Une opinion d’un romancier contemporain sur Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1963 – Bulletin n° 23  – Page 33

 

Une opinion d’un romancier contemporain sur Flaubert

Les Nouvelles Littéraires (8 août 1963) ont consacré « Une heure avec » à Christian Murciaux, romancier, auteur de Pedro de Lune et de Notre Dame des désemparés.

À la question de Gabriel d’Aubarède :

— Venons aux influences proprement littéraires. Je crois me rappeler que vous reconnaissez Flaubert comme votre premier maître ?

Christian Murciaux lui répond :

— Il le fut en effet. Et le Flaubert qui paraît aujourd’hui à certains le plus suranné, l’auteur de Salammbô. Il y aurait lieu, d’ailleurs, de s’interroger sur l’actuel discrédit de cette œuvre éblouissante. Les  docteurs de la loi haussent aujourd’hui les épaules quand on cite Salammbô, mais une Colette, un Giraudoux disaient qu’ils le relisaient toujours avec joie. Et remarquons que, parmi les romans de Flaubert, c’est un de ceux qu’il a écrits avec le plus de bonheur, avec le plus d’élan, un de ceux au cours de l’exécution duquel le refroidissement progressif du sujet, phénomène si frappant chez Flaubert, s’est le moins fait sentir…

— Qu’est-ce donc qui vous a personnellement le plus impressionné chez Flaubert ?

— C’est ce que j’appellerai la « magie » de ses descriptions ; sa volonté d’atteindre, dans la description, à la limite extrême du pouvoir d’évocation. Cet élément magique est à mon avis une des nécessités de l’art du roman. Il me paraît cruellement absent des descriptions dont nous accable ce qu’on nomme aujourd’hui le « nouveau roman ». Il ne suffit pas, pour éclairer un paysage, un décor, un trésor, tout ce qu’on voudra d’en dresser un inventaire minutieux et épuisant pour le lecteur. C’est, au contraire, à l’équivalent de ce qu’est un raccourci plastique dans le domaine de la peinture qu’il s’agit de parvenir. Delacroix à propos de L’Assassinat de l’Évêque de Liège disait : « Ce que j’ai voulu peindre, c’est l’éclair de l’épée. » Ce n’est pas en décrivant des panoplies d’épées alignées côte à côte qu’on le rendra le moins du monde sensible au lecteur, cet éclair… Flaubert, lui, nous le fit souvent sentir.