À propos d’un volume de prix

Les Amis de Flaubert – Année 1957 – Bulletin n° 11 – Page 41

 

À propos d’un volume de prix
retrouvé de Flaubert au Collège Royal de Rouen (1838)

Un libraire parisien, dans son plus récent catalogue, offrait aux amateurs une précieuse relique flaubertienne : le volume Prix d’Histoire Naturelle, décerné le 20 août 1838 à l’élève Flaubert par les maîtres d’alors de « notre vieux Lycée ». L’exemplaire en vente portait l’ex-proemio, demeuré à l’intérieur du premier plat, avec la mention : « Classe de Seconde ». C’était un bon in-8°, en basane ancienne marbrée dos orné et petite guirlande sur les plats, avec, au centre, l’écusson du Collège Royal de Rouen, tranches marbrées.

Ce « Prix d’Histoire Naturelle » n’était autre (curieuse rencontre) que les Essais de Guizot, l’ex-ministre, sur une autre histoire, l’Histoire de France, édités à Paris en 1836. Le livre avait connu quelques succès dès sa parution en 1823 et avait été réédité chez Pourrat, en 1833, édition plus facile à rencontrer aujourd’hui encore.

De nombreux signets, faits de menus, fragments de lettres semblaient prouver avec quelle attention l’exemplaire décerné à l’élève Flaubert, en 1838, avait été lu et motivaient sans doute le prix que le libraire demandait de sa trouvaille : trente mille francs français, de l’an 1957 !

Si l’on se reporte, pour les dates, à l’excellente étude, toute récente, de H. Pierre Labracherie, administrateur aux Archives Nationales, sur l’indomptable élève Gustave Flaubert, chef de file des insurgés philosophes de décembre 1839 (1), on apprend que notre Gustave terminait, en 1838, les années d’internat, assez rudes, dont il emportait, avec ce Guizot, sa dernière récompense. À la rentrée d’octobre 1838, il est externe libre et s’en réjouit : « Je n’aurai pas le collège pour m’embêter, écrit-il. Je suis externe libre, ce qui est on ne peut mieux ; dès maintenant, adieu, et pour toujours, aux pions et aux arrêts… »

Il se trompait beaucoup — comme on sait.

Remarquons ici que son professeur d’Histoire Naturelle au Collège Royal était le savant Pouchet, lequel demeurerait un ami.

Quant à son goût très passionné pour l’Histoire (tout court), il pouvait le devoir en partie aux leçons de l’érudit Cheruel, que les rouennais d’aujourd’hui n’ont pas tout à fait oublié non plus.

Signalons encore que vers cette date de 1838 — et en tout cas avant les tumultes de fin 1839 qui le chassèrent des bancs du Collège Royal — notre lauréat d’Histoire Naturelle avait fait imprimer, déjà, dans un journal local, Le Colibri, sa première œuvre, au titre prometteur et cocasse : « Une Leçon d’Histoire Naturelle, genre commis », titre qui, dès alors, signale assez bien l’analyste à venir, le biographe de Bouvard et de Pécuchet, le « garçon ».

Et pourrions-nous conclure sans noter, en outre, qu’il était, somme toute, assez conforme aux usages, que le Proviseur d’un collège, même Royal, mais de Rouen, distribuât à ses lauréats de 1838 l’Histoire de France du doctrinaire et normand Guizot, puisque celui-ci groupait alors (contre Molé et ses fonds secrets) une coalition disparate (où Thiers, d’ailleurs, guettait ses profits), mais qui semblait à tous devoir être, en dépit du Roi-Citoyen, le Gouvernement des années à venir… celui dont on pouvait attendre un regard.

Henry Lefai

Membre de la Société des Amis de Flaubert.

(1) Bulletin des Amis de Flaubert, année 1957, n° 10, page 2 et suivantes.