1956 Bibliographie 1

Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 66

 

Comptes rendus critiques et bibliographie

Études sur Flaubert et sur son œuvre :

Sur Bouvard et Pécuchet, par Lionel Trilling, p. 66 ‒ La création de la Forme chez Flaubert, par Jean- Pierre Richard, p. 66-67 ‒ Le Naturalisme, par Pierre Cogny, p. 67 ‒ Bulletin du Bibliophile, 1955, n° 5, p. 68 ‒ Ernest Feydeau, par M. A. Finot (Docteur Bénassis), p. 68 ‒ Revue de l’Histoire littéraire de la France (juillet-septembre 1955), p. 68 ‒ Un article de Maurice Rat dans le Figaro Littéraire, p. 68-69 ‒ Études Normandes. Livraison XVIII. 1er trimestre 1956, p. 69

**

Sur Bouvard et Pécuchet, par Lionel Trilling

Dans Preuves de novembre 1954, traduit de l’anglais par Christine Dalov, l’écrivain américain, Lionel Trilling, publie une excellente étude sur Bouvard et Pécuchet. Ce roman inachevé (ou plutôt presque achevé) de Flaubert a suscité, on le sait, de nombreuses critiques, voire même des réserves. Flaubert, dans ce roman pour lequel il consulta 1.500 volumes et qui réunit des notes et documents innombrables, a voulu, dans Bouvard et Pécuchet, stigmatiser la stupidité et l’inertie bourgeoises, celles qui s’accommodent du toujours acquis et se refuse à envisager l’avenir, préférant l’idée reçue à l’idée nouvelle. « Je ne peux plus causer avec qui que ce soit sans me mettre en colère, et tout ce que je lis de contemporain me fait bondir », gémissait l’ermite de Croisset. Les malheureux Bouvard et Pécuchet sont à la fois les auteurs et les victimes de la sottise humaine, et l’excellente étude de Lionel Trilling est à signaler et à retenir.

**

La Création de la Forme chez Flaubert, par Jean-Pierre Richard

Dans une importante étude de 100 pages, J.-P. Richard, l’auteur de Littérature et Sensation (Éd. du Seuil, 1954), consacre son réel talent à l’étude de la création de la forme chez Flaubert. On sait avec quelle précision ce prestigieux observateur voyait tout et annotait tout. Une promenade, un clair de lune, une réflexion entendue, un fait divers constituaient pour Flaubert autant d’éléments précieux pour son œuvre. C’est le mécanisme de cette « ingurgitation » d’éléments, leur « trituration », leur mise en place et leurs fins dernières dans la création de la forme chez Flaubert qu’analyse avec une rare puissance objective l’excellent critique qui conclut trop modestement à un essai.

Le premier stade de cet engloutissement de matériaux est de provoquer le désir de connaître : ce tremblement préalable, Flaubert le nommait lui-même la verve. Être en verve, c’est aiguiser l’appétit intellectuel par une savante préparation des mets et des vins réclamés bientôt par l’esprit ; c’est se mettre en route. Après la verve, c’est la satisfaction, et Flaubert, là, s’y entend. Les poètes latins, il s’en bourre ; les couleurs, il s’en donne une ventrée ; les notes s’entassent à la cadence d’innombrables lectures. Flaubert a faim et rien n’arrête cet appétit d’ogre. Vient alors l’assimilation, traduisons l’accommodation de ces matériaux, leur classement en importants, moindres, inutiles. Il y a parfois des nausées de cette trop grande assimilation, d’où le pessimisme et le dégoût (on le lit nettement dans sa Correspondance) de l’écrivain. Il parle vingt fois de renoncer à sa tâche, mais éternel sisyphe, le reprend chaque jour.

Puis, par un phénomène étrange, voici que la masse absorbée (celle qui reste, car Flaubert était un échenilleur impitoyable) se liquéfie et coule. La joie de l’eau pour l’écrivain s’avérait inexprimable. Était-ce la vision du grand fleuve de Croisset, ou les souvenirs de voyage revenant à la mémoire du styliste ? Qui pourrait le dire, mais le phénomène est là, qui explique la phrase « coulante » dont les mots semblent autant de vaisseaux glissant sur une rivière étincelante et douce. « Tout le roman de Salammbô baigne, écrit justement J.-P. Richard après M. Demorest, dans un symbolisme aquatique ». Et Flaubert écrira lui-même : « Je m’en vais de pensées en pensées, comme une herbe desséchée sur un fleuve et qui descend ce fleuve flot à flot » (corresp. II, p. 281). Et aussi : « J’ai en moi comme un grand fleuve qui coule, quelque chose qui bouillonne sans cesse et qui ne tarit point… » (corresp. III, p. 64).

Cette avidité de connaître, cette frénésie de tout englober, expliquent l’amour passionné de Flaubert pour l’œuvre de Goethe, de Cervantes, de Shakespeare, qui, eux aussi, ont résumé l’humanité de leur époque. Mais elle conduit fatalement à l’excès (si fréquent chez notre écrivain) et parfois à la dureté. On connaît notamment l’admiration de Flaubert pour l’œuvre du marquis de Sade, qu’il appelait, on ne sait pourquoi, le Vieux. Cet excès, on le retrouve dans certaines pages atroces de Salammbô (qui lui furent tant reprochées) et, surtout, dans Saint Julien L’Hospitalier, où l’auteur exalte presque le meurtre affreux des père et mère de Julien. Quant à l’indignation de Flaubert pour toutes choses, elle est suffisamment célèbre pour n’en point parler davantage.

Cette remarquable étude abonde d’observations précises, ingénieuses, imagées. M. J.-P. Richard a entrepris là et réussi un travail dont il faut louer la conscience et l’utilité. Il éclaire de façon remarquable et nouvelle toute l’œuvre du grand romancier.

**

Le Naturalisme, par Pierre Cogny

Dans l’agréable collection Que sais-je ? éditée par les Presses Universitaires de France, Pierre Cogny (un de nos fidèles flaubertistes) vient de publier une remarquable étude sur le Naturalisme. Réalistes et naturalistes (les mots n’ont point entre eux une grande différence), annoncés par Champfleury et Duranty, appartiennent, nul ne l’ignore, à cette école qui, pour réagir sans doute contre l’école romantique et ses faveurs et aussi ses excès, n’entendent décrire que ce qu’ils voient, crânement, crûment parfois, avec une abondance de matériaux pris sur le vif et lancés en pleine lumière de vérité. Sur ce point, Pierre Cogny note à juste titre, qu’Aristophane, Molière, Rabelais, ont été des pré-naturalistes. Mais Champfleury (1821-1889) et Duranty (1833-1888), dont les noms, indique M. Cogny, sont plus connus que leurs œuvres, sont, à coup sûr, les pionniers de l’école réaliste. Vient alors la gestation du naturalisme, issu du mouvement scientifique de l’époque de 1850, avec Balzac et Stendhal, pour son épanouissement avec Flaubert et les Goncourt et son apothéose avec Zola, auréolée de l’éclat des soirées de Médan et du Groupe des Neuf (Flaubert, Goncourt, Zola, Mirbeau, Maupassant, Alexis, Céard, Hennique et Huysmans). M. Cogny consacre à chacun de ces écrivains des pages remarquables de biographie et d’exégèse littéraire.

Vient alors, aux environs de 1900, la pléiade d’écrivains que notre génération a connus et aimés : J.-H. Rosny, Victor Margueritte, Lucien, Descaves, A. France, et dont les œuvres ne connaissent, bien au contraire, aucun déclin.

L’ouvrage de M. Pierre Cogny est d’une remarquable clarté, d’une concision toute flaubertienne et sa lecture est à la fois une utilité et un encouragement.

**

Bulletin du Bibliophile, 1955, n° 5

Dans le Bulletin du Bibliophile, 1955, n° 5, M. A.-F. Jacobs, un de nos fidèles adhérents, de Leeuwarden (Pays-Bas), publie une remarquable étude sur la datation des lettres de Flaubert, pour la période 1879 et 1880. C’est là un travail de documentation du plus grand intérêt, trop de lettres de Flaubert ayant été irrégulièrement datées lors de leurs publications. Nous adressons nos compliments bien sincères à M. A.-F. Jacobs, ami aussi fervent que dévoué.

**

Ernest Feydeau, par M. A. Finot (Docteur Bénassis)

M. A. Finot (docteur Bénassis), également un de nos fidèles adhérents, continuant ses remarquables études sur les Amis de Gustave Flaubert, vient de publier après ses ouvrages sur Louise Colet et Louis Bouilhet, un opuscule du plus vivant intérêt sur Ernest Feydeau, qui fut l’un des meilleurs amis de Flaubert. Clair, précis, très documenté, fort bien annoté, c’est là un travail de premier plan que les flaubertistes liront avec profit. Ernest Feydeau est une belle figure littéraire (que la notoriété de son fils Georges Feydeau n’a pas diminué, bien au contraire), auquel Flaubert s’intéressa avec la plus vive amitié. La brochure de M. Finot est digne de ses devancières ; elle honore son auteur.

**

Revue de l’Histoire Littéraire de la France

(juillet-septembre 1955)

Cette très remarquable Revue (que nous remercions encore pour l’aide qu’elle veut bien apporter à notre Société et à son Bulletin) publie, sous la signature de M. Claude Pichois (page 376 et suivantes), une critique assez serrée d’ailleurs sur la publication de la Correspondance de Flaubert — Supplément, 4 volumes — mettant au point, notamment, quelques erreurs de classement quant aux dates (il est vrai que ce n’est pas toujours facile de les éviter en telle matière ! ), mais faisant un juste éloge de l’ensemble de ce travail qui livre aux flaubertistes bien des coins demeurés obscurs de la vie de Flaubert.

Au cours de cette critique, M. Claude Pichois est appelé à évoquer deux comptes rendus, vraiment curieux d’ailleurs, parus en leur temps. L’un, de Jules Janin, dans l’Almanach de la Littérature, du Théâtre et des Beaux-Arts de 1858, où Janin, pour se libérer avec sa conscience, fait un décent éloge d’un ouvrage qui, dit-il, eut « le plus grand succès de l’année… (1857) : Madame Bovari (il écrit avec un i)… de M. Flauguerges ( !) », distraction de grand homme sans doute…

L’autre article est de Émile Chevalet, paru à la même date dans l’Annuaire de la Littérature et des Auteurs Contemporains, lequel reproche à Flaubert (il s’agit de Madame Bovary) « sa vulgarité, son invraisemblance et son style… » Le temps s’est heureusement chargé de réparer tout cela.

**

Un Article de M. Maurice Rat dans le Figaro Littéraire

M. Maurice Rat, un de nos fidèles adhérents qui a déjà beaucoup écrit sur Flaubert et sur son œuvre, a bien voulu consacrer une de ses études littéraires à l’article de M. Philipp Spencer sur la Jeunesse de Flaubert, paru dans notre dernier Bulletin, n° 7.

Ce vaste tour d’horizon (Figaro Littéraire du samedi 21 janvier 1956) évoque les séjours de la famille Flaubert à Trouville et les premières rencontres avec la famille anglaise des Collier. M. Maurice Rat a relaté, d’une plume alerte, les premières amours d’entre Gustave et Gertrude (et peut-être aussi sa sœur Harriet) et précisé avec autant d’opportunité que de talent, l’influence de ses premières émotions sentimentales sur toute l’œuvre de Flaubert. C’est là un travail excellent dont il y a lieu de remercier M. Maurice Rat.

**

Études Normandes. Livraison XVIII. 1er trimestre 1956

Courrier des Revues et Sociétés Normandes

Dans la livraison XVIII des Études Normandes (1er trimestre 1956) qui vient de paraître, le critique littéraire veut bien consacrer quelques lignes élogieuses à l’égard de notre Bulletin et de notre Société. Nous remercions notre confrère de sa sympathie. Signalons, de notre côté, l’attrait réel de cette excellente publication normande qui entre dans sa cinquième année d’existence et dont chaque numéro est un vivant reflet de son activité bienfaisante.

**

BIBLIOGRAPHIE

Gustave FLAUBERT. — Bouvard et Pécuchet. Édité chez Garnier, 1954. Introduction et notes par Ed. Maynial.

BART (B. F.). — Flaubert’s Correspondance. R. Review, février 1955.

Claude DIGEON. — Flaubert et le Dictionnaire des Idées reçues. Annales Universitatis Saraviensis Philosophie Lettres, 1953, n° 4.

Albert KIES. — Une lettre inédite de Flaubert à Louis Bouilhet. Revue Histoire Littéraire de la France, janvier-mars 1955.

Norman RUDICH. — L’unité artistique chez Gustave Flaubert. Esthétique rêvée et réelle (Thèse Princeton, University 1951). Dissertation abstracts, 1953, n° 4.

Marcel CROUZET. — Flaubert a-t-il démasqué Balzac ? Revue Histoire Littéraire de la France, octobre-décembre 1955,

Th. BESTERMAN. — Voltaire jugé par Flaubert. Essai sur les Mœurs, édition de 1784. Travaux sur Voltaire, Genève 1955.

Claude PICHOIS. — Correspondance de Gustave Flaubert. Supplément en 4 volumes. Critique littéraire, Revue de l’Histoire Littéraire de la France, juillet-septembre 1955, signalant en outre 2 articles de l’époque, lors de la parution de Madame Bovary, en 1857, l’un de Jules Janin dans « l’Almanach Littéraire du Théâtre et des Beaux-Arts » de 1858, l’autre de  Émile Chevalet dans « l’Annuaire de la Littérature et des Auteurs Contemporains », 1858.

Bien que ces références soient assez anciennes, signalons à cette rubrique :

Walter ALLEN. — Flaubert and The Novelist To-Day (Étude sur l’Éducation Sentimentale, à propos d’une traduction du roman faite par Antony Goldsmith et publiée en 1941 dans le « Penguin New-Writing », septembre 1941).

Jean SEZNEC. — Flaubert à l’Exposition de 1851, dans le Clarendon Press de Oxford, en 1951.