L’œuvre de Flaubert à la Radio : « Quitte ou Double »

Les Amis de Flaubert – Année 1960 – Bulletin n° 16 – Page 64

 

L’œuvre de Flaubert à la Radio

Au cours de son émission du jeudi 11 février 1960, un de nos concitoyens, le rouennais Michel Vaglio, a participé au Concours de la Radio du jeu « Quitte ou Double ».

C’est ainsi que Paris-Normandie  du vendredi 12 février 1960 relate les chances et les malchances de M. Vaglio :

Au « Quitte ou Double », Emma Bovary fait perdre 1.280 NF à un Rouennais

« Certains Rouennais se sont peut-être sentis hier soir, vers 20 h. 30, accrochés un peu plus que de coutume à leur poste de radio, au cours de l’émission « Quitte ou Double ». En effet, un de nos concitoyens, M. Michel Vaglio, demeurant rue Jouvenet, et de sa profession expert-comptable aux Ponts et Chaussées, subissait le supplice du micro… et du jeu. Il avait choisi la catégorie littérature. Et brillamment, il sut répondre aux premières questions et mettre en branle sa solide culture pour faire face aux harcèlements du speaker qui, inlassablement, cherche la brèche.

» Or, cette brèche, il la trouva. Et là où il ne pouvait y en avoir, où l’on s’y attendait le moins. Plus dangereux qu’une brèche, un trou de mémoire.

» La question était : « De quelle personne s’est inspiré Flaubert pour écrire la mort d’Emma Bovary ? ou quelque chose d’approchant ». Elle touchait presque notre ville. Elle fit mouche. M. Vaglio ne se souvint plus de la belle et chagrine Delphine Delamare, au regard tristement voilé, qui dormait de son dernier sommeil au cimetière de Ry. Il ne se souvint pas de Maxime Du Camp qui avait conseillé à Flaubert ce rapprochement de personnages. Il ne revit pas le portrait qu’on peut voir au Musée de Rouen de Mme Delamare, doucement alanguie, désespérée. Il ne retrouva pas non plus le fil conducteur du drame : l’arsenic. Et pourtant, il le savait.

» Il le savait puisque c’est lui-même qui nous l’a confirmé au téléphone ».

C’est uniquement dans un but de documentation que notre Bulletin évoque ce Concours littéraire.

Notre Société a eu l’occasion de faire les plus sérieuses réserves sur ce genre de Concours publics, où les questions posées, trop souvent spécieuses ou vagues, entraînent parfois des réponses, même déclarées excellentes, n’ayant qu’un rapport lointain avec la réalité des faits.

Dans le cas précis ci-dessus, rappelons que l’appartenance Delphine Couturier-Emma Bovary est plutôt… imaginaire ; que Flaubert (ainsi qu’il l’a dit lui-même) n’a copié aucun modèle ; que Maxime Du Camp a parlé à Flaubert de « l’histoire des Delamarre » (avec deux r) sans qu’on sache si ces Delamarre ont ou non le moindre rapport avec le ménage Delamare (avec un r)-Couturier ; et que le portrait qu’on peut voir au Musée des Beaux-Arts de Rouen est celui de Mme Joseph Court, femme du peintre, sans que rien n’indique, au surplus, que Flaubert (dont la famille connaissait fort bien la famille Court) se soit inspiré de Mme Maria Court pour en faire une éventuelle Emma Bovary.

Les Concours littéraires et ceux surtout de la Radio, font parfois — tout respect gardé pour nos Organismes d’Émission — gagner beaucoup d’argent, mais font presque toujours perdre les têtes.