Flaubert parle de ses « revenus modestes »

Les Amis de Flaubert – Année 1958 – Bulletin n° 12 – Page 55

 

1866 : Flaubert parle de

ses « revenus modestes »

Question. — Flaubert parle dans une lettre de 1866 de ses « revenus modestes ». Qu’en est-il exactement ?

Réponse. — Réponse difficile à faire, car les hommes de lettres (de métier) disent toujours qu’ils ont des revenus modestes et que leurs familles n’en ont guère davantage… Indiquons toutefois qu’à l’époque (1866) la famille Flaubert avait un train de vie particulièrement aisé. Mme Flaubert mère possédait une ferme en Champagne, une ferme à Deauville, la propriété de Croisset, un appartement à Rouen, une importante domesticité et un revenu mobilier. Gustave était non seulement logé et nourri à Croisset, mais il avait tout de même quelques revenus littéraires. Si Madame Bovary, en 1856, avait été cédé à l’éditeur Lévy pour la somme infime de 800 francs, Flaubert avait reçu un « dessous de table » de 2.000 francs, et percevait le fruit des éditions postérieures. Il avait vendu le manuscrit de Salammbô pour 10.000 francs, ce qui lui permettait de mener une vie confortable entre Croisset et Paris où il avait tout de même un appartement et un domestique. Son voyage en Orient (1849-1851) lui avait coûté 27.000 francs (5 millions 400.000 francs de notre monnaie !… qui dit mieux ?). On peut estimer qu’à l’époque le cohérité Flaubert (Gustave, sa mère, sa nièce) avait un revenu de 30 à 40.000 francs or, soit 6 à 8 millions de notre monnaie. Les « difficultés d’argent » ne commencèrent qu’en 1876, lors de la déconfiture Commanville et quatre ans après le décès de Mme Flaubert mère (1872). La légende d’un « Flaubert pauvre » « est donc à réexaminer soigneusement. Si Gustave n’eut personnellement que peu de revenus du capital familial, c’est parce que au partage des biens inventoriés au décès de sa mère, il fut doucement exhérédé au profit de sa nièce (l’écrivain s’en plaignait d’ailleurs assez amèrement) qui notamment eut Croisset en pleine propriété, avec réserve d’un petit droit d’habitation en faveur de son oncle. Ajoutons qu’Achille Flaubert, le frère de l’écrivain, avait un revenu provenant de son emploi et de ses travaux personnels de l’ordre de 100.000 francs-or (20 millions de notre monnaie).

(Renseignements recueillis par M. J. Toutain-Revel, président,

et M. L. Andrieu, secrétaire de la Société).