Le Père Mignot

Les Amis de Flaubert – Année 1959 – Bulletin n° 14 – Page 3

 

Le Père Mignot

Premier Grand-ami de Gustave Flaubert

Sur le berceau de la famille Mignot, je ne possède que des données assez vagues. Je sais seulement que cette famille occupait une certaine place parmi les propriétaires et cultivateurs du Vexin.

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Boismont devait se trouver au centre de la famille et l’ingénieur Bunel, qui construisit le premier tunnel sous la Tamise et à qui une statue fut élevée à Boismont, était notre cousin. Mon arrière-grand-père, celui que Gustave Flaubert appelait familièrement : « Le père Mignot », beaucoup plus épris de littérature que d’élevage, vint se retirer à Rouen dans un immeuble situé face à l’Hôtel-Dieu, rue de Lecat. Ainsi se nouèrent les relations entre les familles Flaubert et Mignot. Le jeune Gustave n’avait qu’à traverser la rue pour sauter sur les genoux du « Père Mignot » qui lui contait l’histoire de Don Quichotte et essayait de lui apprendre à lire. Ce à quoi l’enfant répondait : « À quoi bon apprendre à lire ? puisque le père Mignot raconte de si belles histoires ! ».

Mais attention ! le nom de Mignot que l’on retrouve si souvent dans les lettres de Flaubert s’applique tantôt à mon grand-père et tantôt à mon arrière-grand-père.

En effet, le « Père Mignot » qui avait épousé une demoiselle Lucas, fille de gros éleveurs du Pays de Bray, eut quatre enfants : Amédée Mignot (mon grand-père, 1801-1862), Lucie (1799-1866), Aglaë (1803-1866) et Édouard (1808-1848).

Amédée Mignot était avocat à Rouen et professeur de Droit au Lycée de cette ville. Il collaborait à de nombreux journaux politiques. Les grands-parents Mignot ayant quitté Rouen pour finir leurs jours aux Andelys, Amédée vint s’installer en face de l’Hôtel-Dieu dans l’immeuble précédemment occupé par ses parents. C’est lui qui le premier remarqua Flaubert et fit autographier sa première poésie.

Ayant étudié Flaubert, vous avez certes entendu parler de celui qu’il appelait : « Son très grand et son meilleur ami jusqu’à la mort ! », Ernest Chevalier. Ce dernier appartenait également à ma famille, voici comment :

Lucie Mignot, sœur d’Amédée, épousa un certain Armand Chevalier qui pratiquait la grande culture dans le Vexin. De cette union, naquirent deux fils, dont l’un mourut très jeune, l’autre fut Ernest Chevalier. Ernest fit ses études au Lycée de Rouen en qualité d’interne. Il passait ses jours de sortie dans la famille Mignot, où il rencontrait Gustave Flaubert. C’est de là que naquit la fraternelle amitié qui ne cessa d’exister, leur vie durant, entre les deux hommes. (Voir le livre de mon oncle, Albert Mignot, intitulé : Ernest Chevalier, son intimité avec Gustave Flaubert, notes biographique).

Ernest Chevalier entra très tôt dans la magistrature où il parcourut une brillante carrière. Après 70, il se retira dans sa propriété de la Deniserie, à Châlonnes, dont il devint maire, puis conseiller général et enfin député d’Angers.

Mon père, Henry Mignot, qui assista son cousin pendant les dernières années de sa vie, raconte l’émouvante anecdote ci-après :

Mme Commanville, nièce de Flaubert, ayant écrit à Ernest Chevalier pour solliciter la communication de lettres inédites à l’intention d’un volume qu’elle projetait de faire paraître sur la correspondance intime de son oncle, notre cousin tira de sa bibliothèque un volumineux dossier. C’était un soir ; il était assis dans son bureau de la Deniserie, en face de mon père, au coin d’un grand feu. (La chose devait se passer aux environs de 1874). Ernest Chevalier lut à haute voix les lettres de son ami Gustave. Après chaque lecture, il réfléchissait quelques instants, certaines lettres venaient prendre place sur son bureau à sa gauche ; les autres, jugées par trop gauloises ou par trop excessives, allaient alimenter le feu de la grande cheminée, comme pouvant nuire un jour à la mémoire de son illustre ami.

C’est de la Villa Héva, propriété de mon père, Boulevard Maritime, au Havre, où il se trouvait en villégiature, qu’Ernest Chevalier finit par informer Mme Commanville qu’il lui était impossible, pour certaines raisons personnelles, de satisfaire à certains de ses désirs… La raison je l’ai donnée plus haut.

Autre lien avec la famille Flaubert : La seconde sœur d’Amédée Mignot, Aglaé, épousa le Docteur Motte, famille parente des Chevalier et intime de la famille Flaubert.

Le Docteur Motte exerçait aux Andelys où il jouissait d’une très grande considération. Mon père, Henry Mignot, orphelin très jeune de père et de mère, fut accueilli et élevé par son oncle et son excellente tante. Une cascade de malheurs fit mon père, une nouvelle fois, doublement orphelin de son oncle et de sa tante. Ce fut alors Ernest Chevalier qui prit la charge d’élever mon père. Inutile de vous dire que la plupart des renseignements et souvenirs que nous tenons encore de Gustave Flaubert ont été recueillis par mon père au cours de ses longs séjours auprès de son cousin Ernest Chevalier. C’est vous dire que toute mon enfance a été bercée d’histoires, de souvenirs du grand écrivain.

La collection des lettres intimes dont nous avons hérité à la mort du cousin Chevalier s’est hélas trouvée dispersée dans une cascade de successions. J’en possède encore quelques-unes. Je me permets, pour me faire mieux comprendre, de joindre un tableau généalogique de cette branche de ma famille.

En se reportant aux dates, il ressort que mon grand-père, Amédée Mignot (1801), avec 17 ans de moins que le Docteur Achille Flaubert (1784) et 20 ans de plus que Gustave, se trouvait en quelque sorte à cheval entre les deux générations.

Par contre, le « Père Mignot », marié paraît-il assez tard, était certainement plus âgé que le Docteur.

Enfin mon cousin, Ernest Chevalier (1820) avait un an de plus que Gustave Flaubert. Ils étaient longtemps dans la même classe au Lycée de Rouen. On prétend même qu’Ernest Chevalier ayant assisté, de visu, à la fameuse scène de l’entrée en classe du futur Bovary, l’aurait contée dans une lettre à ses parents.

Georges Mignot

Arrière-petit-fils du Père Mignot.

 

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