Gustave Flaubert et sa sœur Caroline – 1

Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 2

 

Gustave Flaubert et sa sœur Caroline – 1

« Caroline et son jeune frère s’aimaient d’une tendresse particulière, dit Mme Commanville dans les Souvenirs Intimes (2) ; séparés seulement par trois années, les deux enfants ne se quittaient guère… Plus tard, quand Gustave sera à Paris, c’est à elle qu’il écrira, c’est elle qui transmettra aux parents les nouvelles quotidiennes, car, malgré la séparation, cette douce communauté de pensée ne se perd pas. ».

À ces lettres, il était fidèlement répondu. Dans un dossier gris, portant en suscription de la main de Gustave Flaubert : « Lettres de ma sœur », ces réponses ont été pieusement conservées.

Maintenant que les dernières éditions de la Correspondance ont recueilli les moindres billets écrits par Gustave, il est aisé (3) de reconstituer le dialogue, de voir s’épanouir, dans une atmosphère familiale que recréent à nos yeux mille détails, une amitié fraternelle qui laissera d’indéniables traces dans le caractère et la personnalité de l’écrivain.

Cette correspondance s’échelonne de 1839 jusqu’au drame final, la mort de Caroline en 1846. Aux premiers billets enfantins succèdent de vraies lettres où Caroline, dans un style aussi vivant, coloré, spontané que celui de son frère, s’emploie à le distraire dans sa vie d’étudiant exilé et malcontent. Elle le taquine, le console dans ses moments d’ennui et de découragement, et la communion de pensées et de sentiments est si profonde qu’il est parfois malaisé, à la lecture d’un passage isolé, d’en deviner l’auteur.

Caroline naquit à Rouen en 1824, dans la grande chambre du Pavillon de l’Hôtel-Dieu, au premier étage, aujourd’hui reconstituée telle qu’elle se trouvait alors. Son enfance fut heureuse, surtout grâce à la bonne camaraderie qui l’unissait à son frère Gustave. Son père était indulgent et bon, mais très absorbé par sa vie professionnelle ; sa mère, de naturel anxieux, affligée de fréquentes migraines, n’oubliait ses maux que quand il fallait soigner ceux de ses petits.

Le grand frère Achille ne comptait guère pour les deux enfants ; étudiant en médecine à Paris, puis jeune docteur en quête d’une clientèle, marié et déjà absorbé par sa vie familiale, rien ni dans le caractère ni dans les goûts ne leur était commun.

Pour Caroline, le compagnon de prédilection, le grand amuseur, c’était Gustave ; il faisait bon écouter ses histoires, se moquer avec lui des travers et ridicules des bourgeois, jouer sur le théâtre familial les tragédies composées par eux deux, goûter avec lui les beaux vers classiques ou romantiques, admirer ensemble les couchers de soleil sur la dune de Trouville !

Quand s’établit entre eux l’échange de lettres dont nous donnerons ici des extraits, Caroline est une blonde et fraîche jeune fille de type normand mais sans lourdeur. Le visage aux traits réguliers est étroitement encadré par une double coque de cheveux ; ses yeux sont grands comme ceux de son frère sous une arcade sourcilière aux mêmes lignes accusées. Le front est bien modelé, la bouche sérieuse et petite. Caroline est grande, élancée plutôt que mince et son allure donne tout à la fois une impression d’allégresse et d’élégance : « Spectacle fait à souhait pour le plaisir des yeux ! », dira d’elle son frère (4).

Malgré cette apparence florissante, elle était d’une santé délicate, constamment arrêtée par des maux de reins ou de gorge, soumise à des régimes sévères et privée bien souvent des plaisirs de son âge, bals, promenades ou voyages.

Lui nous est dépeint à Paris, par Maxime du Camp, comme un grand adolescent blond, à la barbe dorée, peut-être un peu provincial d’allure avec sa redingote solennelle, son chapeau haut de forme et son pantalon à sous-pied.

À la même, époque, il apparaissait aux jeunes anglaises rencontrées à Trouville « semblable à un jeune Grec ». Grand, mince, souple et gracieux comme un athlète et cependant peu soucieux de l’impression qu’il produisait. Sa mise négligée consistait en une chemise de flanelle rouge, un pantalon de gros drap bleu, une écharpe de même couleur serrée étroitement autour des reins, souvent tête nue, ce qui effarouchait quelque peu les jeunes britanniques portant robe de soie et souliers fins.

S’il faut en croire la tradition rouennaise, le couple formé par les deux jeunes gens était d’une si frappante beauté, qu’un soir, au théâtre, leur entrée dans une loge fut saluée par toute la salle, en une ovation spontanée.

En mai 1839, Mme Flaubert et sa fille se sont rendues à Paris pour y retrouver Achille, qui passe un dernier examen et soutient sa thèse de docteur en médecine. Il va épouser quelques jours après Julie Lormier. La fiancée et ses parents sont du voyage et font l’acquisition du trousseau. On se rend de compagnie aux Français, aux Italiens, à Versailles, etc. Pour distraire Gustave, alors externe au Collège de Rouen, et terminant sa rhétorique, Caroline lui écrit :

Paris, mai 1839.
Mon bonhomme, nous avons fait un excellent voyage,  malheureusement sans le moindre accident. Mme Chavannes, notre compagne, nous  a fait penser à toi ; elle a une frayeur extrême des « deux vents » ; outre le capuchon, les manteaux, elle s’est emmaillotée la tête d’un  énorme châle. Alors nous avons dit : « Fa ! Fa ! C’est à faire vomir les honnêtes gens ! »  et nous nous sommes mises à la portière. »  Maman a peu dormi, cependant elle n’est pas fatiguée.
Nous irons demain à Versailles. Pauvre Bonhomme ! Que je voudrais que tu fusses ici ! Comme tu aurais des occasions de me faire rire avec tes facéties ! Embrasse bien notre bon Père et engage-le à remonter le col de sa robe de chambre jusqu’aux yeux. La famille Lormier vous dit bien des choses, mais je ne sais quoi ! Adieu, mon bon farceur, et n’oublie pas cependant en mon absence : « l’homme »  le plus habile ! Et « les deux cours d’Anglais ». Maman embrasse bien des fois son fieux et son vieux gars d’époux. Je te recommande mon Néo (5) et ma chèvre et te prie d’embrasser Laure (6) quand tu la verras.
Ton Rat qui n’oubliera jamais son Bonhomme au milieu de ses plaisirs ».
Caroline.
Réponds-moi, sinon je croirai que tu ne penses plus à ton beau cher Rat. Achille part pour son examen (7).
P.-S. Achille a brillé de même qu’aux autres examens ».

***

Les distractions parisiennes continuent et Caroline tient à les faire partager à son frère :


Paris, 9 mai 1839.
Bonhomme, j’ai attendu tous les jours une lettre de toi ; mais vain espoir ! Point de lettre ! J’espère cependant que j’en aurai une demain parce que c’est aujourd’hui fête ; nous avons été mardi soir voir Mlle Mars. Oh ! cher Bonhomme ! Que de fois j’ai pensé à toi ! » Que de fois j’ai dit à maman : « Si nos bonshommes étaient là ! Ho ! Hélas ! » Une chose me tourmente. J’ai bien envie de vous voir ;  mais on ne peut entendre Rachel avant lundi. Demande à ce bon père s’il ne s’ennuie pas trop et s’il veut nous permettre de rester ici   jusqu’à lundi. S’il en était ainsi, tu pourrais avoir des nouvelles de Rachel ! Nous avons vu hier Cher Ami (8) ; il nous a demandé de tes nouvelles ainsi que la grosse miss Lise (9). Nous avons été à l’Exposition des tableaux ; c’est superbe ! Bonhomme ! Mais à Versailles, nous n’avons pu rien voir dans les Galeries tant il y avait de monde, et après deux heures de sueur, les eaux ont joué pendant   un quart d’heure. Malgré l’ennui que nous avons eu à attendre, nous en avons été grandement récompensés par la beauté des eaux. M. Gourgaud (10) a été très sensible à ta bonne et aimable lettre et est très content de ta place en Discours. Je ne sais si l’on a renvoyé mon piano ; si cela est fait, je te prie d’écrire une lettre à M. Neukomme pour lui dire de ne pas revenir mardi… Enfin, j’ose espérer que papa voudra nous laisser entendre Rachel. Je t’embrasse comme nous nous embrassons quand nous lisons de l’anglais et que maman jette sur nous un regard de pitié ! Bonsoir ! Embrasse bien, bien des fois, notre excellent vieux gars de Père.
 Ton Rat
 Caroline Flaubert.
Il y a deux cours d’anglais… « l’homme le plus instruit !… » « C’est un palais… ! »  N’oublie pas tes bonnes facéties et grimaces ».

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Sa séparation va prendre fin et Caroline, dans sa lettre du 15 mai 1839, annonce son retour :

Bonhomme, nos places sont retenues et nous arriverons demain soir à Rouen. Si papa n’était pas trop occupé, il serait bien aimable s’il venait nous chercher au Pont de l’Arche. C’est donc demain, cher Boun, que je t’embrasserai et que tu me lécheras. Mon piano est acheté et on l’enverra jeudi. J’en ai choisi un avec un gros son pour te plaire. Nous allons aujourd’hui aux Français pour voir « Rachel ».  Lundi, nous avions une loge, mais la future émeute a fait fermer tous les théâtres et nous avons été obligées de nous en retourner à l’hôtel la, tête basse.
Adieu, je suis obligée de finir ici ma lettre pour aider maman à faire les paquets. Embrasse le gros père pour moi. À demain soir, au Pont de l’Arche. Nous « ratonnerons ». Si tu peux amener Néo, tu me feras un plaisir excessif, car, tu sais, on n’aime pas être éloigné des siens.
 Ton rat et ta sœur respectueuse,
Caroline.
(mercredi, 11 heures)

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La correspondance cesse jusqu’au moment où Gustave ayant été reçu bachelier, son père, pour l’en récompenser, lui offre un voyage aux Pyrénées et en Corse. Ses compagnons de route seront le docteur Jules Cloquet, surnommé « Cher Ami », contemporain et camarade d’Achille ; sa sœur, Mlle Lise, et un abbé italien, gastronome et fin lettré, du nom de Stephani.

Pour cette première séparation, il est décidé que la famille accompagnera Gustave jusqu’à Paris, et quand père, mère et sœur auront vu le jeune voyageur, encaqué dans la diligence entre deux grosses commères, prendre la route de Tours, ils se rendront à Nogent-sur-Seine faire leur habituel séjour chez M. Parain, beau-frère du docteur Flaubert.

C’est de là que part pour Bordeaux la première missive de Caroline adressée à Gustave :

Nogent-sur-Seine, 24 août 1840.
Nous sommes arrivés à Nogent en assez bonne santé, excepté notre   mère qui avait un mal de tête occasionné par le mouvement désagréable de la mauvaise calèche. Mais toi, mon pauvre garçon, tu es encore entassé dans la voiture sans pouvoir remuer. Tu as, il est vrai, un grand dédommagement ! Tu me comprends ! Tu ne saurais jamais croire comme les Nogentais sont fâchés de ne pas te voir ! Ils en sont encore aux regrets et aux louanges ! Là-dessus, ils ne tarissent pas. Ils espèrent que tu viendras en revenant. Adieu, mon pauvre  Boun ! Que je voudrais être avec toi ! Que je serais heureuse ! J’ai lu l’autre jour, en voiture, tout le premier chapitre de M. Michelet pour connaître un peu les Pyrénées. Écris-moi et tu rendras ta pauvre Caroline bien heureuse !

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La réponse de Gustave ne se fait pas attendre, puisqu’elle est datée du 29 août de Bayonne (11). Bordeaux ne l’a point enchanté ; le meilleur souvenir qu’il en garde est celui d’un vigoureux souper, à la manière du Garçon, ce compagnon imaginaire dont il évoque le souvenir pour amuser sa sœur.
À la poste restante de Pau, il trouve, datée aussi du 29 août, une lettre familiale écrite par le Docteur et Mme Flaubert, avec ce simple post-scriptum de Caroline :


Mon cher ami, nous avons été hier faire une promenade à Nesles à quatre lieues de Nogent ; j’ai fait une grande partie de la route à âne et j’en suis assez fatiguée aujourd’hui. Cependant, en somme, ton Rat est un peu plus solide. Je souhaite, mon bonhomme, que la bonne constitution du Garçon ne t’abandonne pas en route. Adieu je t’embrasse de tout cœur et suis pour toujours ton Rat qui t’aime.
Caroline

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Le voyage se poursuit à chaque étape, Gustave trouve des nouvelles ; avant de s’embarquer à Toulouse sur le Canal du Midi pour rejoindre Marseille, voici la lettre de Caroline qui l’attend poste restante :


Mon cher Gustave, j’ai commencé le premier volume de M. Thiers. J’ai voulu prendre des notes, mais j’ai pensé que dix volumes seraient fort longs, et je me contente de lire. Je crois que tu ne me gronderas pas de ce manque de courage. Si tu es inflexible, je m’attendrirai et tu seras encore obligé de me consoler.
Hamard a été reçu bachelier (12). Rien de nouveau à t’apprendre, si ce n’est que notre nièce a deux dents (13) et est de plus en plus gentille ; je suis sûre que si tu étais ici, tu oublierais un peu ton extrême tendresse pour les ânes et que tu t’amuserais beaucoup avec elle.
Calme-toi, cher ami, ne sois pas si « berserker »  (14) et pense que tu as un Rat qui t’attend tout en mangeant des morceaux de gigot. Donne-moi des nouvelles de tes guêtres, de ta barbe et de tes cheveux. Adieu, écris-moi souvent, car j’ai bien plus de plaisir à recevoir de tes nouvelles quand tes lettres me sont adressées. Je suis obligée de terminer ici, car maman m’attend avec impatience pour aller se coucher à Déville (15). Je t’embrasse de tout cœur et suis ton Rat dévoué.
Cne Flaubert.
7 septembre 1840

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 À Marseille, fâcheux contretemps ! Les bagages se sont égarés et Gustave, sous un soleil tropical, gémit de devoir se promener en gros pantalon d’hiver (16). Heureusement, les bains de mer sont là pour apporter quelque bien-être ; c’est en rentrant d’une pleine eau, à Lestaque qu’eut lieu dans la cour de l’hôtel de Richelieu, la rencontre de Gustave et d’Eulalie Foucauld de Lenglade. Comment s’engagea l’entretien ? Nous ne le savons pas, mais ce que nous savons, c’est qu’une brûlante aventure s’ensuivit. Les lettres qu’Eulalie adressera à Rouen, de janvier à août 1841, en font foi (17).

Cet incident n’était naturellement pas à l’usage de la correspondance fraternelle ni même familiale, et dans la lettre du 29 septembre, Gustave ne fait que se réjouir que le chagrin de la séparation n’empêche pas « les criques de sa sœur » de manger des gigots. « Je suis content, dit-il, qu’une santé si chère soit toujours bonne, et ma seule inquiétude était qu’elle se dérangeât pendant mon absence. »

À Toulon, avant l’embarquement pour la Corse, une lettre de Caroline lui parvient :

23 septembre 1840.
Mon cher Gustave, tu es réellement excellent, tu nous écris bien    souvent et tu nous fais le plus grand plaisir. Nous t’en sommes tous on ne peut plus reconnaissants. Il n’y a que moi qui me plains quelquefois de mon Bonhomme, parce qu’il ne m’écrit pas assez. Une fois depuis un mois ! C’est bien peu. Aussi cette lettre va-t-elle être si longue qu’il sera bien obligé de me répondre s’il ne veut être ennuyé une autre fois !
Nous sommes revenus de Déville hier. Je me suis surprise, en arrivant à tirer la sonnette comme j’en avais l’habitude pour te faire descendre quand il m’ennuyait par trop de mon gros farceur. J’ai été me consoler au piano qui avait été bien longtemps abandonné.
Si l’on parle de Mme Lafarge dans le Midi, je doute fort que l’on soit plus déchaîné contre elle qu’ici. Bourlet (18) et Grout (19) se distinguent par leur férocité. Ce dernier a dîné dernièrement à la maison et il n’a été question, pendant tout le temps, que de chimie et de physique, ce qui nous a rappelé tes intarissables bouffonneries à ce sujet. Au reste, il n’y a point besoin du Docteur Parfait Grout pour cela, car plus de mille fois par jour, nous parlons de toi, et tout en faisant tes louanges, nous convenons pourtant que tes facéties sont   quelquefois assommantes. Je dis nous, parce que j’avais commencé la phrase à la première personne du pluriel, car pour moi, je n’en aurais jamais assez, et tu peux être sûr que lorsque tu reviendras, je rirai de même, comme une bête, à tout ce que tu diras.
Je lis toujours du Thiers : j’ai pour cela un courage héroïque, car je ne passe ni description de bataille ni opération financière ; tout le reste m’amuse excessivement, surtout les habitants passés au fil de l’épée et les généraux qui escaladent les Alpes. J’en suis au cinquième volume et j’ai bien la résolution d’aller jusqu’à la fin du dixième. Leur propriétaire vient souvent demander de tes nouvelles ; c’est un gentil garçon (dans le sens du Père Guitier) (20), qui t’est fort attaché et qui nous apporte souvent de tes nouvelles lorsqu’il en  reçoit et qui, quelque fois, nous en lit des fragments qui méritent (les fragments) d’être mis dans les morceaux choisis de Noël et Chapsal ; ne te fâche pas de ce compliment et pense qu’il y a dans ce recueil des passages de Jean-Jacques Rousseau.
Je pense bien que le mélancolique H. (21) n’aura pas toute ta verve et que tu penseras à moi quand tu auras le temps.
Je n’ai encore repris aucune de mes leçons et je passe une partie de mon temps à lire, à porter la petite nièce, à jouer du piano, à dessiner et surtout à m’ennuyer et à te regretter. Adieu, mon ami, ma lettre est assez longue et il ne me reste plus qu’à te répéter toujours la même chose : « je t’aime et pense à toi continuellement.
Ta sœur affectionnée,
Caroline Flaubert.
Je te demande pardon de mon écriture, mais je pourrais te dire, comme M. Lafarge : « Je t’écris comme un chat et je t’aime comme un chien ! »
Maman te remercie beaucoup de l’exactitude que tu mets à lui  écrire ; Achille te dit je ne sais quoi ; Julie (22) et sa fille t’embrassent ; Souvit (23) te fait ses compliments et Néo (24) te prie de ne pas l’oublier. Décidément, je ne peux me décider à fermer ma lettre ; il le faut pourtant, car Rose attend pour la porter à la poste. Embrasse bien Mlle Lise pour moi et donne-moi des détails sur sa manière de voyager. Je ne relis point ma lettre, car ce serait trop ennuyeux !

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La réponse de Gustave vient de Corse (25). Une définition du « makis »  ne se trouve pas dans le texte publié ; elle est pourtant assez savoureuse : « Le makis » , ce sont des broussailles hautes tout au plus de trois pieds quelquefois, mais dans certaines localités de six ; si tu fais un bouquet de chênes, de châtaigniers, de genêts et de roseaux, tu auras un petit makis dans ta main ».

Dans cette même lettre, Gustave se complaît à raconter qu’il va être guidé jusqu’à Corte par un ancien bandit, actuellement voltigeur dans un régiment corse, et souhaite qu’à quelque jour, « la perle se déshuître et que vous puissiez voir quelques beaux pays qui fassent pâlir Déville, voire Boisguillaume ».

À la date prévue, en novembre, le jeune voyageur reprend sa place au foyer familial, se consacre à des travaux philosophiques et à la composition de quelques-uns de ses premiers essais littéraires ou historiques.

C’est à l’occasion d’un court séjour que fit Gustave aux Andelys, chez les parents de son ami Chevallier, que Caroline lui adresse ces mots :

11 avril 1841.
J’ai vu, mon cher ami, que toutes les précautions du Garçon pour voyager t’ont parfaitement réussi, puisque tu es arrivé aux Andelys en bonne santé. J’en suis charmée et je te conseille à l’avenir de suivre en tous points ce que prescrit ce bon vieux Descambeaux. Je suis seule, absolument seule à Rouen. Toute la famille et même Mimiss, qui, ordinairement, est attachée à moi comme le grattin du macaroni au plat d’argent est au bienheureux Déville. Le mauvais temps et le mal de reins ont servi de prétexte à mon envie de bavarder avec toi ; tu sais, d’abord, je suis très peu folle de Déville. Et bien ! Aujourd’hui, on ne m’y aurait pas fait aller pour tous les diables. Je crois qu’Alfred (26) y est allé se promener, tant mieux pour lui si ça lui plaît.
Nous n’avons pas encore reçu de lettre de Nogent. De sorte que je me vois encore restée à Rouen pour quelque temps. C’est moi qui ai l’air du cloporte, aujourd’hui ; je suis seule dans ma loge, enfoncée dans mon fauteuil et une tasse de tisane sur ma table. Voilà mes agréables vacances de Pâques. Que tu es heureux, mon pauvre garçon ! Je suis sûre qu’à cette heure, tu es au Château Gaillard ou à La Roche à l’Hermite, est-ce que je sais, moi ! Mais enfin, tu n’es pas à Rouen, c’est tout ce qui suffit pour être heureux !
Imagine-toi qu’hier à 9 heures du matin, je m’ennuyais déjà de toi ; ainsi juge ce que c’est aujourd’hui et ne t’étonne pas si je me lamente.
La seule chose qui me console, c’est l’espérance de voir, avant toi…  Qui ? Je suis sûre que tu devines… L’illustre Pied Gelé… (27).
Il est vrai qu’à la même heure, tu seras à la Neuville (28), mais qui pourrait disputer mon cœur au Père Dumée…
J’aurais bien des commissions à te donner pour Louise, mais tu ne pourrais les faire, ainsi c’est inutile. Dis seulement à Maria que le « Roquet savant »  se porte toujours bien (29) et qu’il ne l’oublie pas. Demande aussi à Mme de Maupassant si on lui a remis son col et si elle en est contente. Voilà assez de bêtises !… Il vaut mieux que je m’arrête. Je t’embrasse de tout cœur et suis pour la vie ton Rat dévoué.
Caroline Flaubert.
Embrasse bien, de ma part toute la bonne famille des Andelys et dis-leur que je voudrais bien être avec eux, car je me rappellerai toujours avec plaisir une certaine bonne vacance de Pâques.
N’oublie pas que tu nous as promis de revenir mardi prochain ; ne te laisse pas aller aux prières ; sois inflexible. Je te recommande de ne point les trop ennuyer de « pointes ». Réserve-les pour moi, qui me flatte de les comprendre si bien !

**

À l’automne de cette année 1841, Gustave vient pour quelques jours à Paris pour prendre ses premières inscriptions de Droit. Pendant cette courte séparation, Caroline lui écrit :

À M. Flaubert
Hôtel de l’Europe, 5, rue Lepelletier
Paris.
Rouen, jeudi 11 novembre 1841.
Nous attendions ta lettre hier, mon cher Gustave, et tu ne saurais  imaginer quelle triste journée nous avons passée ! Le dîner a été pour moi d’une longueur et d’une tristesse indéfinissable. J’espère que je flatte assez la vanité du Garçon et que tu seras content de moi.
Tu me parles de l’abbé, de Florimont, c’est très bien, mais tu ne me dis pas un mot de mon délicat ami Hamard. J’aime à croire cependant que vous avez déjà été aux Italiens ensemble. Podesta (31) doit bientôt aller à Paris ; j’ai une grande envie de vous l’envoyer pour qu’il vous explique l’italien. Qu’en dis-tu ?
Mlle Saint-Laurent demeure rue de la Paix, n° 10. Julie vient encore de me le dire. Au reste, si tu ne peux pas la trouver, rapporte ma robe plutôt que de la donner à toute autre. Maman a la migraine et est encore au lit.
Père Dumée est venu mardi et la forêt va jusqu’ici parfaitement (32). Adieu, bonhomme, voilà à peu près toutes les nouvelles intéressantes ; je finis donc en t’embrassant de toute ma force.
Ton vieux Rat : Caroline.
On a parlé hier, rarissima cosa, des chemins de fer et du mariage de Jules Janin.
Oh ! Eh ! Monsieur et ami, nous venons de faire une perte irréparable. Nous ne verrons plus jamais le bonnet pyramidal d’Estelle ; elle est morte ! la povera vecchia !

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Au printemps de 1842, Gustave vient, cette fois, s’installer à Paris pour se mettre, sérieusement, mais sans aucun enthousiasme, à ses études de Droit. Elles lui paraissent fastidieuses, inutiles, abrutissantes. Caroline, de son mieux, essaiera de l’en distraire. C’est ainsi que dès le 16 avril, elle lui écrit :

À M. Flaubert
Hôtel de l’Europe, rue Lepelletier
Paris.
Rouen, 16 avril 1842.
C’est aujourd’hui, cher ami, que nous traitons le dromadaire havrais (33), mais au lieu de pommade de chameau, nous lui donnons une magnifique barbue et deux roussots envoyés par cette excellente Mme Feuclères. Andieux doit venir aussi.
Je suis enchantée que tu aies fait la connaissance de Thalborg.  Tâche la première fois que tu le verras, de lui voler quelques trilles de ma part. Tu ne nous dis pas si la famille Maurice (34) ira cette année à Trouville. Quant à nous, nous n’avons pas encore reçu de lettre de Pont-l’Évêque. Et moi, je suis toujours dans la même impatience et je déchire tous les jours mes petits papiers.
J’ai fait part au Père Dumée de tes « pointes ». Il les connaît toutes, si ce n’est celle des Chinois, pour laquelle il a été aussi bouché que moi. Il a paru excessivement sensible à ton souvenir et m’a chargée de te serrer la main.
Tu dois connaître maintenant la grande nouvelle : l’escapade de Lormier ; je te connais assez, cher Gustave, pour être persuadée que tu auras fait comme moi, c’est-à-dire que tu t’en seras réjoui comme le Garçon. Du reste, rien de nouveau ici, si ce n’est que j’ai déchiffré hier un trio d’une manière ébouriffante et que papa m’a donné ce matin une petite statuette de Pradier. C’est une femme en chemise et lisant. Regarde-là à quelque boutique et dis-m’en des nouvelles. Allons, adieu. Je m’attends à recevoir une lettre de toi demain et je ne serai pas longue à y répondre. Je t’embrasse pour moi et pour toute la famille.
Ta sœur et Rat,
Caroline.
Mimiss se rappelle à ton souvenir.
Dis-nous quand tu pars pour Nogent (35).

**

Cette lettre de Caroline croise celle que lui adressait Gustave, le 16 avril (36) et dans laquelle il l’avertissait que les Schlésinger ne viendraient pas à Trouville l’été prochain, mais que le Dr Cloquet et sa sœur seraient enchantés d’accepter l’hospitalité des Flaubert.

Ces vacances à Trouville s’organisent donc, et c’est de là, le 1er juillet, que partira la prochaine lettre de Caroline :

À Monsieur Flaubert
Hôtel de l’Europe, rue Lepelletier
Paris.
Trouville, 1er juillet 1842.
Nous sommes dans notre cottage, cher Gustave, mais sans avoir vu encore le Père Couyère. Je t’en donnerai des nouvelles la prochaine fois. Quant à nous, le voyage s’est parfaitement passé, sans migraines ni maux de reins. Cependant, je me repose encore aujourd’hui et ne commencerai mes bains que demain. Il fait un vent excessif et nous en entendons le sifflement que tu imitais assez bien. La mer est assez agitée et toujours de plus en plus superbe à nos yeux. Il y a fort peu de baigneurs, au grand désappointement du père Guittier. Il attribue cela aux élections et espère pour la fin du mois. Nous avons vu, en arrivant, le capitaine Barbey : son ruban rouge est déjà tout jaune. Il a embrassé à deux bras papa qui l’appelait : « Brave chevalier », chose qui a paru le flatter agréablement.
Armand (37) et Adèle sont à Trouville. Ils partent ce soir et Armand demain matin pour Paris. Voici son adresse : Rue Neuve, Saint-Eustache, n° 26. Écris-nous souvent, cher ami, et tâche de revenir avant la fin du mois d’août, tu rendrais ton Rat si heureux.
Ta sœur Caroline.
Ton panier est arrivé en parfaite santé, si ce n’est ton chapeau gris qui s’est trouvé un peu graissé. Je l’ai frotté avec de la mie de pain et m’en suis emparé. Je ne le quitte pas tant il me semble commode.
Nous t’embrassons tous de tout cœur et te regrettons sincèrement.

**

La réponse de Gustave est du 3 juillet ; il se plaint de l’ennui de Paris l’été et annonce qu’il va s’installer rue de l’Odéon, 35, dans l’ancien logement d’Ernest Chevalier. C’est là qu’il va commencer « sa vie féroce ! » (38). Elle se termine dans son texte original par une série de calembours et de facéties destinées à faire rire sa sœur : « Je t’ordonne aussitôt que tu verras le Père Couyère, de te précipiter dans ses bras et de l’embrasser, avec violence.
— Sais-tu quels sont les Suisses les plus étourdis ?
— Ce sont ceux qui sont à Uri (ahuri).
— Quand est-ce que H. de Pourceaugnac ressemblait à un oiseau de belle humeur ?
— Quand il était poursuivi par les apothicaires, parce qu’il était seringué (serin gai).

**

Les lettres de Caroline lui donnent d’abondants détails sur la vie au cottage, ses leçons de peinture avec le peintre Mozit, ses promenades, ses bains ; elle lui parle des nouveaux arrivés :

Trouville, 14 juillet.
Nous avons fait la connaissance d’une famille anglaise qui demeure à cette maison à contrevents verts au bout de la Corderie. Elles sont quatre filles, dont une est malade, je crois d’une affection de l’épine ; elle vient s’asseoir tous les jours dans notre parc et y reste des heures entières. Nous lui avons proposé un fauteuil et des oreillers, et c’est ainsi que la connaissance s’est faite. La seconde fille est très jolie, parle parfaitement le français, adore Mlle Rachel et sait tout Shakespeare par cœur. Tu l’aimerais beaucoup. Les deux autres sont assez gentilles, parlent fort peu et se promènent au bord de la mer de 5 heures du matin jusqu’à 10 heures du soir. Leur père est un vieux capitaine de la Marine Royale anglaise, peut-être amusant à entendre s’il ne bégayait pas…

**

Voilà donc précisé le début des relations entre les familles Flaubert et Collier. Gustave ne tardera guère à faire la connaissance, lui aussi, de celle qui, avec Maria Schlésinger, sera un de ses plus chers « fantômes de Trouville ». En effet, au milieu du mois d’août, désespérant de réussir à son examen, Gustave abandonne un beau soir son logis parisien et prend la diligence pour Pont-l’Évêque. Trois lieues à peine séparent Pont-l’Évêque de Trouville ; il les franchit d’un bon pas, au clair de lune, son baluchon sur l’épaule. Bien des années plus tard, il se rappellera encore avec quelle ivresse il respirait à pleins poumons, en arrivant au petit jour, la bonne odeur salée de la mer.

Quand, 30 ans après, la pensée du solitaire de Croisset se reportera sur ce bel été de leur première rencontre, il écrira à Gertrude, devenue Mrs Tennant : « Quel joli coin de la terre et de l’espèce humaine ça faisait, vous, vos sœurs, la mienne ! »  

À l’automne, les lettres sont plus rares. Gustave travaille avec plus de courage ; il est reçu à son examen, et après son succès, vient passer en famille la fin de l’année. Le 9 février, il regagne le Quartier Latin. Les relations avec les Collier se font plus étroites. Caroline en est heureuse, mais tient à mettre en garde son frère contre l’attrait que pourrait exercer sur lui Gertrude, l’aînée, qui lui paraît frivole, mondaine, sans vraie culture, peut-être un peu trop entreprenante ! La seconde, la « divine Henriette », a toutes ses préférences.

Gustave s’est installé rue de l’Est (39), s’est meublé, s’est remis au travail, mais ne s’habitue pas à sa vie solitaire (40).

Caroline s’efforce à le distraire, et le 11 février 1843, elle lui écrit :

À Monsieur Flaubert
19, rue de l’Est, Paris.
Il faut que tu sois bien changé, cher Gustave, pour avoir écrit une lettre pareille à celle que j’ai reçue ce matin. Elle est si pleine de tristesse et d’ennui, que personne, j’en suis sûre, ne voudrait la reconnaître pour être de toi, toi qu’on dit être si gai et à qui rien ne fait, comme dit Achille. Mais, console-toi, pauvre ami, et ne te figure pas la maison si charmante. On joue aux dames, c’est vrai, mais sans rire, sans cris. M. Parain est tout triste de ton départ ; le soir surtout, lorsqu’il prend son flambeau pour aller se coucher, il prend une mine tout à fait piteuse. Il nous quitte définitivement de lundi en huit et travaille avec emportement à sa reliure de Musique.
Achille et Védée sont venus dîner hier à la maison, et malgré le champagne que l’on avait fait glacer en l’honneur de l’anniversaire du mariage de maman, le repas a été fort peu amusant. Armand, le seul qui aurait pu nous divertir un peu, était tout endormi. Védée se tenait et regardait les bouteilles en pensant probablement à toi, qui lui en aurais offert plus souvent que papa. Quoique le dîner ait été peu bruyant, comme je te l’ai dit, maman a aujourd’hui une épouvantable migraine. Il est deux heures et elle est encore au lit.
N’oublie pas de me donner des nouvelles d’Henriette dans ta prochaine lettre et tâche qu’elles soient meilleures que les dernières. Pauvre fille ! Elle devait souffrir beaucoup pour ne point t’avoir reçu.
Adieu cher ami, remonte-toi, et si ton ennui résiste aux causeries de M. Hamard, va à l’atelier, monte à l’échelle chez Coignet et même danse le cancan !
Va voir Phèdre avec ton ami Hamard, je ne sais quoi avec Florimond. Je désire, cher Boun, que ma lettre t’égaie. J’ai tâché de l’écrire le moins tristement possible. Aussi je la crois bien bête. Miss t’envoie un baiser de sœur sur ton front. Mon cher et vrai ami, je te serre dans mes bras et t’aime de tout mon cœur.
Ta sœur et Rat,
Cne Fl.

**

Le 30 mars, Caroline lui écrit encore :


Tu me demandes une longue lettre, cher ami, et malheureusement je n’ai rien à t’apprendre. Je ne peux que te dire combien je suis heureuse que tu viennes bientôt, mais par exemple, cela, je pourrais te le répéter assez pour remplir mes quatre feuilles ; tu ne te figures pas ce qu’est la maison sans toi. C’est à « en vomir d’ennui », comme dit M. Michelet. Tous mes amis sont partis de Rouen. Mme de Maupassant pour la Neuville et Mme Straelin, ce matin, pour Paris…
T’ai-je dit, cher Boun, que Podesta faisait le commerce des vins ? Il est commissionnaire et fait déjà des affaires « magnifiques ».
Son nez promet aussi beaucoup de fleurs et lui servira bientôt d’enseigne.
J’ai reçu, il y a quelques jours, une lettre de Gertrude, la plus drôle qu’il soit possible d’écrire ; elle me dit franchement qu’elle a appris quelques termes de peinture et qu’en les jetant à tort et à travers, elle fait un effet surprenant. Henriette, cette pauvre enfant, ne m’écrit que quelques lignes, elle me parle de toi ; elle espère que tu auras la bonté de lui lire les Burgraves, et je suis sûre que tu l’auras cette bonté, car comment peut-on refuser rien à Henriette quand elle vous dit : « Vous êtes si bon ». Il me semble encore l’entendre. Dis-lui qu’elle me réponde encore plus vite que la dernière fois, où elle m’a laissée six semaines sans lettre…
Adieu, cher ami, reviens le plus tôt possible et rapporte-nous la gaieté ordinaire à un homme comme toi. Je t’embrasse à deux bras.
Ton
Raton.

**

Point par point, Gustave répond (41) : Quelques conseils sur la santé de Caroline, récit de la visite à Mme Straelin qu’il a trouvée jouant aux échecs, allusion au « coupé maudit » que le Dr Flaubert, voulant faire une aimable surprise à sa femme, avait commandé chez un des meilleurs carrossiers de Paris et qui n’eut pas le don de plaire ! Il était trop petit, disgracieux, inconfortable. En épouse soumise, Mme Flaubert n’ose pas exprimer sa déconvenue, mais insomnies et migraines se multiplient. Achille intervient, et le bon docteur, tout marri, est prêt à revendre le malencontreux coupé et à le remplacer par un landau.

L’histoire Podesta ravit Gustave et excite sa verve : « Il va maintenant passer sa vie dans les caves, on ne le verra plus qu’à travers des soupiraux. Entends-tu son rire au milieu des barriques et des cruches ? Il doit se trouver là comme dans sa famille ! Quel gars ! » 

Gustave se plaint aussi de maux de dents qui l’empêchent de satisfaire son solide appétit.

Caroline, dans sa réponse, compatit aux souffrances dont se plaint son frère, lui conseille d’aller au plus vite se faire soigner, et avec une pointe de malice, ajoute : … « Je te plains, cher Boun, de ne pouvoir manger et d’autant plus que voilà venir le mercredi et qu’on dit que tu fais un dîner un peu plus soigné ce soir-là… »

Ce dîner du mercredi est celui que Gustave va prendre chaque semaine chez ses amis Schlésinger.

Fine mouche, Caroline avait bien deviné l’attrait qu’exerçait Maria sur son frère et était un peu dépitée de n’en avoir point reçu confidence.
La correspondance est interrompue par les vacances de Pâques que l’étudiant vient passer en famille, Elle reprend dès la fin avril :


…Tu vas me gronder, cher ami, et te moquer de moi quand je te dirai que je n’ai pas eu le temps de t’écrire de toute la journée, et cependant, c’est vrai. Mme Straelin est venue dès les onze heures, ensuite Julie et Juliette, et puis, enfin, « le marchand de vin ». Après la leçon, nous sommes allés dans le bosquet nous promener pour la première fois de l’année. Il a plu épouvantablement ces deux jours-ci. Je ne me sens pas du tout fatiguée de cette marche extraordinaire.
Papa, a reçu hier une lettre de ce pauvre Hamard ; il le priait d’annoncer à son oncle la mort de son frère, mais lorsque papa y est allé, M. Hamard savait la triste nouvelle ; Fauvel le lui avait envoyé dire par un domestique. Hamard et sa mère doivent aller passer quelques jours à Poissy. Crois-tu que nous les voyons ?
Adieu, cher Gustave, il faut dîner et si tu m’avais vu écrire cette lettre, tu ne m’aurais pas reconnue à la vivacité avec laquelle j’ai fait crier ma plume.
Ta sœur qui t’aime,
Caroline.

**

Pourquoi cette vivacité dans l’écriture que constate elle-même la jeune fille ? Peut-être parce que sa lettre est en grande partie consacrée à Hamard et au nouveau deuil qui vient de le frapper ? Il s’est attiré par là la sympathie de Caroline et nous verrons peu à peu dans les lettres suivantes évoluer et grandir ce sentiment.

L. CHEVALLEY–SABATIER

[Lire la fin de l’article]


(1) Dans la vie de Flaubert, il y eut trois Caroline tendrement aimées : sa mère, Caroline Flaubert, née Fleuriot ; sa sœur, Caroline Hamard, née Flaubert, et sa nièce, Caroline Commanville, en premières noces, et Franklin-Grout, en secondes, née Hamard.

(2) Souvenirs intimes, préface à la première et deuxième édition de la Correspondance. (Éd. Conard, 1910 et 1926).

(3) Supplément à la Correspondance. (Éd. Conard, 1954).

(4) Il existe de Caroline un buste de marbre blanc, exécuté après sa mort par le sculpteur Pradier, et qui a été légué au Musée d’Antibes, par Mme Franklin-Grout.

(5) Chienne terre-neuve, appartenant à Caroline.

(6) Laure Le Poittevin, sœur du grand ami de Gustave et qui sera la mère de Guy de Maupassant.

(7) « Achille est à Paris, écrit Gustave à son ami Ernest Chevalier ; il passe sa thèse et se meuble. Il va devenir un homme rangé et ressemblera à un polypier fixé sur les rochers ». Lettre de Gustave du 15 avril 1839, (Éd. Conrad, Correspondance, 1926, p. 46.

(8) Le docteur Jules Cloquet, ami et camarade d’Achille.

(9) La sœur du Dr Cloquet.

(10) Professeur au Collège Royal de Versailles, ancien professeur de Gustave, à Rouen.

(11) Voir lettre de Gustave du 29 août 1840. Correspondance, supplément (Éd. Conard, 1954).

(12) Hamard, ami de Gustave, que Caroline épousera cinq ans plus tard.

(13) Juliette, fille d’Achille, qui deviendra Mme Roquigny.

(14) Exalté, enflammé ?

(15) Propriété de campagne des Flaubert.

(16) Voir lettre de Gustave du 29 septembre. (Éd. Couard, 1926, p. 71).

(17) Sur l’enveloppe qui contenait les lettres d’Eulalie, Flaubert avait écrit : « Relues par moi dans la nuit du 20 au 21 mars 1846 ». Or, l’avant-veille, sa sœur était morte ; la nuit précédente, il avait veillé son corps, et cette nuit-là, nous avons tout lieu de supposer que, triant sa correspondance, il recherchait pour les réunir, les ranger dans le dossier gris, les lettres dont nous publions aujourd’hui les extraits.

(18) Le marquis Bourlet de la Vallée, camarade d’Achille Flaubert.

(19) Le docteur Parfait Grout, père de Mme Auguste Sabatier et du docteur Franklin-Grout, que Caroline Commanville-Hamard épousa en secondes noces.

(20) Maire de Trouville.

(21) Hamard, camarade de Gustave et futur époux de Caroline.

(22) La jeune femme d’Achille Flaubert.

(23) La chèvre de Caroline.

(24) Le terre-neuve de Caroline.

(25) Voir la lettre de Gustave du 6 octobre 1840. (Éd. Conard, 1926, p. 72).

(26) Alfred Le Poittevin, ami de Gustave.

(27) Surnom de M. Dumée, professeur de dessin de Caroline et décorateur au théâtre.

(28) Propriété de la famille Maupassant, à La Neuville-Champ-d’Oisel, où M. de Maupassant dirigeait une briqueterie.

(29) Surnom de Caroline.

(30) Caroline pas plus que son frère ne datait ses lettres ; il a fallu d’assez minutieuses recherches pour s’assurer du jour et du quantième du mois où elles furent écrites. Gustave s’en plaignait : « Pour l’amour du ciel, date tes lettres ! »  lui écrivait-il, alors qu’il ne s’y astreignait pas lui-même.

(31) Professeur d’italien de Caroline.

(32) Décor en préparation pour le théâtre de Rouen.

(33) Surnom donné par les enfants Flaubert à Mme Lambert, du Havre.

(34) Les Schlésinger.

(35) Arrivé à Paris le 12 avril, Gustave, sitôt prises ses inscriptions, devait partir chez son oncle Parain, à Nogent-sur-Seine.

(36) Voir lettre de Gustave du 16 avril 1842. Correspondance, supplément. (Éd. Conarci, 1954, p. 7).

(37) Armand Allais, de Pont-l’Evêque.

(38) Voir lettre de Gustave du 3 juillet. (Éd. Conard, 1926, p. 108)

(39) Aujourd’hui rue Denfert-Rochereau.

(40) voir lettres de Gustave (Éd. Conard, 1926, p. 135, 137, 139, et Correspondance, supplément (Éd. Conard, 1954, p. 17).

(41) Voir lettre de Gustave du 1er avril. Correspondance supplément (Éd. Conard, 1954).