À propos du Journal des Goncourt

Les Amis de Flaubert – Année 1961 – Bulletin n° 19 – Page 27

 

À propos du Journal des Goncourt

L’histoire de la publication de Journal des Goncourt est bien connue.

Aux termes de son testament, Edmond de Goncourt avait prévu la publication intégrale vingt ans après sa mort, c’est-à-dire que celle-ci aurait dû avoir lieu dès 1915.

À cette époque, trop de gens vivaient encore, qui auraient été publiquement mis en cause dans le Journal, en des termes souvent désobligeant

On laissa passer les années. Les administrateurs successifs de la Bibliothèque Nationale, en plein accord avec les Gouvernements successifs de la République, en plein accord avec l’Académie Goncourt elle-même, résistèrent à tous les appels indiscrets qui leur furent faits pour obtenir communication du Journal à une époque que l’on pouvait à juste titre considérer comme prématurée.

Plus d’un demi-siècle s’écoula. Lorsque l’œuvre des Goncourt fut à la veille de tomber dans le domaine public, l’Académie Goncourt, conformément à ses droits et à ses devoirs, estima le moment venu de procéder à la publication. Rien dans ces feuillets jaunis n’était plus de nature à troubler les esprits. Le Gouvernement n’avait aucun motif pour s’opposer à cette publication ; il ne s’y opposa point. Le Bulletin Flaubert n° 18 a bien voulu rappeler très justement que j’étais à cette époque Ministre de l’Éducation Nationale.

Certaines personnes, de qui les parents étaient mis en cause dans leur vie privée, essayèrent d’obtenir des Tribunaux l’interdiction de la publication. Les juges ne les ont pas suivis, et c’est ainsi que d’édition intégrale du Journal des Goncourt fut réalisée en 1958.

Quant à savoir si Edmond de Goncourt sort grandi de cette publication, c’est une autre question, sur laquelle je me garderai de me prononcer. Le caractère ombrageux de l’auteur de la fille Élisa apparaît en pleine lumière et aussi son grand orgueil et sa prédilection pour les ragots incontrôlables. Les historiens nous recommandent de ne consulter Saint-Simon qu’avec certaines précautions ; il est certes indispensable de faire la même recommandation à tous ceux qui entreprennent la lecture du Journal des Goncourt.

Dans un but documentaire, les rédacteurs du Bulletin des Amis de Flaubert ont cru devoir réunir tous les passages du Journal qui concernent l’auteur de Madame Bovary. L’idée me paraît excellente et en tout cas très instructive. Goncourt, ce n’est un secret pour personne a toujours été un peu jaloux, je ne dis pas du talent incomparable de Flaubert, mais de ses succès, de sa gloire.

Les notes du Journal concernant le solitaire de Croisset nous donnent de multiples preuves de cet état d’esprit.

À mon avis, de la part d’un personnage aussi inquiet, aussi « grognon » que celui d’Edmond de Goncourt, c’est une marque d’intérêt exceptionnelle, et j’oserai dire, un réel hommage.

 

André Marie

Ancien Ministre de l’Éducation Nationale.