignée d’un trait dans le texte, peut aussi bien s’appliquer a priori, si on la considère isolément, soit au fils puîné de Désiré Guillaume, prénommé Auguste et mort en 1852, dans sa 22e année, comme l’indique sa tombe au cimetière de Vandrimare (Eure), soit à un confrère des Jouanne, à savoir Loisnel (Louis-Édouard), de Neufchâtel, qui lui aussi succéda à son père en 1814 ; et qui, à certains égards, si l’on en croit Félix Clérembray, pourrait passer pour un prototype de M. Homais. C’est pourquoi, par impartialité et par prudence, nous laissons cette petite question pendante… provisoirement.

Gaston Bosquet.

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Le prétendu suicide de Louis-Gabriel Campion

Les biographes de Flaubert et critiques de son œuvre affirment que Louis-Gabriel Campion — le prototype, paraît-il, de Rodolphe Boulanger (de la Huchette), l’un des deux amants de Madame Bovary (l’autre étant Léon Dupuis, clerc de notaire) — s’est suicidé à Paris, en plein boulevard, revenant d’Amérique, et « perdu par les créatures ».

La vérité est quelque peu différente. Louis-Gabriel Campion est mort à la suite d’une maladie incurable et dans la misère il est vrai, au bout de quelques jours d’hospitalisation à l’Hôpital de la Charité, à Paris

Voici d’ailleurs l’avis de décès qui nous a été communiqué et que nous publions volontiers.

Recto. — CAMPION                            D 45

Administration Générale de l’Assistance publique à Paris

Désignation de l’Établissement : CHARITÉ

Paris, le 6 janvier 1868.
M.

J’ai l’honneur de vous informer que M. Campion Louis-Gabriel est décédé à La Charité le 5 janvier 1868, à 6 heures du soir.

Je vous prie de faire connaître de suite vos intentions relativement à la sépulture du corps, qui doit être enlevé dans les vingt-quatre heures, et d’apporter en même temps les pièces nécessaires (acte de naissance ou de mariage) pour rédiger régulièrement l’acte de décès.

J’ai l’honneur de vous saluer.

Le Directeur de l’Etablissement.

Verso. — Monsieur CAMPION Louis-Gabriel

à ses parents ou amis Cours du Dragon – I Paris.

Cachet : Paris 5              2° 6 janv          68 rue Bonaparte

Sa sœur : 45, avenue de l’Arbourdonnaye (1).

Aillaud.

6e Arrondissement

M. Campion Louis-Gabriel

N° d’ordre 33 – 8 janvier 1868.

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Une vocation de Me Bottais

On sait que Me Bottais, qui termina sa carrière de notaire à Formerie (Oise) et fut clerc de notaire à l’étude Leclerc (de Ry), passe, à tort ou à raison, pour être le prototype du clerc de notaire Léon Dupuis dans Madame Bovary.

M. Vérard, le président du Comité Bovary de Ry, nous transmet cette lettre écrite en 1921 par M. Bellou, conseiller général et maire de Formerie, au journal Le Messager, de Darnétal, dont le canton comprenait la commune de Ry.

Rappelons que Me Leclerc fut notaire à Ry de 1836 à 1869.

Monsieur,

Je suis tout à votre disposition pour vous donner des renseignements sur Me Bottais, qui fut notaire à Formerie de 1843 à 1884. Il mourut subitement à Beauvais le 23 octobre 1888, en revenant de l’inhumation de Me Isoré, notaire à Noailles.

J’étais l’ami de M. Bottais, et plusieurs fois par semaine nous faisions de bonnes parties de dominos, de dames et de cartes. Lorsque les époux Bottais recevaient chez eux leurs amis, on jouait toujours au 31, jeu de cartes que Bottais avait appris avec Mme Delamare, lorsqu’il était clerc à Ry. Ce jeu, inconnu à Formerie, n’était joué que chez les Bottais, puis chez leurs amis.

Vous trouverez dans les journaux de Beauvais le récit de sa mort. M. Bottais était atteint d’angine de poitrine. En revenant de Noailles, il s’arrêta à Beauvais, quand à l’entrée de la rue Saint-Pantaléon, il s’affaissa subitement devant la porte de Me Reculet. Le docteur Gérard, qui reconduisait quelqu’un à sa porte, le vit tomber et le prit pour un ivrogne. M. Mercier, avoué, qui passait à ce moment, le reconnut, et on le transporta chez Me Reculet.

Son corps fut ramené à Formerie, où ses obsèques eurent lieu le 26 octobre. À la sortie de l’église, Me Reculet, aux lieux et place de Me Lefebvre, syndic des notaires, et moi, prononcèrent des discours. Il fut ramené à Beauvais pour y être inhumé. Après une présentation à la chapelle du cimetière et un discours de Me Paille, avoué, il fut inhumé le samedi 27 octobre, avec sa femme, Esther Court, dans le caveau de la famille Court, situé le 4e ou 5e après le logement du gardien, dans les concessions perpétuelles adossées à la route de Calais.

De temps à autre on causait de Mme Delamare, dont Bottais, parfaitement dépeint par Flaubert, avait conservé un bon souvenir, de Campion, et de Jouanne, le pharmacien avec lequel j’ai plusieurs fois correspondu à propos d’une eau dont il était le préparateur.

1921.

(1) Orthographe respectée.