1960 La vie de notre Société 1

Les Amis de Flaubert – Année 1960 – Bulletin n° 16 – Page 73

 

La Vie de notre Société

Sommaire :

Vendredi 27 novembre 1959 : Hommage à Émile Verhaeren, p. 73-74 ‒ Élection de M. Jean Pommier à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, p. 74 ‒ Samedi 12 décembre 1959 : Quarante étudiants étrangers visitent Rouen et vont à Croisset, p. 74 ‒ Dimanche 13 décembre 1959 : Le matin. Cérémonie du souvenir sur la tombe de Flaubert. L’après-midi. Conférence par M. Aimé Dupuy, p. 76-77 ‒ Mercredi 27 janvier 1960 : Causerie de M. le docteur Galérant sur « De Trouville à Freudenstadt en côtoyant Flaubert et ses amours impossibles », p. 76-77

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Le Vendredi 27 Novembre 1959 : Hommage à Émile Verhaeren

Le vendredi 27 novembre 1959, à midi, se réunissaient à Rouen, dans le jardin de l’Hôtel de Ville, plusieurs Sociétés Littéraires et Savantes de Rouen, pour rendre hommage, autour de la stèle d’André Verhaeren, à ce grand poète belge.

On sait que Verhaeren, alors qu’il venait de faire une conférence à Rouen, et d’ailleurs d’être accueilli par les Amis de Flaubert, dont il était membre correspondant, fut tué par un train entrant en gare de Rouen, le 27 novembre 1917, en fin d’après-midi.

La Ville de Rouen a tenu à élever en souvenir de cet accident et plus encore en hommage à Émile Verhaeren dont l’œuvre est à juste titre considérée comme particulièrement importante, une stèle surmontée du buste du Lettré et du Savant. Tous les ans, les Sociétés littéraires rouennaises et les Sociétés du Souvenir belge s’assemblent autour de la stèle Verhaeren pour y déposer des fleurs.

Cette année, l’hommage a été rendu. La Société des Amis de Flaubert était représentée par M. Jacques Toutain, président ; M. Sénilh, trésorier ; M. Andrieu, secrétaire, et par plusieurs membres du Comité.

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Élection de M. Jean Pommier

à l’Académie des Sciences Morales et Politiques

M. Jean Pommier, professeur au Collège de France et qui veut bien nous honorer de sa présence à la vice-présidence de notre Société, a été élu le 30 novembre 1959 à l’Académie des Sciences Morales et Politiques.

Cette élection lui fait grand honneur et à notre Société aussi. Notre éminent ami a si souvent et si bien écrit sur Flaubert et sur son œuvre que tout ce qui peut apporter d’illustration aux nombreux mérites de Jean Pommier nous réjouit entièrement. C’est autour de Madame Bovary, c’est autour aussi de Gustave Flaubert que le savant professeur au Collège de France a tout spécialement consacré ses études et ses recherches. À maintes reprises, dans les revues et journaux, la plume de notre ami s’est utilement exercée en vue d’une savante exégèse. N’oublions pas sa publication si précieuse des brouillons et manuscrits du célèbre roman. Et aussi les si utiles conseils que M. Jean Pommier nous a souvent donnés.

Tout cela engendre une grande joie et aussi une grande reconnaissance que nous sommes heureux de transmettre au nouvel Académicien.

 

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Le Samedi 12 Décembre 1959 :

Quarante Étudiants étrangers visitent Rouen et vont à Croisset

Une quarantaine d’étudiants de l’Alliance Française de Paris, de différentes nationalités, ont visité, le samedi 12 décembre 1959, l’agglomération rouennaise. La cathédrale, le Pavillon Flaubert à Croisset, la maison de Corneille à Petit-Couronne, et les puissantes installations de Shell-Berre figuraient à leur calendrier.

Ils déjeunèrent, à 13 heures, à la Maison des Jeunes, place du Général-de-Gaulle, où les accueillit M. Mulet, directeur.

M. Leroy, secrétaire du Syndicat d’Initiative, leur fut un guide précieux au cours de cette excursion qui leur montra les oppositions étonnantes de notre ville et de sa banlieue : d’une part, une grande cité historique et archéologique ; par ailleurs, un centre industriel en pleine expansion et un port actif qui contribue à accélérer encore cette promotion économique dynamique.

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Le Dimanche 13 Décembre 1959. Le matin : Cérémonie du Souvenir sur la tombe des Flaubert. — L’après-midi : Conférence par M. Aimé Dupuy

Les Amis de Flaubert fêtaient, le dimanche 13 décembre 1959, le 138e anniversaire de l’auteur de Madame Bovary. En leur nom, leur hôte d’honneur M Aimé Dupuy, vice-recteur honoraire de la Faculté d Alger, fleurit la tombe. Puis ils poussèrent une pieuse reconnaissance jusqu’à la sépulture de Louis Bouilhet, toute proche.

Comme chaque année, à la minute de silence, succéda une conversation animée. On souleva les mêmes problèmes concernant quelques indispensables aménagements, projets déjà évoqués lors des précédentes commémorations : flèches pour orienter les visiteurs, dégagement des abords pour mieux marquer l’hommage permanent de Rouen à son immortel enfant.

Le docteur Rambert, adjoint aux Beaux-Arts qui assistait pour la première fois en sa qualité, à ce pèlerinage traditionnel, assura le président Toutain de toute son affection. Puis l’on redescendit vers la ville frileuse, humide et grandiose dans ses voiles de brume pâle.

On avait rendez-vous après déjeuner. On se retrouva dans la salle des Sociétés Savantes, au Muséum d’Histoire Naturelle. Le président Toutain y accueillit avec son habituel brio, M. Aimé Dupuy. Le thème choisi par l’éminent conférencier : « Flaubert et les chemins de fer », alléchait visiblement l’auditoire. Il se retira gâté, une heure plus tard, approvisionné en anecdotes, en extraits de correspondance, en annotations féroces ou savoureuses. Car Flaubert n’y allait pas de main morte dans ses jugements et ses descriptions. Parfois pourtant, sous le trait, il glissait un sourire bienveillant.

Flaubert se familiarisa difficilement avec le nouveau mode de locomotion. II lui reprochait d’aller trop vite. Où donc étaient les romans vécus au temps des diligences, au cours d’un voyage Rouen-Paris .

La haute taille du « grand Flo » — 1 m. 80 selon selon les uns, 1 m. 83 selon les autres — lui rendait pénibles les déplacements en chemin de fer. Pour juger des dimensions des trains en ces temps héroïques, il suffit de savoir que la Compagnie du Nord vantait ses voitures « où l’on pouvait se tenir debout ».

En 1865, dans une lettre, Flaubert décrit son martyre : « Au bout de 5 minutes, je hurle d’ennui. On croit dans le wagon que c’est un chien oublié. Pas du tout. C’est Flaubert qui soupire ».

Le chemin de fer fournit à l’ermite de Croisset d’innombrables portraits express (naturellement), croquis jaillis d’un œil impitoyable et d’une plume précise. À la porte d’une gare, il remarque « un homme plaignant le sort des chiens. Dans les trains, ils sont avec des chiens inconnus qui leur donnent des puces ».

Flaubert avait déjà catalogué les gares. Il dénonçait cruellement leur morne aspect. Il convient, affirmait-il, de « s’extasier devant elles et les donner comme des exemples d’architecture ».

Mais Flaubert, qui protestait contre le bruit, aujourd’hui on dirait la publicité, fait autour de l’inauguration de la ligne Paris-Le Havre, en 1843, utilisa beaucoup le chemin de fer. Surtout lorsque après son attaque d’apoplexie, sur la route de Pont-l’Evêque, le médecin lui ordonna une vie paisible, émaillée de longs voyages. Il parcourut l’Italie, la Suisse, l’Algérie, la Tunisie. Toutes les fois que l’occasion s’en offrait, il prenait le chemin de fer, là du moins où il existait.

En gare de Rouen, il vint souvent accueillir ses amis des soirées de Médan. Le dimanche de Pâques 1880, il fallait qu’il fût bien las pour charger de ce soin Guy de Maupassant, « son jeune homme ». Maupassant, qui venait de publier  Boule de Suif, avait attendu Zola, Charpentier, Daudet et Edmond de Goncourt, pour les conduire à Croisset. Le lendemain, ils étaient repartis vers Paris, ignorant qu’ils auraient à revenir au cours de l’été prochain pour suivre le cercueil de Flaubert jusqu’au cimetière Monumental.

La causerie de M. Aimé Dupuy, sobre, vive, légère et documentée, lui vaut de chaleureux applaudissements. Il fit entendre ensuite quelques enregistrements de pages de Flaubert. C’est ainsi que l’on apprécia Françoise Rosay dans quelques pages d’Un Coeur Simple.

De nombreuses personnalités honorèrent ces réunions littéraires. On reconnaissait, autour du docteur Rambert, le premier président Ricaud ; MM. Adnet, inspecteur d’Académie adjoint ; R. Croquebois, proviseur du Lycée Corneille ; Bluteau, directeur du Collège National Technique ; le romancier, Roger Besus ; Robert Eude et Rouault de la Vigne, de l’Académie de Rouen ; André Dubuc, président de la Société Libre d’Émulation ; Émile Horst, président du Souvenir Belge ; A. Pierre-Pani ; J. François Revel ; Lefèvre ; Werner Groepler ; les membres du Comité : MM. J. Toutain-Revel, président ; Lucien Andrieu, secrétaire ; René Senilh, trésorier ; Lahaye ; M. et Mme Fontaine.

Flaubert et son univers, Flaubert et son temps, Flaubert et ses pairs ont inspiré d’innombrables savants. Ce qu’il y a de prodigieux, c’est que le sujet ne risque pas d’être épuisé demain. Cela rassure ses amis qui pourront continuer à jamais d’explorer le monde merveilleux où règne le grand Flo.

Paris-Normandie, lundi 14 décembre 1959.

 

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Le Mercredi 27 janvier 1960 : Causerie de M. le Docteur Galérant sur

« De Trouville à Freudenstadt en côtoyant Flaubert et ses amours impossibles »

Le Docteur Galérant, un des flaubertistes les plus avertis de tout ce qui concerne la famille Flaubert et la vie du grand romancier, a donné à Rouen, Quartier des Sapins, au Comité d’Échanges Culturels et Folkloriques, le mercredi 27 janvier 1960, une Conférence du plus haut intérêt.

On sait les liens sentimentaux puissants qui unissaient Gustave Flaubert dès son enfance à Mme Schlésinger (la Mme Arnoux de l‘Éducation Sentimentale) et ce que fut la vie de la double et pauvre épouse de Jude et de Schlésinger et ce que furent aussi les déchirements d’une famille profondément divisée.

Ce lent calvaire, le Docteur Galérant, qui connaît admirablement le sujet, le retraça en termes émouvants.

La venue du Docteur Galérant aux Sapins avait attiré une nombreuse assistance, heureuse d’entendre le savant flaubertiste évoquer « De Trouville à Freudenstadt, en côtoyant Flaubert et ses amours impossibles ».

La causerie émaillée d’annotations rigoureuses et pittoresques, présentée avec autant de souci littéraire que d’esprit, remporta un grand succès. Elle sera d’ailleurs donnée, en juin prochain, à Deauville. À cette époque, en effet, Deauville accueillera une importante délégation de l’Université de Lexington, cité américaine du Kentucky, avec laquelle elle est jumelée. Or le docteur Galerant s’est vu confier le programme artistique et culturel, avec toutefois obligation d’y prononcer une conférence sur Flaubert. Ce qu’il a accepté bien volontiers.

Le Comité d’Échanges culturels et folkloriques des Sapins n’est pas peu fier d’avoir eu la primeur de la causerie du médecin. Pour lui exprimer son plaisir, le Comité lui remit un joli souvenir, un ouvrage d’Honoré de Balzac, réédité récemment à Munich, par l’éditeur allemand le plus spirituel, M. Ernst Heimeran. Voici le titre de ce curieux petit bouquin L’art de payer ses dettes et de satisfaire ses créanciers sans débourser un sou, enseigné en dix leçons, ou  Manuel du Droit commercial, à l’usage des gens ruinés, des solliciteurs, des surnuméraires, des employés réformés et de tous les consommateurs sans argent, par feu mon oncle, professeur émérite, précédé d’une notice biographique sur l’auteur et orné de son portrait. Le tout publié par son neveu, auteur de L’Art de mettre sa cravate. À Paris, à la Librairie Universelle, rue Vivienne, n° 2 bis, au coin du passage Colbert 1.827.

Ce charmant canular édité avec beaucoup de goût, à l’intention des bibliophiles, fut remis au docteur Galerant par M. Dürr, président du Comité, entouré des membres du bureau.