Les exemplaires en grand papier des Éditions originales

Les Amis de Flaubert – Année 1960 – Bulletin n° 16 – Page 56

 

Les exemplaires en grand papier

des Éditions originales de Madame Bovary et Salammbô

Nous décrivions, l’an dernier (1), un exemplaire de Salammbô portant cette dédicace à Alfred Baudry : « À mon petit père, son vieux Gustave Flaubert », et nous disions n’avoir pu consulter le catalogue de la vente Bergier, où figure ce volume.

Grâce à l’amabilité d’un de nos lecteurs, descendant direct de Jules Senard, de Frédéric Baudry et d’Adrien Bergier, nous avons pu photographier ce très intéressant catalogue.

Les flaubertistes nous sauront gré, croyons-nous, de reproduire ici la partie de sa préface relative aux Flaubert :

« Jamais aucune collection de livres romantiques, sans en excepter une seule, n’a offert une pareille réunion des œuvres du grand romancier G. Flaubert. Ici figurent en éditions originales et dans des états exceptionnels : Madame Bovary, en grand papier vélin. Magnifique exemplaire avec une dédicace de l’auteur à l’un de ses amis les plus chers (467).

« — Salammbô s’y rencontre en deux exemplaires. L’un en papier  ordinaire, porte un envoi d’auteur et possède, annexée, une des lettres les plus curieuses que Flaubert ait écrites. Sortant une fois de sa misanthropie et du dédain qu’il professait pour la réclame et les louanges plus ou moins sincères de la presse, Flaubert recommande à son ami de faire publier dans deux journaux un compte rendu élogieux de son livre dont il annonce le grand succès (468). — Le second, en grand pap. de Hollande, est aussi fort précieux. Dans l’envoi qu’il a écrit sur le faux titre, l’auteur nous fait connaître le chiffre du tirage du grand papier : 95 ex. sur papier de Hollande (469). — Le Candidat,  l’Éducation Sentimentale, la Tentation de Saint-Antoine s’y rencontrent  aussi avec lettre autographe et dédicaces (393, 472, 473) ».

Voici maintenant, accompagnées de nos commentaires, les descriptions des principaux exemplaires cités plus haut :

467. Gustave Flaubert : Madame Bovary, moeurs de province, Paris, Michel Lévy frères, 1857, in-12, br. (couverture) (2).

Grand papier vélin. Envoi d’auteur ainsi conçu : « À mon ami très cher, le seul qui vienne me voir dans ma solitude rustique, l’auteur indigne, G. Flaubert ».

Ce Volume porte dans notre bibliographie le numéro 42. Il a sans doute été acheté, à la vente Bergier, par Léon Schück, qui le fit relier somptueusement par Marius Michel.

470. Gustave Flaubert : Salammbô, Paris, Michel Lévy, 1863, in-8°, broché (couverture) (3).

Édition originale. — Envoi d’auteur : « À mon petit père, son vieux G. Flaubert ». Une lettre autographe de G. Flaubert est jointe à l’exemplaire.

Il s’agit ici de l’exemplaire que nous avons décrit sous le n° 13, que nous rappelons au début de cet article. C’est par erreur, que, dans la préface du catalogue, on lui attribue le n° 468. Mais nous devons conclure qu’il s’agit d’un « petit papier » et non d’un Hollande. En revanche, il y a, sous le n° 471, un autre Salammbô, ainsi décrit :

471. Salammbô : Gustave Flaubert, Paris, Michel Lévy, 1863, gr. in-8°, demi-maroquin rouge, tête dorée, non rogné. Édition originale (4) Dédicace : « À mon très cher — Souvenir de son vieux G. Flaubert, un des 95 exemplaires tirés sur papier de Hollande ».

Signalons, en passant, l’erreur commise dans la préface du catalogue, qui attribue à ce livre le n° 469 au lieu de 471.

À qui ce livre est-il dédicacé ? À Alfred Baudry ? À son frère Frédéric ? De ces deux hypothèses, nous pencherions à adopter la première parce qu’Alfred avait déjà reçu un grand papier de Madame Bovary, avec une dédicace débutant à peu près de la même façon (voir n° 467, ci-dessus), mais nous ne disposons actuellement d’aucun élément de certitude au sujet de cette attribution.

Le lapsus des 95 exemplaires sur Hollande ferait penser à l’exemplaire signalé à Vicaire par Léon Schück. Le volume se substituerait alors à celui que nous avons décrit sous le n° 13.

Nous considérions cette recherche comme terminée quand nous avons reçu de M Pierre Macqueron, avocat à la Cour d’Appel de Rouen et ancien bâtonnier, une lettre dont la lecture nous a rempli de joie.

Nous ne pouvons mieux faire que d’en citer le passage ci-dessous :

« Rouen, 1er juin 1959.

» …Je suis possesseur d’un des 25 exemplaires (5) sur papier de Hollande dédicacé à mon arrière-grand-père Me Senard, dans les termes suivants :

« À Me Senard, qui est la cause du succès de ma première œuvre. J’offre la seconde avec reconnaissance et humilité, en lui envoyant une longue poignée de main.

» Son tout dévoué et bien affectionné,

» G. FLAUBERT ».

» Cet exemplaire a failli être détruit au cours de la dernière guerre.

» Je l’avais déposé dans mon coffre-fort de la Succursale du Crédit Lyonnais de Rouen, pensant qu’il serait en sécurité, mais au cours du mois de mai 1944, la ville de Rouen a subi des bombardements sévères. Lors de l’un d’eux, la succursale du Crédit Lyonnais a été très éprouvée. Son directeur et plusieurs employés tués. Les coffres-forts ont été bousculés et le mien est resté plusieurs jours dans l’eau.

» Dès qu’il a pu être relevé, j’en ai retiré le volume en question, et avec le concours de mes enfants, je l’ai soigné page à page. Actuellement il est presque intact et spécialement la dédicace n’a pas souffert.

» Je vous indique que je descends de M. Senard de la façon suivante : une de ses filles a épousé mon grand-père Frédéric Baudry, qui était, à la fin de son existence, Conservateur de la Bibliothèque Mazarine et membre de l’Institut. Ma mère était la fille de M. et Mme Frédéric Baudry ».

Cette lettre nous révélait donc l’existence d’un volume insoupçonné, jamais décrit et dont la magnifique dédicace montre la reconnaissance et la fidélité de Flaubert pour l’illustre défenseur de Madame Bovary.

Relié à nouveau après la guerre, ce volume n’a pas sa couverture, mais, par bonheur, sa dédicace est intacte.

Nous sommes heureux de pouvoir l’ajouter aux treize exemplaires dédicacés, déjà écrits, car dans la hiérarchie des Salammbô, il mérite certainement de se voir attribuer une des premières places.

Auguste Lambiotte

Président de la Société des Bibliophiles de Belgique.

Le Livre et l’Estampe, Bruxelles, n° 19, 3e numéro de 1959.

 

À la suite de ce très intéressant article que nous sommes heureux de reproduire,

M. Auguste Lambiotte veut bien ajouter ceci (sa lettre du 30 novembre 1959) :

« Je reçois à l’instant le catalogue d’une vente qui se tient à Paris les 10 et 11 décembre 1959, par les soins de Mme Vidal-Mégret, 154,  boulevard Malesherbes.

» Dans cette vente, il y a un Bovary sur vélin fort, un Salammbô sur Hollande et Les Trois Contes sur Hollande.

» L’exemplaire de Salammbô est précisément celui que je décris sous le n° 471 du catalogue Bergier et que j’avais tendance à attribuer à Alfred Baudry (6). EN RÉALITÉ, IL EST DÉDICACÉ À FRÉDÉRIC BAUDRY ET JE VOUS DEMANDE DE BIEN VOULOIR L’INDIQUER.

» Voici la description détaillée du volume en question, qui a été relié à neuf par Marius Michel :

« Flaubert (G.) : Salammbô. Paris, Michel Lévy frères 1863, » in-8°, mar. tête de nègre, jans., doublé de mar. rouge sertis d’un filet doré, gardes de soie vert foncé broché, doubles gardes, tr. dor. sur témoins, couverture et dos (Marius Michel).

» Édition originale. Exemplaire sur Hollande.

» Très bel et précieux exemplaire offert par Flaubert avec cet envoi et cette note autographe, sous le faux titre : « À mon très cher Frédéric Baudry,

souvenir de son vieux

Gve FLAUBERT.

» Un des 25 exemplaires tirés sur papier de Hollande.

» (Frédéric Baudry, condisciple de Flaubert au Lycée de Rouen, philologue, devait épouser la fille de l’avocat Senard, qui plaida le procès de Madame Bovary) ».

(1) Voir Bulletin des Amis de Flaubert n° 14 (Année 1959).

(2) Exemplaire Alfred Baudry.

(3) Exemplaire Alfred Baudry.

(4) Exemplaire Frédéric Baudry (Voir plus loin)

(5) Lire Salammbô, exemplaire Senart.

(6) Voir l’article ci-dessus.