Deux erreurs de dates à propos de Madame Bovary

Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 50

 

Deux erreurs de dates à propos de Madame Bovary

Il serait curieux de savoir quel fut le premier flaubertiste qui, pour donner raison au récit controuvé de Maxime Du Camp dans ses Souvenirs Littéraires, a fixé le décès d’Eugène Delamare au 7 septembre 1849, manière peut-être de rendre vraisemblable l’invraisemblable « histoire de Delaunay ».

Si cette date avait été exacte, le récit de Du Camp semblerait admissible. L’Officier de Santé serait décédé quelques jours avant la fameuse condamnation de la Tentation de Saint-Antoine. À supposer que Flaubert et Bouilhet aient été en relations avec Eugène Delamare, cela aurait pu justifier le fameux conseil soi-disant donné à son ami par l’auteur de Melaenis. Mais il n’en est rien…

Au mois de septembre 1849, époque supposée à laquelle aurait eu lieu la suggestion de Bouilhet, il n’y avait pas d’ « histoire de Delaunay » (ou de Delamare). Certes, Delphine Couturier était morte, fort naturellement sans doute, le 6 mars 1848, mais Eugène Delamare ne devait décéder, en réalité, que le 7 décembre 1849, c’est-à-dire à un moment où Flaubert se trouvait déjà en Égypte et, par conséquent, bien loin de Bouilhet.

Cette simple constatation suffit à battre en brèche le récit de Maxime Du Camp et à mettre en doute la légende de Ry, à laquelle l’auteur des Souvenirs Littéraires avait, le premier, voulu donner une apparence de réalité.

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Dès qu’on remonte aux sources, on va d’ailleurs de surprise en surprise dans cette affaire Delamare.

Dans son article du 22 novembre 1890, Georges Dubosc a écrit, à propos du soi-disant suicide par empoisonnement de Delphine Delamare :

« Cette mort tragique mit tout le petit bourg en émoi, d’autant plus qu’elle arriva le soir d’un jour de marché (le 6 mars 1848). Tout le monde fut atterré, etc… »

Le marché a lieu à Ry, depuis un temps immémorial, le samedi. Or, Mme Delamare mourut le lundi 6 mars, qui n’était pas jour de marché. Ce n’est évidemment là qu’un point de détail. Mais Georges Dubosc poursuit ainsi. :

« On eut du mal à descendre le cercueil dans la fosse trop petite dont on chercherait vainement aujourd’hui remplacement recouvert par les hautes herbes du cimetière ». Pour avoir retenu ce détail macabre, un ancien enfant de chœur de Ry devait affirmer plus tard au docteur Brunon qu’il avait assisté à la scène et que la bière avait dû être placée presque debout.

À ce sujet, il est permis d’indiquer, peut-être, que l’incident eut bien lieu. Mais ce fut en 1846, au cimetière Monumental de Rouen, lors des funérailles de la pauvre Caroline Hamard, sœur de Flaubert : « La fosse était trop étroite, le cercueil n’a pas pu y entrer. On l’a secoué, tiré de toutes les façons, on a pris un louchet, des leviers, et enfin, un fossoyeur a marché dessus, c’était la place de la tête, pour le faire entrer ». (Lettre à Maxime Du Camp, mars 1846).

La rencontre n’est-elle pas curieuse, à défaut d’être gaie ?

René Herval.