Flaubert à la Radio : Flaubert et Hugo

Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 56

 

Flaubert à la Radio : Flaubert et Hugo

Notre ami Gabriel Reuillard a bien voulu, dans sa chronique diffusée du dimanche 3 juillet 1955, à la Radio, passer le texte suivant relatif à Gustave Flaubert, à notre Société et à son Bulletin. Nous l’en remercions vivement.

Le dernier Bulletin des Amis de Flaubert nous remet en mémoire par la plume de M. Maurice Haloche quelques thèmes de l’admiration de Gustave Flaubert pour Victor Hugo (et réciproquement).

En ce temps où certains se donnent des airs de mépriser le grand poète (et en général de sous-estimer au moins ses paroles), les plus grands esprits, dont Gustave Flaubert, ont proclamé leur admiration pour les maîtres qui les ont précédés : Les Essais, « Je ne connais pas de livre plus calme et qui ne dispose à plus de sérénité », assurait l’auteur de Madame Bovary. Pour Don Quichotte, « Quel gigantesque bouquin ! » ; Ronsard : « Quel poète, quel poète ! Quelles ailes ! C’est plus grand que… Virgile et ça vaut Goethe, du moins par moments, comme éclats lyriques » ; Voltaire : « Un saint ! les Anglais Shakespeare et Byron, et combien d’autres ! Et Rabelais, ce qu’il en écrit : « Le sacro-saint et extra-beau Rabelais, père de la littérature naïve et franche, de Molière et de La Fontaine, et dont l’œuvre est un fait historique ayant par elle-même une telle importance qu’elle se lie à chaque âge et en explique la pensée ».

Quant à Hugo, dans sa correspondance à Louise Colet, il l’appelle « le grand crocodile ». En décembre 1843, il écrit à sa sœur Caroline, après avoir vu son grand homme pour la première fois : « J’ai pris plaisir à le contempler de près, je l’ai regardé avec étonnement, comme une cassette dans laquelle il y aurait des millions et des diamants royaux, réfléchissant à tout ce qui était sorti de cet homme, les yeux fixés sur sa main droite qui a écrit tant de belles choses. C’était là, pourtant, l’homme qui m’a le plus fait battre le cœur depuis que je suis né, et celui, peut-être, que j’aimais le mieux de tous ceux que je ne connais pas ».

Pendant l’exil, il correspond avec Hugo par l’intermédiaire d’une amie fixée à Londres : « Cependant, vous me permettrez, Monsieur, de vous remercier pour tous vos remerciements et de n’en accepter aucun. L’homme qui, dans ma vie restreinte, a tenu la plus large place, et la meilleure, peut bien attendre de moi quelque service — puisque vous appelez cela des services ! La pudeur que l’on a à exposer soi-même toute passion vraie m’empêche — malgré l’exil — de vous dire ce qui m’attache à vous. C’est la reconnaissance de tout l’enthousiasme que vous m’avez causé ».

Un jour, Louise Colet envoie à Flaubert une lettre qu’elle a reçue de Guernesey. Flaubert lui en accuse réception en ces termes : « La lettre de Victor Hugo m’a fait un singulier effet ; malgré moi, tout cet après-midi, je ne pouvais m’empêcher de reporter mes yeux dessus et d’en considérer l’écriture. Je la connaissais pourtant, mais d’où vient qu’elle ne m’avait jamais causé cette impression ?… As-tu remarqué comme cette lettre écrite au courant de la plume est bien taillée de style, comme c’est carré, coupé ?… Mon vieux culte en a été rafraîchi ; on aime à se voir bien traité par ceux qu’on admire. Comme ils seront oubliés tous les grands hommes du jour quand celui-là encore sera jeune et éclatant. »

La veille des obsèques de Flaubert, on demande à Hugo pourquoi il ne prononcerait pas ou n’écrirait point quelques paroles sur l’auteur de L’Éducation Sentimentale : « Je l’aurais fait, répondit le poète, mais on ne m’a rien demandé. J’aimais Flaubert parce qu’il était bon. L’humanité a, avant toutes choses, deux grandes catégories : les hommes bons et ceux qui ne le sont pas. Je ne veux pas dire les méchants. Flaubert était de ceux qui sont bons, et à cette grande bonté, il ajoutait un grand talent. Je l’aurais dit volontiers ».

Ah ! l’oraison funèbre du poète de La Légende de Saint-Julien l’Hospitalier par le poète de La Légende des Siècles !

Gabriel Reuillard.

II . – Ce même Gabriel Reuillard a bien voulu également, en janvier 1956, consacrer le texte suivant à l’une de ses chroniques, lors d’une émission à la Radio de la France d’Outre-Mer. Nous l’en remercions à nouveau.

[ voir : Les amours de Flaubert]