Flaubert, mystique normand

Les Amis de Flaubert – Année 1961 – Bulletin n° 19 – Page 79

Le Mercredi 15 Mars 1961, M. Pierre Cogny a donné une conférence sur Flaubert, mystique normand

Le mercredi 15 mars 1961, à la Faculté des Lettres de Caen, M. Pierre Cogny, Docteur ès Lettres et professeur de littérature française à l’Université de Caen, a donné une brillante conférence sur Flaubert, mystique normand :

Chercher le mystique chez un écrivain que l’on cite comme un des meilleurs exemples de réalisme, tient de la gageure du paradoxe facile. M. Cogny, docteur ès lettres, autorité incontestée en matière de XIXe siècle, sut magistralement prouver que, dans le cas de Flaubert, ce mysticisme est un élément important et même déterminant de la personnalité de l’homme comme de celle de l’écrivain. ,

Se basant avant tout sur des citations tirées de la correspondance de Flaubert — laquelle n’était pas destinée à la publication — M. Cogny montra les étapes successives de cette soif de dépassement qui ne fut jamais absente des pensées de l’écrivain. Antireligieux sans hostilité, le jeune Flaubert a déjà une certaine angoisse du néant et ressent la nécessité du doute en tant que facteur de progrès. Romantique, il le fut à ses débuts et ne cessa jamais de l’être — son attitude extérieure cachant mal ses profondes aspirations et — toujours de sa correspondance — transparaît bientôt une conception de la dualité de l’être, de l’existence, de l’âme et de ses besoins.

Malgré l’ironie dont il s’enveloppe et par ses écrits avec ostentation, la solitude de l’artiste qui souffre est réelle chez Flaubert. Sa première manifestation de mysticisme véritable apparaît avec le « portrait » de Mme Arnoult dans l’Éducation Sentimentale au cours duquel on sent qu’il repousse la réalité physique pour la dépasser et rechercher une « connaissance plus douloureuse ».

Cette recherche, il la conclut en se faisant une religion de l’art, en assimilant l’art à Dieu comme étant un principe qui se suffit à lui-même. Les arguments convaincants et les citations de M. Cogny n’eurent point de peine à graver dans l’esprit de l’auditoire le portrait d’un Flaubert qui se voyait « artiste dans son œuvre à l’égard de Dieu dans la création : présent partout, et visible nulle part ».

Détruisant ainsi le mythe de l’impersonnalité réaliste de l’écrivain, M. Cogny conclut — très applaudi — en poussant plus avant sa démonstration, retrouvant toujours à travers des citations de la correspondance des preuves convaincantes de l’assimilation de Flaubert aux mystiques proprement dits, à ceux qui pratiquent l’esthétique, l’humilité et la persévérance en tant que verbes et n’ont comme souci que de tenir malgré les périodes de nuit et de doute « leur âme dans des régions hautes, loin des fanges bourgeoises ».

J.M.

Paris-Normandie, vendredi 17 mars 1961 (Édition du Calvados).