Flaubert, Gertrude Collier et Mlle Leroyer de Chantepie

 Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 49

 

Flaubert, Gertrude Collier et Mlle Leroyer de Chantepie

Il y a toujours à glaner dans le Bulletin des Amis de Flaubert. Voici ce que je viens de trouver dans le dernier numéro (n° 7), p. 38-39 :

« Gertrude Collier-Tennant, dans son manuscrit biographique Écrit sur demande, se référant aux conversations du jeune Flaubert en 1837, lui prête le propos suivant :

« Ne lisez pas comme les enfants, pour vous amuser, ni comme les ambitieux pour vous instruire ; non, lisez pour vivre ».

Or je lis dans une lettre à Mlle Leroyer de Chantepie que la Correspondance datait du 16 juin 1867 et que René Descharmes a justement restitué à sa vraie date : juin 1857 :

« Ne lisez pas comme les enfants lisent, pour vous amuser ; ni comme les ambitieux lisent, pour vous instruire. Non. Lisez pour vivre. Faites à votre âme une atmosphère intellectuelle qui sera composée par l’émanation de tous les grands esprits ».

C’est le même texte. Curieux rapprochement, n’est-ce pas ? entre ce propos familier du jeune Flaubert de 16 ans, qui a frappé la jeune Gertrude — et la lettre écrite vingt ans plus tard à Mlle Leroyer ! Rien ne montre mieux, d’une part (en dépit des apparences), la gravité des pensées et des paroles de Flaubert dans sa jeunesse, — d’autre part, sa fidélité constante aux idées qui ont nourri son adolescence. Autre rapprochement caractéristique : dans la même lettre à Mlle Leroyer, il lui conseille à deux reprises avec insistance : « Lisez Montaigne. Lisez-le lentement, posément… Je vous recommande d’abord Montaigne, lisez-le d’un bout à l’autre, et quand vous aurez fini, recommencez ».

Or je vois dans le même article du Bulletin (p. 40) que c’est son exemplaire de Montaigne qu’il donne comme solennel cadeau d’adieu à Gertrude Collier.

Flaubert n’est pas de ceux qui changent, au hasard d’une fantaisie capricieuse… Très jeune, il sait ce qu’il pense, il s’y attache avec passion — et il continue à creuser son sillon.

Bien amicalement,

A.Debidour