1959 La Vie de notre Société

Les Amis de Flaubert – Année 1959 – Bulletin n° 14 – Page 65

 

La Vie de notre Société

Sommaire : Nécrologie : Décès de Me Duchemin, née Beuvin, p. 65 ‒ Décès de Me Veuve Haubert, née Rémond, p. 65 ‒ Dimanche 14 décembre 1958. La Société des Amis de Flaubert se rend, le matin, sur la tombe de l’écrivain, p. 66-67 ‒ Dimanche 14 décembre 1958. Sous les auspices des « Amis de Flaubert », Roger Bésus a évoqué Barbey d’Aurevilly, p. 67-68 ‒ Samedi 24 janvier 1959. Flaubert à Rouen (chez M. Goepler), p. 68 ‒ Le prix littéraire Maria Star est décerné à René Herval, p. 69 ‒ Le prix d’Études Normandes est attribué à Melle Gabrielle Leleu, p. 69 ‒ À La Radiodiffusion française, p. 69 ‒ Le Bulletin des Amis de Flaubert, p. 69 ‒ Pour la réédition des exemplaires manquants du Bulletin de la Société, p. 70

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Nécrologie : Décès de Mme Duchemin, née Beuvin

Nous avons appris avec beaucoup de regret les décès, arrivés à quelques jours de distance, de Mme veuve Duchemin, née Emma Beuvin, et de Mme veuve Haubert, née Rémond.

Mme Duchemin, décédée le 14 décembre 1958, âgée de 87 ans, comme née en 1872, avait fort bien connu la famille Flaubert et le fils illustre, Gustave (décédé lorsqu’elle avait 8 ans).

Son excellente mémoire lui permettait, quand on l’interrogeait, de répondre fidèlement aux questions posées. Nous avons eu souvent l’heureuse occasion de lui parler des Flaubert, dans le domaine desquels elle se rendait souvent étant enfant.

Elle a conté qu’elle entrait aisément dans ce domaine, car la famille Flaubert recevait sans la moindre étiquette tous les gens de Croisset, et qu’il lui était remis (dans la cuisine, car il était interdit aux enfants de pénétrer dans le salon ! ) des tartines de confiture.

Elle se rappelait fort bien de Gustave Flaubert. « Il me faisait peur ! » a-t-elle souvent dit, car l’homme, avec sa grande taille, sa forte moustache, son air parfois bourru, épouvantait parfois les enfants. Mais elle ajoutait : « Monsieur Gustave exigeait toutefois que j’aie mes confitures, car il avait bon cœur ».

D’autres souvenirs étaient contés.

Mme Duchemin était un des trois ou quatre personnages survivants de cette époque.

Elle a remis à la Mairie de Croisset un très bel exemplaire du portrait de Gustave Flaubert par Daliphard, pour être déposé entre les corps de bibliothèque qui sont dans la grande salle de la Mairie.

Elle a remis à notre Société le plan cadastral de la propriété des Flaubert.

Mme Duchemin ne manquait pas d’assister à nos cérémonies annuelles au Pavillon de Croisset.

L’inhumation de Mme Duchemin a eu lieu à l’église de Canteleu-Village, le jeudi 18 décembre 1958.

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Décès de Mme Veuve Haubert, née Rémond

Mme veuve Haubert, née Rémond, est décédée au domicile de son fils, M. G. Haubert, à Saint-Etienne-du-Rouvray, le 11 décembre 1958.

Mme veuve Haubert avait, à quelques mois près, le même âge que Mme Duchemin. Elle était la fille de M. Rémond, qui fut longtemps le couvreur-plombier des Flaubert et qui, comme tel, connaissait parfaitement la propriété de Croisset, dans laquelle il faisait de fréquentes réparations.

M. Rémond assista à la vente malencontreuse de cette propriété, en 1881, et à la démolition presque sacrilège de la demeure des Flaubert.

Il eut toutefois l’heureuse possibilité de sauver quelques précieuses reliques de cette disparition, notamment les deux cloches qui sont au Pavillon de Croisset.

Enfin, il eut surtout la patience et le goût de confectionner une maquette de cette propriété, maquette qui, pour être très simple, n’en est pas moins émouvante et que, pour notre part, nous souhaiterions vivement voir revenir au Pavillon de Croisset.

Mme Haubert avait, à l’instar de Mme Duchemin, gardé de vivants souvenirs des Flaubert. Elle les égrenait volontiers chaque fois que nous avions l’heureuse possibilité de la joindre.

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Le Dimanche 14 Décembre 1958. — La Société des Amis de Flaubert se rend, le matin, sur la tombe du grand écrivain

À l’appel de la Société des Amis de Flaubert, les sociétaires et amis se sont rendus, comme les années précédentes, le dimanche 14 décembre, en fin de matinée, sur les tombes de Gustave Flaubert et de Louis Bouilhet.

Le ciel avait cette lumière étouffée si caractéristique de Rouen. Les feuilles noires collaient sur les gazons humides. Pourchassés par le vent, quelques-unes couraient, cependant, entre les tombes.

Les personnalités gravirent la pente qui monte vers le colombarium, tournèrent à droite et, tout de suite, débouchèrent devant la grille de la Concession Flaubert. On connaît les deux hautes dalles de granit, sous lesquels gisent les parents. Elles sont flanquées de deux stèles blanches, pâles comme des spectres. Sous celle de gauche repose Gustave Flaubert.

M. Toutain, président des Amis de Flaubert, en présence de Me Bernard Tissot, maire de Rouen ; MM. Paul Vauquelin, conseiller général, maire de Maromme ; du docteur Paul Hélot, président des Amis des Monuments ; Roger Bésus ; Gence, président honoraire des Anciens Élèves du Lycée ; Andrieu, Senilh, A.-P. Pani, Fontaine, fleurit d’œillets rouges et de mimosa la sépulture. On observa une minute de silence. On fit un demi-tour à droite, vers la tombe de Louis Bouilhet, dont le médaillon change de couleur sous l’effet de la pluie. Comme si le vert de gris formait un casque convenable.

Une fois encore, on regretta qu’une signalisation bien visible ne guide pas les pèlerins vers la tombe de Gustave Flaubert. Un véritable débat s’institua. Plein de tact et de piété, mais ardent tout de même.

Le Président Toutain en tenait le fil conducteur. C’est que depuis la mort de l’écrivain, le 8 mai 1880, rien n’a changé sur la tombe. Zola, juge sévère des Rouennais qui ignorèrent l’inhumation de Flaubert, retrouverait tout en l’état, plus la stèle blanche, évidemment.

Un jour, peut-être, faudra-t-il rendre à Flaubert l’hommage que d’autres villes, mieux informées, lui eussent consacré dès sa mort ? Ne pourrait-on, à cet effet, aménager un tertre devant la tombe actuelle ? Il y a une possibilité, en obtenant préalablement l’accord des descendants de la famille Roquigny. Des pourparlers ont déjà été engagés dans ce but. Il y a, juste devant la sépulture Flaubert, une concession qui pourrait, tout en subsistant, être rattachée à la précédente.

Les personnalités présentes sur la tombe de l’écrivain, hier, semblaient unanimes sur le principe d’un aménagement. Il ne reste plus, en somme, qu’à en fixer la nature.

En redescendant, les Amis de Flaubert jetèrent un regard admiratif, discrètement jaloux, sur le monument où est enchâssé le cœur de Boieldieu, hommage convenable celui-ci. Tout près, il y a aussi l’imposant édifice en l’honneur d’un magistrat, contemporain de Flaubert, qui servit, certes, la ville. Le monument fut érigé par souscription publique…

R. R.

(« Paris-Normandie », lundi 15 décembre 1958).

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Le Dimanche 14 Décembre 1958. — Sous les auspices des « Amis de Flaubert », Roger Bésus a évoqué Barbey d’Aurevilly

Les Amis de Flaubert accueillaient, dimanche, à 16 heures, au Muséum, l’ombre amie de Barbey d’Aurevilly surgie d’un injuste oubli à l’évocation de Roger Bésus.

L’auteur du Refus et de Savonarole fut présenté par M. Jacques Toutain-Revel, président des Amis de Flaubert, qui rappela, d’une part, ce que furent les rapports de l’auteur de Madame Bovary et de l’auteur des Diaboliques. Une fois venue la sérénité de la mort, l’œuvre de Barbey double celle de Flaubert, conclut-il après avoir évoqué les différends qui les opposèrent durant leur vie.

« L’écrivain n’est jamais bien reçu, vraiment reçu, que dans le tête à tête avec le lecteur », note Roger Bésus au début du beau portrait psychologique qu’il devait tracer de Barbey d’Aurevilly. Aussi est-ce bien plus à la connaissance de l’homme qu’à celle de l’œuvre que l’excellent conférencier introduisit son nombreux auditoire.

« Barbey d’Aurevilly vaut mieux que sa légende, mais il en est inséparable », a écrit Roger Bésus. Il le saisit dès ses premières années, le ressuscite dans son affrontement avec la vie, avec les humanités classiques. La rencontre de Maurice de Guérin, élève, comme lui, du Collège Stanislas, fut déterminante pour les deux jeunes gens. Étudiant en droit à Caen, il n’était pas fait pour suivre, comme il le dira lui-même de Pierre Corneille. « Son esprit est formé et il est prêt à jouer son propre personnage ».

Il y aima, de ce premier amour qui compte tant dans une vie humaine, Louise-Augustine des Costils. « Barbey d’Aurevilly s’était engagé dans cet amour avec une charge d’amour absolument intacte ».

La littérature est pour lui une tentative désespérée de rester sur les cimes dans le temps même où sa situation et celle de son amie lui enseignent que la vie exauce malaisément notre exigence d’absolu.

Avide de sa liberté, épris de solitude, Barbey maudit cet isolement que réclame sa nature. Et c’est là l’essentielle contradiction qui sera sans cesse au cœur du drame de cette existence.

Après Caen, Paris. Et, dans la solitude en même temps gagnée et maudite, Barbey écrit à Trébutien, et cette amitié nouvelle fut précieuse pour l’écrivain. Il a pleinement le sentiment de sa vocation d’artiste. Mais un incoercible ennui, congénital à sa nature, aux apparences presque atrocement gai, tinte une sorte de glas tout au long de son existence.

Il boit il se drogue. Il est Alubrade. Le désabusement suit la courbe des possibilités de rencontres avec Louise. Il revoit pour la dernière fois la femme qu’il aima. Va-t-il succomber ? Non. Il a vingt-huit ans. Il retourne à Paris. II ne s’agit plus pour lui de conquérir, mais de fuir. L’écrivain tragique est né. Il a la nostalgie de son terroir. Il se trompe sur lui-même en jouant les dandys. Causeur éblouissant, il lit immensément et notamment Saint-Simon.

Les quinze ans qui suivent le mènent au jour de la rencontre de celle qu’on appela l’Ange Blanc, la baronne Raffin de Bouglon. Les fiançailles, sa réconciliation avec les siens, son retour au catholicisme réalisèrent pour lui l’équilibre nécessaire à la réalisation de son œuvre. Et c’est l’Ensorcelé, Le Prêtre marié, ces deux chefs-d’œuvre.

Mais on douta de sa foi, le mariage avec l’Ange Blanc est remis d’année en année. Il se sent rejeté vers sa solitude, avec le sentiment d’une intense déréliction. Il écrit Les Diaboliques.

Des jeunes : Paul Bourget, François Coppée, Léon Bloy, Peladan se sont enthousiasmés pour son œuvre. Il est le connétable des lettres.

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Envisageant l’œuvre de Barbey d’Aurevilly, Roger Bésus souligna l’intérêt de l’œuvre critique de l’écrivain. Romancier, il avait souhaité être un Walter Scott normand. En fait, il ne faut pas ramener Barbey à la mesure du régionalisme. Il peint des créatures qui sont des hommes, qui sont nos frères et qui sont des moyens universels du monde romanesque. Très lu, par exemple, en Tchécoslovaquie, cette audience témoigne de son universalisme.

Certes, les imaginations de Barbey s’écartent de la vente moyenne. Elles sont vraies cependant, mais d’une vérité d’exception où s’épanche authentiquement un art vraiment créateur.

Roger Bésus considère Le Prêtre marié comme le chef-d’œuvre du romancier. La psychologie, la vérité théologique incluses en ce livre vont très loin.

Au terme de cette étude qui avait été écoutée passionnément par tout l’auditoire et qui fut vivement applaudie, Roger Bésus évoqua, en termes particulièrement émouvants, la fin de Barbey d’Aurevilly.

Maurice MORISSET.

(« Paris-Normandie ». lundi 15 décembre 1958).

 

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Le Samedi 24 Janvier 1959, — Flaubert à Rouen

(chez M. Goepler)

Le samedi 24 janvier 1959, M. Groepler, animateur des Amitiés Inter Alliées, recevait un petit groupe d’amis en son domicile des Sapins, pour entendre le conférencier le plus savant et le moins conformiste de Rouen, le Docteur Galerant.

Ce réputé Flaubertiste, l’un de nos fidèles adhérents, avait choisi pour thème de son tour d’horizon littéraire : « De Trouville à Freudenstadt, en côtoyant Flaubert et ses amours impossibles ». À la demande de M. Groepler, tous les assistants, avant de répondre à son invitation, avaient dû promettre de relire Un cœur simple et l’Éducation Sentimentale.

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Le Prix Littéraire Maria Star est décerné à M. René Herval

La Société des Gens de Lettres, en décembre 1958, a décerné le Prix Littéraire Maria Star à M. René Herval, à la suite de la parution de son livre sur : Les véritables Origines de Madame Bovary.

On connaît cette puissante étude d’exégèse flaubertienne qui a été accueillie avec le plus vif intérêt par tous ceux que passionnent les origines du célèbre roman. La récompense que vient de lui accorder la Société des Gens de Lettres en consacre la valeur.

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Le Prix d’Études Normandes est attribué à Mlle Gabrielle Leleu

L’Académie de Rouen, en décembre 1958, a attribué le Prix d’Études Normandes à Mlle Gabrielle Leleu, en hommage aux nombreux travaux accomplis par elle sur Flaubert et sur son œuvre.

Mlle Leleu a eu l’heureuse possibilité, en sa qualité de bibliothécaire adjointe à Rouen, de publier sur les manuscrits de Flaubert, de sérieuses études sur Madame Bovary. L’Académie de Rouen a, à juste titre, récompensé son très utile labeur.

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A la Radiodiffusion Française

Notre Président M. Jacques Toutain-Revel, invité par les soins de M. Alex Surchamp et de M. Yvon Pailhès à dire quelques mots sur les activités de la Société des Amis de Flaubert, a eu les honneurs de l’interview de la Radiodiffusion Française, le mercredi 25 mars dernier.

M. Toutain-Revel a rappelé sommairement les origines de la Société, ses activités, les buts recherchés, et a indiqué la portée actuellement mondiale du grand nom de Flaubert et de son œuvre. Cet interview sera diffusé sur la chaîne nationale.

Avant le court colloque de notre Président, M. René Herval, Président des Écrivains Normand avait, lui aussi en quelques mots, indiqué l’importance et la qualité de la littérature normande.

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Le Bulletin des Amis de Flaubert

De nombreux adhérents nous complimentent du Bulletin de la Société. Nous les en remercions très vivement, en indiquant que le Bureau de la Société fait ce qu’il peut, avec parfois des moyens… d’infortune que, seule, la volonté peut vaincre.

Nous sommes très touchés de ces marques d’encouragement. Écrivez-nous, chers adhérents, même s’il y a quelques critiques à nous formuler. Nous serons toujours heureux d’avoir de vos nouvelles !