Sir Richard Wallace et Gustave Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1959 – Bulletin n° 14 – Page 28

 

Sir Richard Wallace et Gustave Flaubert

En 1893-1894, paraissait dans la Revue hebdomadaire d’abord, puis chez Plon, sous le titre : Un Anglais à Paris, notes et souvenirs 1835-1848 et 1848-1871, la traduction en 2 volumes in-12° d’un ouvrage anonyme publié quelques mois plus tôt à Londres, avec un gros succès, sous le titre : An Englishman in Paris, notes and recollections. Dans son Introduction, le traducteur, J. Hercé, explique que l’opinion publique en Angleterre avait fait fausse route en attribuant ces Mémoires, qui sont un document de premier ordre, à sir Richard Wallace, dont le nom est resté si populaire à Paris où il vécut. Mais J. Hercé ne révèle pas le nom de l’auteur et semble bien l’ignorer.

Cependant divers recoupements me portent à croire qu’il s’agit bien de sir Richard Wallace :

« Bien jeune encore, vers 1836 ou 1838 » (I, 270) ; « convenablement apparenté » (I, 31) ; « aussi lié avec l’homme d’État anglais (Disraeli) qu’avec le romancier français (Dumas père) » (I, 271), et aussi « avec les peintres Eugène Delacroix et Horace Vernet » (I, chap. VIII) ; il accompagna « Napoléon III à Boulogne, le 17 août 1855, à la rencontre de la reine Victoria » (II, 148) ; élu en janvier 1871 membre du Jockey-Club (II, 323) ; son nom était porté par « un de ses très proches parents, plus qu’à demi-français, officier d’État-Major et grand favori du général Vinoy » (II, 290 et 333) qui commandait en chef l’armée pendant le siège.

Or, sir Richard Wallace est né à Londres le 26 juillet 1818, fils naturel et héritier de Richard Seymour-Conway qui porta d’abord le titre de Lord Yarmouth puis celui de 4e marquis d’Hertford. Sir Richard a eu d’une Française un fils, Edmond-Richard Wallace, né en 1840. Pendant la guerre de 1870-1871, ce jeune homme servit dans les cuirassiers, devint officier d’ordonnance du général Vinoy, reçut le grade de capitaine et fut décoré de la Légion d’honneur. Sir Richard fut élu à l’unanimité par le Jockey-Club et l’Union parmi leurs membres à cause de sa générosité sans bornes pour secourir les misères causées par le siège de Paris, où il était resté jusqu’au bout, partageant avec la population les ennuis de cette longue épreuve. Il mourut en 1890 et An Englishman in Paris paraissait à Londres un ou deux ans plus tard.

Le traducteur J. Hercé me semble avoir été bien léger en déniant à sir Richard la paternité de l’ouvrage, que ces divers recoupements paraissent confirmer.

Je suis d’autant plus curieux d’être fixé sur le nom de cet auteur que nous lui devons dans ses excellentes Notes and recollections, le récit de sa rencontre à la cour d’assises de Rouen, le 26 mars 1846, au procès du journaliste Beauvallon, « d’un jeune homme qui dix ou onze ans plus tard, conquit d’un bond la renommée et la gloire par la publication d’un roman de mœurs, grand garçon, bien découplé, que je prenais pour un gentilhomme campagnard anglais ou pour le fils d’un fermier aisé. Pareilles méprises sont faciles en Normandie. Lorsque Lola Montès parut pour porter témoignage, quelqu’un près de lui remarqua qu’elle avait l’air d’une héroïne de roman : « Oui, répliqua-t-il, mais les « héroïnes des vrais romans vécus dans la vie courante ne lui ressemblent pas ». Et comme il m’avait vu parler à plusieurs des personnalités parisiennes qui étaient là, surtout Alexandre Dumas et Berryer que tout le monde connaissait, il se tourna vers moi et me demanda sur Lola Montès quelques renseignements que je lui donnai. Il était au courant de tout. Nous causâmes un instant. En partant, il me tendit sa carte, espérant, dit-il, que nous nous reverrions. Je lus son « nom : Gustave Flaubert. On me dit, le soir, que c’était le nom d’un médecin estimé de la ville. Douze ans plus tard la France retentissait de ce nom. Il avait écrit Madame Bovary et jeté le fondement de ce qui devint plus tard l’école ultra-réaliste du roman français ».

Page peu connue des flaubertistes et que je suis heureux de leur signaler.

René Rouault de la Vigne.

Ce texte a été également publié dans Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, août 1958, n° 89.