Les Liaisons dangereuses

Les Amis de Flaubert – Année 1959 – Bulletin n° 15 – Page 59

 

Les Liaisons dangereuses

À la suite de la projection, en septembre 1959, dans deux salles de cinéma de Paris d’un film intitulé Les Liaisons dangereuses et extrait du célèbre roman de Choderlos de Laclos, la Société des Gens de Lettres a protesté, le 10 septembre 1959, contre ce qu’elle appelait « une trahison littéraire et morale » de l’œuvre, tellement le film dénaturait à des fins strictement commerciales et par des moyens particulièrement déplacés, le roman de Choderlos de Laclos.

Outre cette protestation, la Société des Gens de Lettres a fait saisir le film, interdire sa projection et a confié à la justice civile le soin d’arbitrer ce pénible conflit.

Notre Société des Amis des Flaubert se souvenant dans quelles conditions a été commémoré le centenaire de Madame Bovary (1857-1957) — voir notamment le Bulletin n° 10 réitérant ses regrets de voir dénaturés systématiquement tant de chefs-d’œuvre de la littérature française, — a cru opportun de joindre sa protestation à celle de la Société des Gens de Lettres.

M. Jacques Toutain-Revel, Président de la Société, a écrit dans ces termes au Président de la Société des Gens de Lettres de France :

« Rouen, le 11 septembre 1959.

» Monsieur le Président,

» La Société des Amis de Flaubert, deux fois moralement victime de « tricheries » ayant entièrement dénaturé l’œuvre de Gustave Flaubert : Madame Bovary (la première fois par la production d’un film étranger invraisemblable (1949) et la seconde fois par la parution dans un grand hebdomadaire parisien d’un article entièrement truqué (texte et clichés), lors du Centenaire de Madame Bovary (1957), félicite hautement la Société des Gens de Lettres au moment où le film des Liaisons dangereuses paraît à l’écran, de son intervention tendant à la juste défense du patrimoine littéraire national.

» Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les plus distingués et dévoués ».

La lettre ci-dessus a été envoyée en copie aux journaux suivants : Le Monde, L’Aurore, Le Parisien Libéré, Le Figaro, Paris-Normandie, Liberté-Dimanche. Le Monde l’a insérée en entier (15 septembre 1959). L’Aurore l’a mentionnée, ainsi que Liberté-Dimanche.

Le Président de la Société des Gens de Lettres a répondu ce qui suit :

« Paris, le 17 septembre 1959.

» Monsieur le Président,

» Comment ne pas vous remercier de l’appui que « Les Amis de Flaubert » donnent à l’action entreprise par la Société des Gens de Lettres dans la triste affaire des « Liaisons dangereuses » ?

» Notre Comité est formellement résolu à défendre les empiétements, pour ne pas dire plus que des producteurs cinématographiques se permettent tous les jours de faire dans l’admirable patrimoine de notre pays.

» Nous ne voulons pas voir, demain, Emma Bovary circuler en scooter…

» Nous espérons que devant le tollé général soulevé par l’attitude de MM. Vadim et autres, nous aurons le plaisir d’enregistrer la disparition de tels procédés.

» Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les meilleurs et bien dévoués.

Le Président :

Francis Didelot ».

On connaît la suite de l’instance judiciaire. Par ordonnance de Référé, le Président du Tribunal civil de la Seine, en date du vendredi 25 septembre 1959, a décidé ce qui suit :

« Est confirmée la saisie des bandes ou fractions de bandes cinématographiques qui contiennent le titre du film Les Liaisons dangereuses. La Société des films Marceau pourra retirer des mains de tous séquestres des bandes ou fractions de bandes qui ne comportent pas la projection du titre, et elle pourra en reprendre l’exploitation sous tel autre titre qu’il lui plaira de choisir.

» Est reconnu à la Société des Gens de Lettres de France, qui a pour objet statutaire de protéger et de défendre à l’étranger la langue et la pensée française, la faculté d’agir en justice pour la défense des œuvres de langue française tombées dans le domaine public, car la loi du 11 mars 1957 a créé une protection nouvelle des titres originaux survivant des droits pécuniaires des auteurs et de leurs héritiers ».

Ajoutons que le film — nous ignorons si les personnages seront aussi débaptisés — s’appellera désormais Les Liaisons dangereuses 1960.

Et complimentons à nouveau la Société des Gens de Lettres de France de défendre la littérature française.