Lettre inédite de Gustave Flaubert à Ernest Feydeau

Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 48

 

Lettre inédite de Gustave Flaubert à Ernest Feydeau

Mon cher Vieux,

Je t’assure que j’ai tâté le terrain de tous les côtés — et partout, j’ai vu qu’on m’enverrait promener. Je ne t’ai pas compromis. C’était bien inutile. Mais je te répète que je suis sûr de mon fait. Le vent est aux économies et il me paraît impossible d’arracher quoi que ce soit.

Quant à Théo, voilà deux dimanches que je ne vais pas chez la Psse. Par conséquent, je ne l’ai pas vu. Le seul moyen de mettre la main dessus est d’aller chez lui le matin. Je suis attristé de n’avoir pu rien faire pr toi ! La vie me paraît de moins en moins drôle !

Je n’ai pas encore mon larbin — qui est depuis deux mois à la Maison de Santé (de la rue Saint-Denys). — Coût : 8 fr. par jour et ma cuisinière m’agace, etc., etc. !

Je passe mes jours à la bibliothèque de l’Institut. Celle de l’Arsenal me prête des livres que je lis le soir et je me dépêche de prendre toutes mes notes afin de m’en retourner à Croisset.

Tu me verras un de ces matins si je n’ai pas de nouvelles de toi — mais franchement, j’aimerais mieux aller te voir rue Copenhague qu’à Auteuil.

Tout à toi

Gve Flaubert.

Lundi matin.

Flaubert datant rarement ses lettres, il n’est pas toujours facile d ’en préciser aujourd’hui les dates. Nous devons à la grande obligeance et à la science profonde de M. A.-Fr. Jacobs, de Leeuwarden (Pays-Bas), un de nos fidèles adhérents et spécialiste en la matière, d’établir de façon à peu près certaine que cette lettre — dont l’original est en possession de M. René Herval, de l’Académie de Rouen, — doit être datée du lundi 4 avril 1870. Au début de la lettre, il est à coup sûr question de démarches que fit alors Flaubert pour obtenir une pension au profit d’Ernest Feydeau, alors malade et désargenté, pension qui lui fut d’ailleurs accordée par Arrêté ministériel du 18 juillet 1870 (3.000 francs, sur les frais des Auteurs dramatiques et payables et en septembre seulement). Jusque là, ce fut l’Empereur Napoléon III qui remettait à Feydeau, sur sa cassette personnelle, la somme nécessaire « pour l’empêcher de mourir de faim ».

Flaubert devait d’ailleurs intervenir à nouveau en 1872 (voir Corresp. suppl., n° 590, février 1872) pour faire obtenir une pension en faveur d’Ernest Feydeau. Voir aussi sur la question la brochure récemment parue sur Les Amis de Flaubert-Ernest Feydeau, par A. Finot.

Les lectures dont parle Flaubert en la seconde partie de sa lettre, concernent la Tentation de Saint-Antoine.