1956 La vie de notre Société 1

Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 70

 

La vie de notre Société

Lundi 29 août 1955 : Inauguration à Ry d’une plaque sur la Maison dite des Bovary, p. 70 ‒ Mardi 20 septembre 1955 : Conférence René Herval, à Forges-les-Eaux, sur les Origines de Madame Bovary, p. 70- 71 ‒ Dimanche 2 octobre 1955 : La Société des Amis de Flaubert et l’Académie de Rouen célèbrent le cinquantième anniversaire de la mort de José-Maria de Heredia, p. 71-72 ‒ Dimanche 11 décembre 1955 : Les Amis de Flaubert se sont recueillis sur sa tombe, p. 72-73 ‒ Dimanche 11 décembre 1955 : Conférence de M. Pierre Cogny sur : « Destinées littéraires (Flaubert, Zola, Huysmans) », p. 73 ‒ Dimanche 18 mars 1956 : Chez les Amis de Gustave Flaubert. Conférence de M. Edgar Raoul-Duval sur Raoul Duval, membre du comité de défense de la ville de Rouen pendant la Guerre de 1870-71, p. 74

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Le Lundi 29 Août 1955

Inauguration à Ry d’une Plaque sur la Maison dite des Bovary

Le lundi 29 août 1955, le Comité Bovary faisait inaugurer la pose d’une plaque sur la maison de ce charmant village où le ménage Delamare avait vécu et où était décédée, le 6 mars 1848, Mme Delamare, devenue par le génie de Flaubert, Emma Bovary.

La cérémonie, très simple en elle-même, était présidée par M. André Marie, ancien ministre de l’Éducation Nationale. M. A. Marie, après M. Vérard, président du Comité Bovary, prononça un discours fort littéraire, affirmant que, selon lui, aucun doute n’était possible entre le rapprochement Delamare-Bovary, les similitudes étaient par trop frappantes. L’orateur conclut, de façon péremptoire : « Cette plaque fera taire désormais toutes les controverses inutiles… »

Après cette brève cérémonie, un vin d’honneur réunit à la mairie les personnalités invitées.

Assistaient notamment à cette inauguration, aux côtés de MM. Marie et Vérard, M. Allix, maire de Ry ; les adjoints et conseillers municipaux ; M. Jacques Toutain-Revel, président de la Société des Amis de Flaubert ; M. Senilh, trésorier, et plusieurs membres du Comité.

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 Le Mardi 20 Septembre 1955

Conférence René Herval, à Forges-les-Eaux, sur les Origines de Madame Bovary

Le mardi 20 septembre 1955, M. René Herval, président des Écrivains Normands, Grand Prix de Littérature régionaliste, qu’accompagnait M. Jacques Toutain, président de l’Association « Les Amis de Flaubert », est venu exposer, au petit théâtre « Les menus Plaisirs », les résultats de ses recherches touchant l’œuvre du grand écrivain rouennais, Gustave Flaubert, sur les origines de Madame Bovary et la description qu’il fit de Yonville-l’Abbaye, pièces d’archives à l’appui, éléments qui bouleverseraient les traditions jusqu’ici acceptées par les historiens de la Littérature.

Ce fut devant une assistance de choix, parmi laquelle nous avons noté, avec le Maître Jacques Hébertot, MM. le Dr Thomas, Pierre Boitel, Julien Batel, conseillers municipaux ; Jean Videcoq, notaire ; le marquis et le comte des Roys, le baron de Bosmelet ; le Dr Galerant, de la Société « Les Amis de Flaubert » ; le Dr Le Roy ; Me Le Cornu, Bard, de Neufchâtel ; nos confrères Parment et Jean Radiguet, de Neufchâtel, etc., que M. René Herval exposa les multiples raisons et cita les nombreux documents qui, comme tant d’autres, l’incitent à penser que le site décrit par Flaubert en Yonville-l’Abbaye est, pour partie, Forges et non Ry, comme l’a écrit notre vieil ami et éminent confrère le regretté Georges Duboc.

Nous ne reproduirons pas, à nouveau, tous les détails de la puissante

et indéniable argumentation développée sur le ton simple de la conversation, mais avec un esprit pétillant et souvent amusé par H. René Herval. Disons, en conclusion, qu’il est incontestable que le grand romancier a séjourné à Forges-les-Eaux et qu’il paraît certain qu’Yonville-l’Abbaye et la coquette cité brayonne sont bien semblables, avis d’ailleurs partagé par M. Jacques Toutain, qui vint renforcer la thèse de M. René Herval et le remercier, au nom de l’assistance, de son brillant exposé. Ce fut également celle de notre distingué confrère, M. Roger Parment, qui, en termes excellents, se rangea aux avis exposés quant aux sites, restant, lui aussi, dans les suppositions quant aux personnages, sans pour cela vouloir opposer à la légende de Ry celle de Forges-les-Eaux.

Et nous sommes d’accord avec notre confrère lorsqu’il déclare, pour conclure, que « Les partisans de Ry, comme ceux de Forges-les-Eaux, ne trouveront pas à Rouen (ni ailleurs) leur champ de bataille ».

(La Dépêche de Forges, jeudi 22 septembre 1955).

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Le Dimanche 2 Octobre 1955

La Société des Amis de Flaubert et l’Académie de Rouen célèbrent en commun le cinquantième anniversaire de la mort de José-Maria de Heredia

Le 2 octobre 1905, au domicile de M. et Mme Itasse, au château de Bourdonné, mourait José-Maria de Heredia. Cinq jours plus tard, selon son vœu, il était inhumé au cimetière de Blosseville-Bonsecours, dominant la vallée de la Seine.

Le 2 octobre 1955, le cinquantenaire de ce deuil a été célébré, sous la présidence de M. Pascal Bonetti, président de la Société des Poètes Français. Bonsecours et Rouen furent les lieux où les fervents du poète des Trophées, ainsi que les notabilités, se réunirent pour évoquer son souvenir.

Il convenait qu’en terre normande soit évoqué son souvenir en cet anniversaire. Aussi, dès 11 heures, vit-on se rassembler devant la mairie de Bonsecours, pour se rendre en pèlerinage sur la tombe du poète, d’éminentes personnalités du monde des Lettres et des Arts et les hautes autorités de la région.

À travers la petite ville, ils gagnèrent l’esplanade et descendirent vers le cimetière et vers la tombe de l’auteur des Trophées, où les attendaient d’autres personnes ayant tenu également à célébrer ce souvenir. Sur la pierre, au-dessus du nom du poète, est gravé un fragment d’André Chenier :

« Mon âme vagabonde à travers le feuillage frémira ».

Cette pierre fut bientôt recouverte de fleurs. Et Mlle Nicole Roche, avec beaucoup de talent et d’émotion, lut un poème de Marie de Heredia, aujourd’hui devenue Gérard d’Houville, évoquant, un an après sa mort, le souvenir de son père.

L’après-midi, à 16 heures, au Musée d’Histoire Naturelle, enclave Sainte-Marie, se tenait la réunion d’hommage à Heredia, sous la présidence de M. Pascal Bonetti.

M. Pascal Bonetti donna la parole d’abord à M. Jacques Toutain, président des Amis de Flaubert, initiateur de cette manifestation, qui lut l’émouvant télégramme que lui avait adressé la veille Mme Marie de Régnier, la fille du poète, empêchée de venir et qui délégua pour cette circonstance son amie, Mme Henriette Cuny.

Puis on entendit M. René Herval évoquer la généalogie de José-Maria de Heredia, qui compta un grand-père, du même nom que lui, qui acquit en Amérique du Sud une haute réputation.

M. Jacques Toutain, lui, relata les relations d’amitié qu’entretinrent Heredia, Flaubert et Maupassant. La correspondance entre ces hommes de Lettres témoigne de la forme de leurs rapports. Les citations qu’en donna M. Toutain sont fort savoureuses, Flaubert était enthousiasmé, dès la parution de la traduction de l’Histoire véritable de la Nouvelle Espagne, par l’œuvre de Heredia, qu’il jugeait fort amusante. Le poète des Trophées vint à Croisset. Il s’y entretint de Bouvard et Pécuchet avec le romancier. Il y rencontra Maupassant. Et c’est lui qui représenta dans notre ville l’Académie Française lors de l’érection du monument Guy de Maupassant. Il prononça, à cette occasion, un magnifique éloge de Rouen.

M. Jacques Toutain, en terminant, associa à José-Maria de Heredia son gendre, Henri de Regnier, gentilhomme et poète, comme lui originaire de Honfleur, qui fut un habitué de Croisset.

Puis Mlle Nicole Roche et M. Alain Tocque donnèrent aux sonnets des Trophées une interprétation très heureuse, soulignant avec finesse les nuances, l’art si particulier, les jeux de sonorités du poète parnassien.

Cette journée commémorative de la mort de José-Maria de Heredia et de ses amitiés fut en tous points digne de l’homme que l’on célébrait. Son ombre avait vu venir vers lui, le matin, un pieux cortège. Il avait écrit : « De ma chair renaîtra la rose ensanglantée ». La végétation et le ciel d’automne rendaient cette rencontre plus émouvante encore. Le soir, après qu’une érudition sûre et patiente eut reconstitué son passé, sa physionomie, ses prédilections, deux jeunes gens accordèrent leurs voix à la sienne avec ferveur, avec pitié encore. Il n’eût pas souhaité mieux,

Maurice Morisset.

(Paris-Normandie, lundi 3 octobre 1955).

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Le Dimanche 11 Décembre 1955

Les Amis de Flaubert se sont recueillis sur sa tombe

Le temps fâcheux n’a pas dérouté les Amis de Flaubert. Ils ont accompli, le dimanche 11 décembre 1955, le pèlerinage d’anniversaire de la naissance. Ils se sont retrouvés à la porte du Monumental, ont gravi les chemins en lacet du cimetière.

La pluie labourait les sentiers, La boue collait aux semelles. Les Amis de Flaubert évoquaient le grand Flau, discutaient de Madame Bovary, de Ry, de Forges.

Sur la tombe, le Président Jacques Toutain déposa une gerbe. Il n’y eut pas de discours. Une minute de recueillement témoigna de la profonde piété des visiteurs.

Ils se rendirent sur la tombe voisine de Louis Bouilhet, l’intime, le

confident de Flaubert. La ville et l’heure les appelaient. Les grands clochers déchiraient les brumes comme dans un fusain de Fréchon, une Seine de Louvrier.

On se sépara, en se fixant rendez-vous pour l’après-midi pour entendre la conférence de M. Pierre Cogny qui s’était joint aux amis rouennais de Flaubert ; MM. Sénilh, trésorier ; MM. Creignou, Poullard, Warther, Andrieu, A. P. Pani, Robert Eude, de l’Académie de Rouen.

Me Bernard Tissot, adjoint aux Beaux-Arts, avait accompagné les pèlerins flaubertistes dans leur touchante expédition.

R. P.

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Le Dimanche 11 Décembre 1955

Conférence de M. Pierre Cogny sur : Destinées Littéraires (Flaubert, Zola, Huysmans)

Le dimanche 11 décembre 1955, au Muséum. d’Histoire Naturelle, salle des Sociétés Savantes, la Société des Amis de Flaubert, par la voix de son distingué président, M. Jacques Toutain, reçut et présenta M. Pierre Cogny, professeur et homme de Lettres, secrétaire général, à Paris, des Amis de Zola, qui, en une conférence très documentée, vivante et captivante, tint sous le charme la nombreuse assistance attirée par ces trois grands noms de notre littérature du siècle dernier : Flaubert, Zola, Huysmans.

M. Pierre Cogny, avec sa parole aisée, ses larges vues, sa psychologie pénétrante, mit en lumière leurs tendances, leurs rapports d’amitié, divergences et ressemblances.

D’après M. Cogny, les documents et correspondances qu’il produisit, le plus sincère et le plus aimant fut certainement Zola, qui avait pour Flaubert toute l’admiration d’un disciple fervent.

L’amitié de Flaubert est certainement plus tiède. La persévérance et le labeur de Zola les rapprochent. Mais Flaubert, par indépendance, n’aime pas le chef d’école et ironise à ce sujet avec Maupassant. Quant à Huysmans et Flaubert, les rapports sont plus simples, Huysmans étant beaucoup plus jeune, mais il aima et admira profondément l’auteur de Madame Bovary, avec timidité d’ailleurs, de même que vis-à-vis de Zola. Il y avait entre eux des affinités, et nous avons en Flaubert, Zola et Huysmans trois destins parallèles.

Un seul point les rassemble : c’est le pessimisme de leurs premières œuvres. Flaubert avec celles de sa jeunesse, Zola avec ses romans de début, Huysmans avec son Là-bas. Mais, par des destins parallèles, tous trois s’évadent de la prison intellectuelle et de son ambiance à la Schopenhauer. Chacun d’entre eux trouve une consolation à se plonger dans une toute autre atmosphère. Flaubert s’adonne à la littérature réaliste ; Zola devient le chantre de la Vie ; Huysmans, celui de la Foi. Ces destins les rassemblent encore dans leur immortalité.

Cette passionnante conférence, prononcée avec autant de lyrisme que de précision, fut vivement applaudie. M. Jacques Toutain, président de la Société, n’eut aucune peine à remercier M. Pierre Cogny, et à ses côtés Mme Pierre Cogny, flaubertiste des plus distinguées, de leur intervention et de leur voyage à Rouen.

(Paris-Normandie, jeudi 15-12-1955).

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Le Dimanche 18 Mars 1956

Chez les Amis de Gustave Flaubert, Conférence de M. Edgar Raoul-Duval sur Raoul-Duval, membre du Comité de Défense de la Ville de Rouen pendant la Guerre 1870-71

Les Amis de Gustave Flaubert ont donné, le dimanche 18 mars 1956, au Muséum de Rouen, une magnifique conférence de M. Edgar Raoul-Duval, de Notre-Dame-du-Vaudreuil, sur son éminent aïeul Raoul-Duval, qui compta parmi les amis les plus sûrs du grand romancier.

La séance était présidée par M. Jacques Toutain. De nombreuses personnalités y assistaient, notamment MM. Ricaud, premier Président à la Cour d’Appel ; Laruelle, adjoint au maire ; Mme Louvet ; M. André Dubuc, président de la Société d’Émulation ; Me Casoni ; M. A. Pierre-Pani, Fontaine, Sénilh, Craignou, Andrieu, membres du Comité.

En quelques mots, M. Jacques Toutain présenta le sympathique conférencier qui retraça, non sans éloquence, quelques émouvantes pages de notre histoire locale, à laquelle Raoul-Duval fut mêlé.

Fils d’un premier Président à la Cour de Bordeaux et descendant d’une ligne de magistrats, M. Raoul-Duval vint à Rouen en 1866 comme avocat général. Très soigné de sa personne, fervent adepte de la culture physique, cavalier accompli, il portait la barbe alors que les autres magistrats ne portaient que les favoris, ce qui était de sa part un premier signe d’indépendance. Il aimait l’Empire, mais n’approuvait pas tout, car il était démocrate. Son activité débordante le conduisit successivement aux charges de conseiller municipal, conseiller général et député. Ce fut un très grand citoyen, d’une franchise absolue et d’un courage à toute épreuve. Il eut d’ailleurs l’occasion de le montrer en maintes circonstances et notamment dans ses discours, tant aux séances solennelles de rentrée de la Cour qu’à la Ligue de l’Enseignement, où son talent s’exerçait en milieu ouvrier.

C’est chez Lapierre, ancien directeur du Nouvelliste de Rouen, que Raoul-Duval rencontra Gustave Flaubert et qu’ils devinrent amis.

M. Edgar Raoul-Duval ne manqua pas de souligner l’action de son aïeul en tant que membre du Comité de défense de la ville de Rouen pendant la terrible guerre de 1870-1871, son intervention auprès du Gouvernement de Tours pour hâter les préparatifs, puis auprès du Gouvernement réfugié à Bordeaux, pour faire litière des calomnies répandues sur le Conseil municipal de Rouen qu’on accusait d’avoir vendu la ville aux ennemis ; enfin, ses démarches auprès de Bismarck, qui eurent pour résultat de faire réduire des deux tiers la contribution de guerre de six millions (or), imposée à la ville de Rouen.

Quand il eut à annoncer la mort de Raoul-Duval à la Chambre des députés, Charles Flocquet, qui présidait la séance, dit simplement : « On ne fait pas l’éloge de pareils hommes, on s’en souvient ! ». Pouvait-on juger mieux ?

M. Edgar Raoul-Duval, est-il besoin de le dire, fut très applaudi, et M. Jacques Toutain le remercia au nom de tous les auditeurs présents.

G. P.