Quelques prototypes « traditionnels » de Madame Bovary

Les Amis de Flaubert – Année 1957 – Bulletin n° 11 – Page 15

Recherches sur quelques prototypes « traditionnels » de Madame Bovary :

Eugène et Delphine  Delamare  — Stanislas Bottais —
Louis Campion — Les Jouanne — Thérain

Au sujet du « suicide » de Louis-Gabriel Campion

 

Dans l’article qui suit, nous nous sommes proposé par delà une tradition parfois discutée et sans nous laisser non plus influencer par le roman, d’esquisser d’une façon plus systématique qu’il n’a été fait jusqu’ici, en ce qui concerne surtout l’histoire de leur fortune, la vie de la plupart des principaux prototypes qui, dans l’état actuel des recherches, nous semblent s’identifier le mieux avec les personnages de Madame Bovary, à savoir : Eugène et Delphine Delamare, Stanislas Bottais, Louis Campion, les deux Jouanne et Thérain.

Bien que nous ayons consulté les archives communales, paroissiales et universitaires, les actes de vente, la presse contemporaine, les almanachs et les annuaires, nous ne nous dissimulons pas les lacunes d’un « essai » qui, en principe, ne dépassera guère 1850, sauf quand les événements postérieurs aideront à préciser le passé.

EUGÈNE DELAMARE

Les Études Médicales.

Le registre des délibérations du Conseil municipal de Ry, en date du 1er janvier 1837, indique que le titre d’Officier de Santé a été conféré au sieur Delamare Eugène, âgé de 22 ans, natif de Rouen (Seine-Inférieure), après qu’il a eu exhibé au Jury médical du département la preuve de cinq ans d’études à l’Hôtel-Dieu de Rouen et subi publiquement, conformément à l’art. 17 de la loi du 19 ventôse, an onze, les examens ordonnés, savoir, le premier, le 15 septembre 1833, sur l’anatomie ; le deuxième, le 16, sur les éléments de la médecine ; le troisième, le 17, sur la chirurgie et les connaissances les plus usuelles de la pharmacie. Ce titre a été signé à Rouen, le 10 septembre 1834, par les docteurs Adelon et Des Alleurs et porte le visa du doyen de la Faculté de Médecine de Paris, Orfila.

Les Débuts.

Le nom d’Eugène Delamare paraît pour la première fois en 1835 comme Officier de Santé à Catenay (« Almanach de Rouen et des départements de la Seine-Inférieure et de l’Eure », p. 54), où son père, après avoir abandonné son commerce de vins à Rouen, s’était retiré.

Son installation à Ry.

L’année suivante, en 1836, d’après le même almanach, on le trouve à Ry. Il y avait eu comme prédécesseurs, en 1832, 1833, 1834 et 1835, successivement, Brossier, puis Lefebvre, et il allait y rencontrer, comme concurrent, le docteur Laloy (l’oncle de Jules Levallois, le secrétaire de Sainte-Beuve), installé à Épreville-Martainville.

Sa carrière médicale.

Dans le compte rendu de tutelle établi par son beau-père, Pierre-Jean-Baptiste Couturier, lors du mariage de sa petite-fille, Alice-Delphine Delamare, figurent sur plusieurs pages les noms des clients qui, à la mort de l’Officier de Santé, n’avaient pas acquitté leurs honoraires. On peut ainsi, grâce au nom de la localité, se faire une idée de l’extension et de l’importance de sa clientèle. En partant de Catenay presque à la verticale de Ry, au Nord, et en descendant vers le Sud suivant un demi-cercle de 6 à 7 kilomètres de rayon, on rencontre les noms de Boissay, Saint-Aignan, Rebets, Les Hameaux, Le Puits, Le Catillon, Saint-Denis-le-Thiboult (plusieurs fois mentionné), Le Mouchel, Vascœuil, Les Hogues et Sainte-Honorine. Par contre, à l’Ouest de Ry, où Delamare se heurtait au docteur Laloy, on ne relève que Grainville-sur-Ry, Martainville, Auzouville-sur-Ry et, le plus à l’Ouest, Bois-l’Évêque.

Mort de son Père.

Le 24 juin 1841, son père décédait à Catenay. Il est indiqué sur l’acte de décès comme « propriétaire et cultivateur ».

Naissance de sa Fille.

Née le 29 novembre 1842, ondoyée le 4 décembre, l’enfant fut baptisée le dimanche 26 février 1843. Le registre de la paroisse lui attribue les prénoms de Delphine-Félicie-Augusta-Alix. Or, dans un acte de vente du 30 mars 1848, dont nous parlerons tout à l’heure, elle est prénommée Florine-Augusta-Delphine-Alice.

Mais le contrat de mariage du 13 juin 1860 fera disparaître Florine et rejettera Augusta après Alice-Delphine. Enfin, la pierre tombale, au cimetière de Bonsecours, ne conservera que ceux d’Alice et de Delphine. Une influence maternelle, que le mari aurait respectée, aurait-elle imposé ces prénoms éphémères ? Toujours est-il que le père, disparu à son tour, les survivants de la famille et l’intéressée elle-même les répudièrent, les trouvant probablement trop excentriques.

Un ménage endetté.

L’acte de vente du 30 mars 1848, que nous analyserons tout à l’heure, ne nous révèle pas seulement ces deux prénoms inconnus de la fille des Delamare ; il indique aussi que dans la brève histoire de ce ménage, des dettes ont été régulièrement contractées :

Une de 6.000 francs, les 30 juillet et 3 août 1843 ;

Une de 1.000 francs, en juillet 1845 ;

Une de 1.500 francs, en novembre 1845 ;

Une de 1.200 francs, en mai 1847,

soit un total de 9.700 francs.

Mort de sa Femme : 6 Mars 1848.

En comparant la signature de Delamare avant cette date à celle qu’une main défaillante a ébauchée sur le Registre des Décès, on peut se rendre compte du « choc » que cette mort lui causa (1). Aux graphologues de dire si la douleur d’un mari devant une mort naturelle peut réduire sa signature à ce point ou s’il faut y voir « l’enregistrement » du drame que la tradition a accrédité.

La Vente du 30 Mars 1848.

Un peu plus de trois semaines après la mort de sa femme, Eugène Delamare vendit à Jacques Fongueuse, cultivateur à Catenay, « un herbage de 1 hectare 63 ares 14 centiares, clos de haies vives, édifié de maison de maître… comprenant jardin légumier entouré de murs, borné d’un côté par une pièce de terre labourable restant au vendeur » (voir le Mémorial de Rouen du samedi 7 octobre 1848, 4e p., 4e col.). Cette maison de maître n’était autre que celle où ses parents s’étaient retirés et où son père, quelques années plus tôt, était décédé. Mieux encore, elle avait eu dans le passé comme propriétaires les grands-parents de l’Officier de Santé, Nicolas-Joseph Delamare, décédé à Rouen, place de la Basse-Vieille-Tour, vers le mois d’avril 1810, et dame Bellanger, sa femme, décédée au même lieu, le 1er juillet 1816.

L’immeuble ci-dessus avec la pièce de terre labourable contiguë, d’une contenance de 85 ares 12 centiares, et la moitié indivise d’une maison sise à Rouen, place de la Basse-Vieille-Tour, n° 22, composaient le lot d’Eugène ; le 2° étant attribué à sa sœur Antoinette-Euphrasie, qui avait épousé un cultivateur de Mesnil-Esnard, Pierre-Patrice Lebourg.

L’acte de vente (2) indique : 1° que les biens dépendant de la succession de feu Pierre Delamare étaient grevés d’un droit d’usufruit de sa veuve, mais que celle-ci en avait fait l’abandon à ses deux enfants moyennant une rente annuelle viagère de 400 francs, payable par moitié par son fils et sa fille.

2° que l’hypothèque prise pour conserver cette rente servait aussi de sûreté d’un capital de 10.000 francs dû à Mme veuve Delamare par ses deux enfants, par portions égales pour ses droits et reprise matrimoniaux à exercer sur la succession de son défunt mari, suivant son contrat de mariage… Le dit capital était exigible au jour Saint-Michel 1844.

Cette vente du 30 mars 1848 produisit 10.025 francs de prix principal.

Sur cette somme, 5.000 furent versés au vendeur, les 5.000 autres devaient rester entre les mains de l’acquéreur chargé d’acquitter à Mme veuve Delamare la portion de capital dont il vient d’être question.

Le Conseiller Municipal.

Le 2 septembre 1839, un mois à peine après son second mariage, Eugène Delamare était installé au Conseil municipal de Ry. La présence constante de sa signature sur le Registre des délibérations témoigne d’une assiduité qui ne se démentit qu’après la mort de sa femme, et encore très relativement. En effet, sur les 27 séances qui se tinrent entre celle-ci et la sienne, il participa à 17, notamment à celles consécutives des 26 mars, 8 et 11 mai 1848, montrant ainsi que son deuil ne le détournait pas de ses devoirs de citoyen. Le tableau ci-dessous, d’ailleurs, fera ressortir l’alternance des présences et des absences.

1848 : Présences Absences
26 mars8 mai11 mai

1er octobre

3 —

5 —

16 —

13 novembre

18 —

24 —

27 juin3 juillet

12 septembre

1849 : Présences Absences
11 février14 février10 mai

22 mai

7 novembre

12 —

18 —

10 janvier8 février22 avril

6 mai

12 juillet

6 août

29 novembre

En 1848 donc, sur 13 séances, 10 présences et 3 absences, celles-ci consécutives. En 1849, sur 14 séances, 7 présences seulement et 7 absences, alternant régulièrement. Il n’a pu s’agir, en tout cas, d’un relâchement volontaire ou suspect, car le 7 novembre, un mois avant sa fin, le registre mentionne qu’« il accepta d’être secrétaire ». Ses concitoyens lui auraient-ils proposé ces mêmes fonctions, s’ils l’en avaient estimé indigne ?

Il semble que ces éclipses ne puissent s’expliquer que par son état de santé ou son chagrin. À défaut d’autres documents, la signature de Delamare, rapprochée du tableau ci-dessus, fournit quelques indications sur sa psychologie pendant ces vingt-et-un mois. On constate alors que dans une première période allant du 7 mars 1848 au 22 mai 1849, sans toutefois reprendre son ampleur primitive, sa signature se reconstitue et s’horizontalise progressivement, comme si le désarroi faisait place à l’apaisement. Quant aux . ‘ . , ils ne reparaissent que 7 fois sur 15.

Mais, brusquement, le 22 mai 1849, un effondrement comparable à celui du 7 mars 1848 se produit, indice d’une nouvelle crise qui allait empêcher le signataire d’assister aux séances des 12 juillet et 6 août et qui, finalement, dut être surmontée, puisque, en même temps qu’il se retrouvait à celles des 7, 12 et 18 novembre, il traçait à nouveau les lettres de son nom d’une main un peu plus régulière et plus ferme, mais sans plus le souligner des . ‘ . une seule fois pendant toute cette seconde période.

La Mort.

Dans un entrefilet nécrologique de l’Impartial de Rouen du mercredi 12 décembre 1849 (p. 2, col. 3), on lit : « Samedi dernier, à Ry, les honneurs funèbres ont été rendus, avec une grande pompe, à M. Delamare, membre du Conseil municipal et sous-aide major de la Garde Nationale. M. Delamare est mort inopinément (3) à l’âge de 37 ans et cette mort prématurée augmente les regrets que les qualités du défunt devaient naturellement inspirer ».

« En grande pompe… ». L’ Impartial n’exagérait pas ; en effet, suivant le compte de tutelle auquel il a été fait déjà allusion, les frais de l’inhumation s’élevèrent à 5.000 francs.

La Vente Delamare.

Elle fut annoncée dans Le Rouennais du dimanche 23 décembre 1849, p. 4, pour les dimanche 30 et lundi 31, à 11 heures du matin, par le ministère de M. Dumort, huissier.

« Batterie de cuisine, chaises, tables, vaisselle, verrerie, garnitures de cheminée, bibliothèque, fauteuils, chauffeuse, armoire, secrétaire, bureau, table de nuit, commode, couches, le tout en acajou ; habits à usage d’homme et de femme, très beau linge de corps et de table, en grande quantité ; literie, argenterie, bijoux, un fusil double de chasse, deux paires de pistolets, deux beaux chiens de chasse racés, un cheval, une selle, deux brides, un cabriolet, un harnais, instruments de chirurgie, deux poêles, fûts, cidre, vins de Champagne et de Beaune, eau-de-vie, pommes à cidre, fourrage et une grande quantité d’autres objets, à terme de paiement pour les personnes reconnues solvables ».

Les meubles avaient été prisés, au préalable, 4.070 francs, mais la vente rapporta 4.711 francs. Il restait une somme d’argent liquide de 302 francs. D’autre part, le total des notes dues par la clientèle s’élevait à 1.000 francs juste (4).

Les Successeurs de Delamare.

Après Delamare, on peut constater de fréquents changements parmi les médecins de Ry :

En 1852 : Laloy et Cavé se partagent la clientèle, ce dernier ayant évidemment succédé à Delamare ; En 1854 : Laloy ne figurant plus à Ry, mais à Épreville-Martainville, Cavé reste seul ;

En 1856 : On ne trouve plus que le nom de Lefebvre (voir l’ « Almanach de Rouen et des départements de la Seine-Inférieure et de l’Eure »).

En 1860 : Cavé reparaît, et en 1867, celui-ci, disparu à son tour, est remplacé par Lefebvre et Thibault. (Voir « Annuaire-Almanach du Commerce Didot-Bottin »).

L’Adjudication du 2 Septembre 1854.

À la mort de son père, il semble qu’il ne restait à l’orpheline que la somme d’argent liquide de 302 francs, la pièce de terre de Catenay de 85 ares 12 centiares et la moitié de la maison indivise de Rouen. Un document va nous apprendre ce que devinrent et cette petite pièce de terre et cette moitié de maison. Nous savons déjà que chacun de ses deux enfants devait acquitter à Mme veuve Delamare un capital de 5.000 francs exigible en 1844 et une rente viagère de 200 francs. Or, dix ans plus tard, en 1854, la part de capital due par son fils était restée impayée. Dans l’intervalle, elle avait, en 1847, vendu « une masure » à Catenay (5). Probablement aux abois, elle fit alors vendre le dernier lopin de terre échu à sa petite-fille.

Après y avoir été autorisé par le Conseil de famille, le tuteur procéda donc à l’adjudication de la pièce de 85 ares 12 centiares sur une mise à prix de 2.000 francs « pour faire, dit le cahier des charges, l’emploi du prix, jusqu’à concurrence à payer le capital de 5.000 francs et une somme de 125 francs pour arrérage d’une rente viagère due à Mme veuve Delamare, afin d’arrêter les poursuites en expropriation de ladite pièce de terre, dirigées à la requête de cette dame ». On notera que la rente viagère due avait été réduite de 200 à 125 francs. L’immeuble fut adjugé au sieur Lebourg (sans doute le beau-frère d’Eugène et subrogé-tuteur de l’orpheline) pour 2.725 francs de prix principal, si bien que Mme veuve Delamare ne recueillit qu’une partie du capital dû.

Le même document nous apprend que « la vente de la maison sise à Rouen vient d’être ordonnée pour en faire la démolition pour cause d’utilité publique ».

Le Contrat de Mariage d’Alice-Delphine Delamare.

Six ans plus tard, le 30 juillet 1860, l’orpheline épousait Charles-Lucien Lefebvre, pharmacien à Rouen, 27, rue Bouvreuil. Le contrat mentionnera, comme lui appartenant personnellement :

1° un trousseau qui paraîtra considérable aujourd’hui, mais qui était la règle jadis, estimé à 3.600 fr.

2° une somme d’argent comptant de 4.000 fr. (6)

3° une autre somme d’argent comptant de 900 fr. formant répartition pour l’année 1861 à la Caisse des Écoles et des familles.

En outre, son aïeul et tuteur lui faisait donation d’une somme de 3.000 fr.

en espèces et lui abandonnait le reliquat de 700 fr. auquel il croyait avoir droit sur ses comptes de tutelle ; soit au total 12.200 fr.

La dot du mari s’élevait à environ 17.000 fr.

D’autre part, à cette occasion, la tante de la future, Mme François Couturier, l’instituait son héritière jusqu’à concurrence d’une somme de 20.000 francs, mais en en garantissant l’usufruit à son mari sa vie durant s’il venait à lui survivre.

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NARCISSE-STANISLAS BOTTAIS

IL est né le 28 octobre 1817, à Perriers-sur-Andelle, le dernier d’une famille de huit enfants, dont cinq moururent prématurément. Il perdit d’abord son père, le 23 mars 1847, puis sa mère, le 15 novembre 1860. Son séjour à Ry est attesté par le procès-verbal, en date du 15 novembre 1840, d’une élection de Gardes Nationaux, désignés pour nommer le Chef de bataillon et le porte-drapeau de la commune et d’après lequel il obtint quinze voix, ses deux concurrents les plus favorisés en recueillant seize (7).

Son séjour à Ry fut interrompu par une brève scolarité à la Faculté de Droit de Paris, dont les archives ont gardé sa fiche. On sait ainsi que l’étudiant habita d’abord au 207 du Boulevard Saint-Martin, ensuite au Quartier Latin, 66, rue de la Harpe. Il prit en tout et pour tout deux inscriptions, l’une le 11 novembre 1841, l’autre le 8 janvier 1842, mais sans subir aucun examen.

Le 2 mai 1843, il était nommé notaire à Formerie (Oise). Détail remarquable : aucun des trois éloges prononcés sur sa tombe ne fera allusion à ses débuts comme clerc, pas plus qu’à son séjour à Ry, chez Me Leclerc (voir le Journal de l’Oise du jeudi 25 octobre 1888, 2e p., 4e col., du vendredi 26 et du mardi 30, 2e p., 4e col.). Le 19 mai 1846, trois ans après sa nomination comme notaire, il épousait, à Beauvais, la fille d’un ancien capitaine de l’Armée, Marie-Esther Court. Le journal plus haut cité nous apprend que la jeune femme fut atteinte très tôt d’une maladie grave, qu’elle était en quelque sorte paralysée, que son mari l’entoura de soins délicats et que celui-ci, dans sa carrière, se signala par l’aménité du caractère.

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LOUIS CAMPION

La Famille.

Par son père et sa mère, il était originaire de Saint-Denis-le-Thiboult. Son père, Gabriel-Louis-Nicolas Campion, y était né le 30 janvier 1782 et s’y était marié, le 25 juin 1825, à Modeste-Irénée Le Halleur, née le 27 juin 1791. Le ménage eut six enfants :

1° Louis, né en 1810…. Le Registre de l’Hôpital de la Charité, déposé au Service de la Documentation et des Archives de l’Assistance Publique, 7, rue des Minimes, à Paris-3e, lui donne l’âge de 58 ans en 1868. Le Registre des décès de la Mairie du V° arrondissement ne fournit aucune autre précision sur la date et le lieu de sa naissance.

D’autre part, on peut relever dans ses prénoms certaines variations. Ainsi, on trouve Louis-Gabriel sur le Registre de la Charité, mais une annonce de l’ Impartial de Rouen, que nous rencontrerons plus bas, le prénomme Louis-Prosper, fils de Gabriel-Louis-Nicolas. C’est donc bien du même personnage qu’il s’agit.

2° Marie-Modeste, née en 1820 ;

3° Alexandre, né en 1822 ;

4° Célestine, née en 1826 ;

5° Jules, né en 1827,

Et 6° Paul, né en 1834.

La Carrière de Louis Campion.

Annuaires, archives communales et presse contemporaine permettent de reconstituer sommairement celle-ci jusqu’en 1850.

De 1833 à 1835, il est adjoint-major de la Garde Nationale de Ry (« Almanach de Rouen et des Départements de la Seine-Inférieure et de l’Eure »).

Il disparait de 1836 à 1837.

Reparaît en 1838, avec le grade de chef.

Disparaît à nouveau de 1839 à 1844.

Dans l’intervalle, le 12 juillet 1840, il est installé au Conseil municipal de Ry (voir Registre des Délibérations), où il se montre d’abord assidu, puis n’appose sa signature qu’une fois, de 1843 à mai 1844, pour disparaître à partir de 1845.

C’est alors que de 1845 à 1847, on le voit reprendre son ancien grade d’adjoint-major à la Garde Nationale, jusqu’à ce que, en 1848, il y soit définitivement remplacé.

La dissipation d’un héritage.

Son père venait de décéder, le 18 octobre 1847. Un mois après une vente de meubles avait lieu à Villers, commune de Saint-Denis-le-Thiboult, « au domicile du défunt » (Le Rouennais du 7 novembre 1847, p. 4, 4e col.). Le même journal allait annoncer, les 6 et 16 janvier 1848, une vente de « très beaux arbres de haute futaie, consistant en cent trente pieds de hêtres, ormes, frênes et, en majeure partie, de chênes, à Saint-Denis-le-Thiboult, au Triège-de-la-Genêt-Morte et appartenant à M. Louis Campion.

Cette vente préludait à plusieurs autres s’échelonnant de 1849 à 1851 et au cours desquelles une superficie de 31 hectares 65 ares 69 centiares (d’après l’annonce du Rouennais du 21 octobre 1849, p. 4, 1re col.) et de 33 hectares 89 ares 32 centiares (d’après la matrice cadastrale de la commune) allait passer en d’autres mains. Les immeubles ainsi vendus par Louis Campion se composaient de fermes, terres en labour et pièces situées à la Remondière et surtout au Mont-Écaché, sur cette même commune de Saint-Denis-le-Thiboult, à l’Ouest de Villers, ainsi que d’un bois couvrant à lui seul 11 hectares 65 ares, situé à Ry.

Il convient de remarquer que si les arbres de tout à l’heure ont été vendus sous le nom de Louis Campion, par contre tous les immeubles ci-dessus seront indiqués comme « ayant appartenu (8) à H. L. Campion ». L’emploi du passé, cette fois, au lieu du présent, aurait-il été moins gênant pour le vendeur… ?

Il est de tradition de faire vivre Louis Campion au « château de La Huchette ». En tout cas, celui-ci étant situé à Villers, ne faisait aucunement partie de son lot, ce qui ne veut pas dire qu’il ne l’ait pas habité par une complaisance des siens.

Passé 1850, deux obliques rayent le folio de la matrice cadastrale où sous son nom s’alignaient tous les numéros qui lui étaient échus. Il avait d’ailleurs quitté la commune. Dans les publications légales de l’ Impartial de Rouen du 29 avril 1850, p. 4, 6e col., parmi les anciens propriétaires de deux pièces de terre à vendre, on le découvre à l’adresse suivante : « Louis-Prosper Campion, vivant de son revenu, demeurant à Rouen, rue de l’École. « L’Almanach de Rouen et des Départements de la Seine-Inférieure et de l’Eure » précisera même le n° 14 B (9).

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LES JOUANNE

1° Désiré-Guillaume.

Il est né le 19 Thermidor an III (6 août) 1794), à Fayel (Eure). Il est intéressant de rechercher à quelle date il vint se fixer à Ry. C’est en 1831 que sa signature se rencontre pour la première fois sur le Registre des Délibérations du Conseil Municipal de la commune. D’autre part, l’article du Journal de Rouen du 2 décembre 1890, signé « l’un de vos lecteurs assidus, habitant Ry depuis 63 ans » et dû manifestement à son fils Alfred-Adolphe, donne par soustraction l’année 1827. Enfin, un document conservé dans les archives communales (10) rapporte que l’intéressé y fut inspecté le 3 septembre 1828 par le Jury médical

de la Seine-Inférieure. Dans le procès-verbal de cette inspection, on lit : « Nous avons trouvé ses médicaments tant simples que composés de bonne qualité et sa pharmacie bien tenue ».

La signature de Jouanne Désiré-Guillaume, qui orne ponctuellement le compte rendu des séances du Conseil municipal, frappe par le nombre des enroulements d’un paraphe qui ceint son nom à l’instar d’une guirlande et trahit une personnalité maniérée et complaisante envers elle-même.

En 1852, il perdit son fils cadet Auguste, dans sa 22e année. D’après l’acte de décès, le père était alors rentier et domicilié à Rouen. Comme avant 1848, il était conseiller municipal de Ry ; c’est entre ces deux dates qu’il faut placer son départ de la commune, une fois qu’il eut transmis son officine à son aîné.

C’était un catholique convaincu qui, en mourant, légua à la commune de Vandrimare (Eure), où il a été inhumé, « une somme de 10.000 francs, placés à 3 %, à charge à elle d’entretenir sa tombe, celle de son fils et de faire dire une messe chaque année ». (Registre des Délibérations du Conseil municipal du 23 janvier 1881).

2° Alfred-Adolphe.

Il est né, comme son père, à Le Fayel, le 7 octobre 1819. Dans son dossier conservé à la Faculté de Pharmacie de Paris, où il fit ses études de 1843 à 1845 et fut reçu pharmacien le 30 août, on apprend qu’il fut d’abord élève en pharmacie dix ans durant chez son père, et trois, du 2 janvier 1840 au 31 décembre 1842, chez Esprit, pharmacien à Rouen.

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THÉRAIN

Une annonce, parue dans le Rouennais du dimanche 19 juillet 1846, p. 4, indique les jours et les heures du service que Thérain allait alors inaugurer :

Entreprise THÉRAIN

Diligence de Ry à Rouen et retour.

Le mardi et le vendredi de chaque semaine.

Le sieur Thérain fait savoir à MM. les voyageurs qu’il vient de mettre en circulation une voiture suspendue, qui offre tous les agréments désirables.

Départs : de Ry, à 6 h. 3/4 du matin ;

de Rouen, à 4 h. 3/4 du soir.

Les Bureaux sont : A Ry, chez M. Thérain, aubergiste ;

À Rouen, chez M. Brière, Hôtel Saint-François, rue Saint-Hilaire (11).

« L’Almanach de Rouen et des Départements de la Seine-Inférieure et de l’Eure » pour l’année 1849 signale une modification dans l’horaire :

Départ : de Rouen, mardi et vendredi : 4 heures du soir. — du lieu de retour (Ry) : 7 heures du matin.

Le même almanach, pour 1850, conserve les heures, mais change les jours : lundi, mercredi et vendredi.

Finalement, en 1851, Thérain reprend l’horaire de 1849.

G. BOSQUET.

 

Au sujet de Louis-Gabriel Campion

À la suite de l’article ci-dessus de notre ami G. Bosquet et d’accord avec lui, qu’il soit rappelé et complété comme suit la biographie du personnage évoqué.

Louis Campion ne s’est nullement suicidé à Paris, en 1852, comme le répètent à tort presque tous les critiques littéraires, quand ils parlent de Flaubert et de son œuvre.

Il est décédé le 6 janvier 1868, à l’hôpital de la Charité, à Paris. Sa fiche nécrologique est établie comme suit au Service de la Documentation et des Archives, 7, rue des Minimes, Paris-30 :

Nom : Louis-Gabriel Campion.

Âge : 58 ans.

Commune et naissance : Saint-Denis-le-Thiboult (Seine-Inférieure).

État-civil : Garçon.

Profession : Fleuriste (à noter que consultation prise au « Didot Bottin » de 1867 et de 1868, le nom de Campion ne figure ni aux habitants, ni à la profession. On peut donc en déduire qu’il occupait un bien modeste logement et que son métier de « fleuriste » consistait vraisemblablement à vendre au coin des rues et sur un modeste éventaire quelques fleurs. Sa fin, indique justement M. G. Bosquet, est encore plus déchirante que celle d’un imaginaire coup de pistolet sur le boulevard en 1852).

Domicile : Rue du Dragon, n° 1 (6e arrondissement).

Nature de la maladie (indiquée par le billet d’admission) : Fièvre.

Nature de la maladie (reconnue par le médecin de l’hôpital) : Tuberculose pulmonaire.

Date d’admission : 5 janvier 1868,

Salle : Louis.

Lit : 9.

Durée du séjour : 1 jour.

Date du décès : 6 janvier 1868.

(Déclaration du décès faite à la Mairie du 6e arrondissement).

Témoins : Louis Guéri, 56 ans ; Jacques Michel, 26 ans, employés à l’Hôpital.

Louis Campion a été enterré au cimetière Montparnasse, le 8 janvier 1868. N’ayant pas de concession, ses restes ont été déposés dans les délais réglementaires à l’ossuaire.

J. T.-R.

 

(1) L’idée de comparer les deux signatures revient à M. Vérard, de Croisy-sur-Andelle.

(2) Mis à notre disposition par l’actuelle propriétaire, Mme Kréchel, qui nous a autorisé à en donner cette analyse.

(3) C’est nous qui soulignons.

(4) On rapprochera utilement ces renseignements de ceux donnés par F. Clérembray dans son ouvrage toujours précieux : Flaubertisme et Bovarysme, ch-V, pp. 50-51.

(5) Renseignement fourni par M. le Maire.

(6) Nous ignorons la provenance de cette somme.

(7) Renseignement, dû à M. Vérard.

(8) C’est nous qui soulignons.

(9) Sur Louis Campion, voir l’article suivant.

(10) Et retrouvé par M. Vérard.

(11) L’Hôtel était au n° 132.