Boileau, Flaubert et l’Académie

Les Amis de Flaubert – Année 1961 – Bulletin n° 19 – Page 62

 

Boileau, Flaubert et l’Académie

Dans le Bulletin 18, la question suivante était posée :

— Un flaubertiste hollandais, A. F. Jacobs, signale que Flaubert cite plusieurs fois dans ses lettres la phrase suivante, qu’il attribue à Boileau : « Les bêtises que j’entends dire à l’Académie hâtent ma fin ».

M. Jacobs n’a pas réussi à retrouver cette boutade dans les Éditions modernes de Boileau. Celui-ci l’a-t-il vraiment écrite ? où la retrouver ?

— Cette même question avait été primitivement posée par M. Rouault de la Vigne dans l’Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, de décembre 1960.

— Dans l’Intermédiaire des Chercheurs et Curieux de mars 1961 (page 308) et de juillet 1961 (pages 649 et 650), nous trouvons les deux réponses suivantes :

Boileau et l’Académie

Flaubert a sans doute cité de mémoire et inexactement le passage suivant de la lettre IX, à M. de Maucroix (29 avril 1695) : « Mais vous, Monsieur, est-ce que nous ne nous reverrons plus à Paris, et n’avez-vous point quelque curiosité de voir ma solitude d’Auteuil ? Que j’aurais de plaisir à vous y embrasser et à déposer entre vos mains les chagrins que me donne tous les jours le mauvais goût de la plupart de nos académiciens, gens assez comparables aux Hurons, aux Topinambours, comme vous savez bien que je l’ai déjà avancé dans mon épigramme : Chio vient l’autre jour, etc… Œuvres de M. Despréaux. Genève, Fabri et Barillo, 1716, II p.322  DON ABBONDIO. (Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, mars 1961, page 308).

 

Boileau et l’Académie, 1960, page 308

L’érudition de Don Abbondio ayant permis de retrouver dans la correspondance de Boileau la boutade de Flaubert contre les Académiciens, j’ai pu constater que celui-ci avait marqué d’un trait au crayon dans la marge de ce passage de la lettre de Boileau à Maucroix, en date du 29 avril 1695, dans l’édition qu’il possédait des Œuvres complètes de Boileau-Despréaux (stéréotype d’Herhan, Paris, Imprimerie Mame frères, 1809. 3 vol. petit in-8). Il suffit, pour s’en assurer, d’ouvrir le tome III à la page 30 de l’exemplaire conservé à la Mairie de Canteleu-Croisset (Seine-Maritime), où, on le sait, ont été déposées les bibliothèques (meubles) et les livres qu’elles contenaient, léguées en 1931 par la nièce de Flaubert à l’académicien Louis Bertrand et cédées par lui à l’Académie Française.

Flaubert marquait ainsi au crayon les passages qui le frappaient davantage. Il n’en a pas marqué moins de six dans cette lettre qui paraît une de celles qui l’ont le plus intéressé : ce sont ceux qui ont trait à la Fontaine, à Malherbe, à Racan… Il fait sienne évidemment cette assertion de Boileau : « Notre langue veut être extrêmement travaillée ». Et il est d’accord avec lui pour payer « nos poètes qui ne disent que des choses vagues, que d’autres ont déjà dites avant eux et dont les expressions sont trouvées ». « Pour moi, dit encore Boileau, je ne sais si j’y ai réussi ; mais quand je fais des vers, je songe toujours à dire ce qui n’est point encore dit en notre langue ».

Il faut mentionner aussi les deux épigrammes XXIV et XXV, qui figurent dans le tome II de l’édition précitée, aux pages 113 et 114. La seconde surtout, marquée d’une croix au crayon par Flaubert :

 

Sur l’Académie Française

 

J’ai traité de topinambours

Tous ces beaux censeurs, je l’avoue,

Qui, de l’Antiquité, si follement jaloux,

Aiment tout ce qu’on hait, blâment tout ce qu’on loue,

Et l’Académicien, entre nous,

Souffrant chez soi de si grands fous,

Me semble un peu topinamboue.

Notons enfin, dans le tome I, page CXV, dans les notes historiques (anonymes) au chapitre Boileau à l’Académie Française, ce trait que cite d’Alembert, secrétaire perpétuel de l’Académie Française.

« Despréaux, dit-il, trouvait que l’emblème qui convenait le mieux à cette Académie était une troupe de singes se mirant dans une fontaine, avec ces mots : « Sidi pulchri ». Et Flaubert a marqué la marge d’un trait de crayon bien appuyé.

 

Rouault De La Vigne.

(Int. des Chercheurs et Curieux, juillet 1961, pages 649 et 650).