Louise Colet plagia-t-elle Lamartine ?

Les Amis de Flaubert – Année 1957 – Bulletin n° 10 – Page 28

 

Louise Colet plagia-t-elle Lamartine ?

Pour taquiner ses confrères de l’Académie, Anatole France aimait conter cette historiette, dont notre Flaubert et notre Bouilhet auraient été, avec Louise Colet, les héros.

Louise Colet, jolie muse, qui ne manquait ni d’esprit ni de talent, se piquait de remporter un prix académique chaque année. Elle y parvenait régulièrement, grâce à l’appui de quelques hommes illustres, en tête desquels il faut placer Victor Cousin.

Anatole France prétendait que ces messieurs du quai Conti élisent et couronnent sans lire. Si c’en est une, il en administrait cette preuve.

Une année, Louise Colet, en retard pour écrire le poème de concours, prie Flaubert et Bouilhet, qu’elle avait à dîner la veille du délai d’envoi des copies, de lui confectionner une pièce de choix.

Pendant qu’elle s’occupe des autres convives, elle enferme ces deux-là dans son cabinet de travail, non sans leur indiquer son placard à tabac et à eau-de-vie, car elle fumait ferme et buvait sec.

Le sujet du concours était « L’Immortalité ». Simplement !

Vers onze heures du soir, les compères, après avoir beaucoup fumé, bu et bavardé, se souviennent de leur promesse :

— Et l’Immortalité ? s’inquiète Bouilhet.

— Zut ! grogne Flaubert, peu disposé, qui verse dans les deux verres une nouvelle rasade.

À minuit moins le quart, Bouilhet supplie le camarade.

Flaubert rechigne encore, puis, étendant la main vers un rayon de livres, saisit un Lamartine, l’ouvre à n’importe quelle page et ordonne :

— Écris !

Après avoir dicté d’affilée deux cents vers des Harmonies, il ajoute, de sa main, le titre, et signe de la même main : Louise Colet.

— Est-fini, mes trésors ? s’inquiète la poétesse qui pousse la porte au bon moment, quand l’exemplaire des Harmonies a retrouvé sa place.

— Mais oui, mais oui, peuvent déclarer « les trésors », l’âme sereine.

Louise jette un coup d’œil aux feuillets, et, sans reconnaître Lamartine, assure :

— Vous ne vous êtes pas foulés. Ça ira quand même. Vous êtes des anges.

Les « trésors-anges » reçoivent, pour si peu de peine, deux gros baisers.

Anatole France assurait qu’on imprima les vers de Lamartine sous le nom de Louise Colet.

À vérifier aux archives de l’Académie Française, si, toutefois, on y retrouve la maîtresse pièce de cette supercherie littéraire, qu’aurait dévoilée, bien plus tard, notre Flaubert.

Gabriel Reuillard