Des dangers de la correspondance de Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1964 – Bulletin n° 24 – Page 27

 

Des dangers de la correspondance de Flaubert

Dans les études littéraires, les critiques se trouvent très souvent en face de problèmes qu’ils ne peuvent pas résoudre en se bornant à une étude de l’œuvre publiée d’un auteur. Questions biographiques, problèmes d’interprétation, de date, de conditions spéciales qui ont pu influencer l’œuvre littéraire, parfois même problèmes d’exégèse : autant de raisons pour chercher ailleurs, et notamment dans les écrits non publiés par l’auteur, des renseignements supplémentaires.

Dans ces conditions, les Flaubertistes ont raison de se féliciter, car il n’y a guère d’écrivains qui aient laissé autant de ces écrits « privés » que le romancier rouennais. Plans, scénarios, brouillons, manuscrits complets ou inachevés, et surtout la Correspondance, nous donnent une occasion unique de suivre les étapes de la création littéraire, de fouiller les intentions de l’écrivain, de tout savoir sur sa vie et sa pensée. Mais c’est peut-être justement dans le nombre et la variété de documents que se trouve le plus grand danger pour les études flaubertiennes — cette richesse, nous ne savons pas l’utiliser. Dans la conviction — erronée, me semble-t-il — que presque tout peut servir, pourvu que ce soit de la main de Flaubert, nous n’avons pas assez appris à peser la valeur de nos instruments de travail.

La Correspondance en particulier, qui est trop souvent considérée comme une sorte d’oracle infaillible, n’est après tout qu’un simple document historique, qui ne devrait être utilisée, à mon avis, qu’après une étude précise et systématique des limites dans lesquelles on peut s’y fier. Or, ce travail de base n’a pas été fait ; et pourtant la Correspondance est l’un des documents les plus complets et les plus importants de toute la littérature française.

Il est vrai que certains critiques ont vu — en théorie du moins — que l’on risque d’arriver à des conclusions fausses, sinon stupides, en prenant au sérieux tout ce que dit Flaubert dans ses lettres. M. Dumesnil, par exemple, en parlant des rapports entre Flaubert et Zola, nous en avertit :

Chaque fois que Zola lui envoie ses livres, il lui adresse une critique serrée de ceux-ci. Mais chez les plus francs eux-mêmes la politesse oblige à des détours. Ce n’est donc pas dans ses lettres à Zola qu’il faut chercher le sentiment tout à fait sincère de Flaubert sur l’école naturaliste (1).

De même, Maynial, à propos du grand voyage en Orient, préfère le témoignage des Notes de Voyage à celui de la Correspondance, « où, malgré sa bonne foi, il ne peut s’empêcher de se composer une attitude, différente d’ailleurs, pour sa mère et pour son ami Bouilhet, […] » (2).

Mais s’ils n’ont pas manqué complètement de voir l’importance d’un examen critique de la Correspondance, ils n’en parlent qu’en passant, pour l’oublier quelquefois eux-mêmes plus loin. Quant aux autres Flaubertistes, la plupart, ils ne semblent même pas y avoir pensé. Il me paraît donc utile de tenter une esquisse des principes généraux dont on pourrait tenir compte avant de citer la Correspondance pour appuyer un argument ou une théorie. On trouvera sans doute, dans ce qui suit, quelques idées déjà avancées par d’autres, quelques avertissements qui paraîtront par trop évidents : et pourtant, ils se justifient du fait que même les ouvrages les plus récents continuent à accorder à la Correspondance une valeur documentaire plus grande qu’elle ne mérite.

Jusqu’à un certain point, il est vrai que dans une lettre personnelle un auteur écrira beaucoup de choses qu’il n’ose ou ne veut pas mettre dans une œuvre publiée ; on pourrait donc s’attendre à trouver dans ses lettres sa pensée vraie et intime. Mais il ne faut pas perdre de vue les influences externes capables de changer le contenu d’une lettre et de déformer cette pensée. Il n’y a qu’à penser aux conditions dans lesquelles souvent nous-mêmes écrivons des lettres personnelles. Tout d’abord, il y a toujours une sorte d’entente entre l’expéditeur et le destinataire. Par conséquent, il est souvent possible d’écrire une phrase, ou même toute une lettre, que seul le destinataire comprendra, et qu’un tiers croira comprendre, alors que la vraie signification lui en échappe. Ensuite, il peut nous arriver d’écrire quelque chose qui n’est pas exactement ce que nous voulions dire, mais que, par paresse ou par fatigue, nous ne rectifions pas, espérant que le destinataire saura démêler notre vraie pensée. Enfin, assez souvent, lorsque nous écrivons à quelqu’un de moins intime, sans précisément mentir, nous ne disons pas tout à fait la vérité, afin de ne pas blesser le destinataire — ou même de le flatter un peu.

Tout cela, je crois, est évident ; et il n’y a aucune raison pour prétendre que Flaubert fût différent de nous tous à cet égard. Voilà donc un point de départ, découvert dans l’expérience personnelle de chacun : il est essentiel de connaître la personnalité de l’auteur et de ses rapports avec le destinataire ; il est souhaitable de connaître aussi les conditions particulières dans lesquelles chaque lettre a été écrite.

Commençons donc par la personnalité de Flaubert. Il ne peut pas être question de résumer ici le grand nombre de travaux excellents dans cette section des études flaubertiennes : je me bornerai à quelques idées générales illustrées d’exemples précis, tendant à démontrer l’importance de cet aspect de la question.

Les deux traits les plus marquants du caractère de Flaubert étaient sans doute sa tendance « romantique » ou passionnée, et son esprit railleur. Or, la coexistence de ces deux traits chez le même homme peut entraîner quelques difficultés, surtout parce que le Flaubert « blagueur » aime bien s’amuser aux dépens du Flaubert romantique (3). Mais ces deux tendances ont très souvent la même conséquence : l’exagération. À mon avis, on n’a pas assez insisté sur ce fait, quoiqu’il soit bien connu. Pour prendre un exemple très simple : Flaubert a dit à plusieurs reprises que parmi ses ancêtres il y avait (entre autres) une Natchez ou une Iroquoise. Or, non seulement ceux qui font des recherches sur la généalogie de Flaubert mentionnent toujours cette affirmation (4), mais ils semblent souvent croire que Flaubert la tenait pour un fait (5), et ils ont presque l’air de vouloir prouver qu’il s’était trompé ! Flaubert dit d’ailleurs une fois, en parlant de ses fameux ancêtres, qu’il les « ignore complètement » et que sans doute ils « étaient de fort honnêtes gens » — et dans la même phrase il assure aussi que « il y a en moi du Tartare et du Scythe, du Bédouin, de la Peau-Rouge » (6). Ce n’est guère la peine de prendre tellement au sérieux des choses si légèrement dites.

Il y a pire : Ferrère, après avoir parlé de l’amour de Flaubert pour l’Orient, va jusqu’à dire :

« Par une déformation assez curieuse de la croyance à la métempsychose, il en arriva à croire réellement qu’il avait été autrefois un rhéteur grec, un soldat romain, et même un proxénète de Naples (7). »

Comme « preuve », il cite une lettre à Maxime Du Camp d’avril 1846. Or, il est vrai que Flaubert a dit cela — il le dira encore à George Sand vingt ans plus tard (8) ; mais prétendre que Flaubert — ce Flaubert qui raillait toutes les superstitions et même la plupart des religions, qui croyait uniquement au fait vu et prouvé — pourrait croire à la métempsychose ! À mon avis, de tels passages dans ses lettres sont plutôt des commentaires légèrement ironiques sur son goût pour les affirmations exagérées, ou peut-être simplement une tentative d’expliquer ce goût par du langage figuré. En tout cas, je crois qu’on insulte son intelligence en prétendant qu’il y croyait vraiment. Enfin ces questions, sans importance après tout, illustrent les excès qui peuvent résulter d’une interprétation trop littérale de la Correspondance.

Cette tendance à exagérer se trouve d’ailleurs partout dans la Correspondance, et, ce qui est encore plus grave, elle a presque toujours le même résultat : elle amène Flaubert à conclure, à faire toutes sortes de déclarations générales, à discourir pendant des pages entières sur les sujets les plus divers. Or, cette façon autoritaire de donner des réponses dogmatiques et un peu faciles est précisément le contraire de l’attitude que Flaubert préconisait pour des questions sérieuses. En effet, peu de penseurs à cette époque, même parmi les plus grands, savaient mieux que lui les dangers de toujours vouloir affirmer, d’offrir toujours des solutions nettes et précises. Il mettait le doute absolu au-dessus de n’importe quel « système » — soit philosophique, soit religieux, soit littéraire — et il critiquait vivement cette « rage de vouloir conclure » chez ses contemporains. Son opinion sur cette question ne pourrait être plus claire : elle est exprimée tant de fois dans ses lettres, à des époques si différentes, que le doute est impossible. Par exemple, il écrit en 1853 : « La conclusion, la plupart du temps, me semble acte de bêtise » (9) ; et en 1863 :

« La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité […]. Je crois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu (10). »

Ce même sentiment revient au moins vingt fois dans la Correspondance, de 1839 à 1880 (11).

Or, si cette notion était si chère à Flaubert, il admettrait que lui-même, en concluant sur tant de choses, n’aurait même pas pu effleurer la vérité dans ses lettres, parce que sa méthode était fausse. Il est donc fort probable que si nous pouvions l’interroger sur telle ou telle affirmation, il la renierait volontiers, en disant qu’elle n’exprimait qu’en partie sa vraie pensée (12).

Ceci n’est d’ailleurs pas simplement une spéculation oiseuse, car quelque chose de ce genre lui est en effet arrivé de temps en temps. Quelquefois — trop rarement, malheureusement — l’un de ses correspondants lui reproche son ton tranchant, et il réagit presque toujours de la même manière : dans la lettre suivante, il admet volontiers qu’il avait tort, il essaie de nuancer l’affirmation trop dogmatique, et, plus important encore, il avoue qu’il n’avait exprimé qu’une opinion personnelle, et non pas une « vérité ». C’est à George Sand surtout que nous sommes redevables de ces petits éclaircissements sur la vraie pensée de Flaubert. Sand avait des théories littéraires et sociales bien différentes de celles de Flaubert, et lorsqu’elle n’était pas d’accord avec lui, elle ne manquait pas de le lui dire. Par conséquent, nous trouvons souvent dans les lettres à Sand des phrases comme celles-ci : « Je me suis mal exprimé en vous disant […] » (13) ; « Je me suis mal expliqué (dans ma dernière lettre) » (14). De même, dans une lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, il y a un passage du même genre : « Je suis désolé que vous ayez si mal compris ma dernière lettre […]. Je m’explique » (15).

Parfois, cette habitude de Flaubert de préciser sa pensée dans une lettre ultérieure est utile pour ses théories littéraires : évidemment, nous pouvons nous baser avec plus de certitude sur ce qu’il dit la deuxième fois. Mais combien de fois, dans d’autres lettres, a-t-il exprimé des idées qui ne donnent qu’une partie de sa véritable opinion, et qu’il n’a pas corrigées ultérieurement ? Il est impossible de le savoir ; autre raison, donc, pour être très prudent en voulant citer la Correspondance. Les lettres à Louise Colet sont particulièrement dangereuses de ce point de vue, car c’est là que Flaubert a exprimé une grande partie de sa pensée esthétique, et ce sont les lettres que les critiques aiment le mieux citer. Et pourtant, Louise Colet ne le reprend guère, en matière d’esthétique, à la manière de Sand — elle était trop occupée de sentiments ou de ses propres œuvres. Parmi les douzaines de passages où Flaubert s’efforce de corriger une mauvaise impression qu’il lui avait donnée (16), quelques-uns seulement traitent de l’art en général ou de la philosophie (17). C’est sans doute que Louise songeait beaucoup plus à le reprendre sur des choses plus mesquines (18). Car comment expliquer autrement qu’elle ne semble pas avoir essayé de réfuter au moins quelques-unes de ses affirmations sur la littérature ? — Il y en a, avouons-le, qui sont stupides. On se félicite souvent de ce que Flaubert écrivait tant de lettres à Louise pendant qu’il travaillait à Madame Bovary ; mais combien plus féconde aurait été cette correspondance si Louise avait été une George Sand ! Il est à croire que beaucoup des idées exprimées par Flaubert à cette époque auraient pris une forme différente. Mais, les choses étant ce qu’elles sont, il nous est extrêmement difficile de mesurer exactement la part d’exagération dans cette partie de la Correspondance.

Ce dont nous pouvons être certains, cependant, c’est qu’il y en a beaucoup, et de temps en temps nous surprenons Flaubert en train de l’avouer lui-même. Quelquefois, par exemple, il s’interrompt au milieu d’une phrase pour se moquer de lui-même : « quelle sotte manie j’ai de parler en métaphores qui ne disent rien ! » (19) « Que le diable m’emporte si je sais ce que je veux dire ! » (20) « Adieu, j’ai été dérangé tout le temps de ma lettre ; elle ne doit pas avoir le sens commun » (21). Cette dernière citation surtout est importante, car elle vient justement à la fin d’une dissertation assez étendue sur la littérature, où il est question de Gautier, de Musset, de Hugo, de Rabelais, de Cervantès, de Shakespeare, de Horace et de La Bruyère !

Dans une lettre à Ernest Chevalier, Flaubert va même jusqu’à se moquer de son ami pour avoir pris ses exagérations au sérieux :

« L’ennui que j’ai t’a paru plus grand qu’il n’existe […]. Peut-être, quand je t’ai écrit ma lettre (du reste je ne me la rappelle pas maintenant), étais-je dans un moment sombre. Cela m’arrive quelquefois, […]. Et toi, bâtin, au lieu de perdre deux feuilles de papier à me moraliser, raconte-moi plutôt des blagues, […] » (22).

Nous ne devons pas oublier que même dans l’expression de ses sentiments — et surtout lorsqu’il s’agissait de dépression nerveuse — Flaubert exagérait (23) ; mais une fois la cause de la dépression passée, il retrouvait sa gaieté, et même oubliait ses sentiments moroses. À cet égard, je crois qu’on pourrait trouver dans ses lettres presque autant de passages optimistes sur Madame Bovary, que de passages où il se plaint amèrement de son roman ; et pourtant on ne cite, en général, que les passages pessimistes. Les critiques eux-mêmes, à la suite de Flaubert, ont peut-être un peu exagéré les fameuses « affres du style » (24).

À côté des exagérations, les contradictions. Évidemment, il n’est pas du tout surprenant qu’il y ait beaucoup de contradictions dans une correspondance si volumineuse, et il n’y a pas lieu d’en critiquer Flaubert. Mais cela sert à souligner encore une fois les difficultés du critique moderne. La contradiction la plus frappante, peut-être, se trouve justement dans ces passages souvent cités par les critiques (25) : « Encore maintenant, ce que j’aime par-dessus tout, c’est la forme, pourvu qu’elle soit belle, et rien au-delà […]. Moi, j’admire autant le clinquant que l’or. La poésie du clinquant est même supérieure, […] » (26) ; et quelques semaines plus tard, sans doute en réponse à une critique de Louise : « Pourquoi dis-tu sans cesse que j’aime le clinquant, le chatoyé, le pailleté ! » Et il se met à nier cette idée dans un long développement oratoire de trois pages, au cours duquel il énonce plusieurs idées qui pourraient sembler importantes (27). Mais comment s’y fier si Flaubert n’avait aucune conscience de cette contradiction ? La valeur de ces deux lettres n’est donc peut-être pas si grande qu’on le croyait — surtout lorsqu’il termine la deuxième ainsi : « Je ne sais pas si tout cela est lisible ; j’écris trop vite » (28).

Passons maintenant aux conditions particulières dans lesquelles ces lettres — et surtout, encore une fois, celles à Louise Colet — ont été écrites. On sait que ces lettres sont souvent très longues, parfois jusqu’à vingt pages d’imprimerie. Flaubert les commençait, d’ailleurs, après avoir fait ses onze ou douze heures de travail littéraire — c’est-à-dire, vers minuit ou une heure du matin, et il était naturellement très fatigué (29). « Il faut t’aimer pour t’écrire ce soir, car je suis épuisé. J’ai un casque de fer sur le crâne. Depuis 2 heures de l’après-midi (sauf vingt-cinq minutes à peu près pour dîner) j’écris de la Bovary, […] » (30). Ou encore : « Adieu, je t’embrasse, je suis abruti. Je ne sais pas ce que j’écris, ni seulement si tu pourras le lire » (31).

Flaubert regardait ces longues lettres écrites dans le silence de la nuit comme une sorte de repos, un moyen d’échapper à la tyrannie de son roman, une occasion de laisser courir sa plume : car depuis l’échec de la première Tentation de Saint Antoine il s’était interdit cette méthode dans ses œuvres :

« Quand ma journée est finie et que j’ai assez pensé, écrit, lu, rêvé, bâillé, quand je suis saoul de travail et que j’éprouve la fatigue de l’ouvrier sur le soir, je me repose dans ton souvenir, comme sur un bon lit ; je me livre à toi, je t’aspire et ça me rafraîchit, et ça m’égaye, ainsi que ces bonnes brises nocturnes qui vous pénètrent l’âme de vie et de jeunesse (32). »

Il se laisse aller, donc, il écrit très vite, comme nous l’avons vu, il ne se soucie guère de style ni de correction, il ne relit pas ce qu’il a écrit. Parfois même, il est étonné de voir qu’il est en train de parler de telle ou telle chose : il ne sait pas, en commençant, où il va aboutir. Il y en a un très bon exemple dans sa lettre à Louise du 26 août 1853 (33). Il commence par parler de son travail, puis de la littérature en général ; il compare une bonne œuvre à un homme antique qui marche pieds nus ; et cette comparaison le mène à un discours très compliqué sur les différentes sortes de chaussures et ce qu’elles peuvent signifier : lequel discours occupe quatre pages d’imprimerie. Puis, il résume ainsi : « Il faut donc jeter toutes ces ordures à l’eau, en revenir aux fortes bottes ou aux pieds nus, et surtout arrêter là ma digression de cordonnier. D’où diable vient-elle ? D’un horrifique verre de rhum que j’ai bu ce soir, sans doute. Bonsoir » (34). Et sa lettre du lendemain commence par ces mots :

« Il est difficile d’entasser plus de bêtises que je ne l’ai fait hier au soir. Enfin, puisque c’est écrit, que ça parte ! Tu verras au moins par là que je ne ménage avec toi ni le temps ni le papier. Il était près de 3 heures quand je me suis couché ce matin » (35).

Or, ces longs développements sont très fréquents dans la Correspondance, et l’on y trouve quelquefois, comme dans la lettre que je viens de citer, des passages qui pourraient sembler importants pour ses théories littéraires ; mais que faut-il en penser si Flaubert lui-même nous dit qu’il n’a fait qu’entasser des bêtises ?

De même, il y a la fameuse lettre à Louise de 1853, souvent citée, surtout par ceux qui croient à la théorie du mal de la pensée (36).

« Certaines natures ne souffrent pas, les gens sans nerfs. Heureux sont-ils ! Mais de combien de choses aussi ne sont-ils pas privés ! Chose étrange, à mesure qu’on s’élève dans l’échelle des êtres, la faculté nerveuse augmente, c’est-à-dire la faculté de souffrir. Souffrir et penser seraient-ils donc même chose ? [… etc.] » (37).

D’abord, cette idée relève de la pure fantaisie, et le raisonnement en est très faible ; ensuite, si nous examinons de près le début de cette lettre, nous voyons quelle situation banale a amené Flaubert à dire tout cela — il semble que Louise souffre de maux de dents, et Flaubert est en train de la convaincre qu’il vaut mieux se faire arracher la mauvaise dent, comme il l’avait fait lui-même dix ans auparavant. De là, quelques mots sur la douleur physique, une citation de Montaigne, et le voilà lancé dans un discours sur la souffrance morale. Dans ces conditions, on ne pourrait guère s’attendre à un exposé précis et raisonné de sa philosophie. Et pourtant, ce passage est cité par Thorlby pour démontrer que pour Flaubert le génie était « un raffinement de la souffrance » (38).

Il importe aussi de nous rappeler encore une fois la conception de Flaubert du travail de l’artiste — conception connue de tout le monde, mais trop vite oubliée. Après avoir passé cinq années de travail acharné à écrire chacun de ses grands romans, comment Flaubert pourrait-il admettre qu’une lettre, écrite d’un seul jet, presque jamais corrigée, puisse exprimer sa pensée exacte ? Ce serait la négation de ses théories de la recherche du mot juste, le mot unique (39). Le nombre d’erreurs de grammaire et de ponctuation, de mots mal écrits ou omis, que Faguet a allégués en « preuve » de l’idée que Flaubert écrivait naturellement mal, ne témoignent en fait que de la hâte avec laquelle il écrivait ses lettres, et du peu d’importance qu’il y attachait. M. Dumesnil défend Flaubert contre les accusations de Faguet, en faisant remarquer qu’il faut s’attendre à des négligences de style dans ces conditions (40) ; mais ces négligences qu’on admet dans le style, pourquoi ne pas en tenir compte également pour les idées ? En fait, on pourrait certainement trouver, dans les lettres de Flaubert, au moins autant d’erreurs de raisonnement et de pensée que de style — et ces erreurs-là sont beaucoup plus importantes pour le critique moderne.

Considérons maintenant l’effet sur le contenu des lettres des rapports entre Flaubert et ses destinataires. Pour cela, il serait utile de pouvoir consulter aussi les lettres écrites à Flaubert : c’est pourquoi le volume de correspondance entre lui et George Sand est d’une si grande valeur. Mais, en général, cela est très difficile, et parfois impossible — on sait, par exemple, que les lettres de Louise Colet ont été brûlées par la nièce de Flaubert. Il nous faudra donc nous contenter, très souvent, de ce que nous pouvons inférer des lettres de Flaubert lui-même sur ses rapports avec tel ou tel correspondant.

Nous avons déjà vu l’effet salutaire de la franchise de George Sand  ; nous avons vu aussi que les réactions de Louise ne paraissent pas avoir beaucoup influencé les opinions qu’il exprime, du moins en matière de littérature. On peut déceler des traces de l’influence du destinataire dans plusieurs autres lettres, surtout dans la deuxième moitié de la vie de Flaubert. Cette influence est parfois importante pour qui voudrait examiner la valeur de la Correspondance comme source de renseignements. J’ai déjà fait remarquer la prudence de M. Dumesnil à l’égard des sentiments de Flaubert sur les naturalistes, et nous pouvons maintenant considérer cette question plus en détail.

Flaubert et Zola étant amis assez intimes, on s’attendrait peut-être à une franchise parfaite dans leurs lettres. Jusqu’à un certain point, on trouve en effet cette franchise, car Flaubert témoigne généralement d’un enthousiasme sincère, dans ses lettres à Zola, pour les œuvres de celui-ci (41). (Nous savons qu’il était sincère parce qu’il vante ces œuvres à d’autres aussi ; et quoiqu’il soit un peu moins enthousiaste quelquefois, il ne manque jamais d’en voir la grandeur) (42). Sa sincérité et sa franchise paraissent d’autant plus grandes du fait que dans ses lettres à Zola il mêle à ses louanges des critiques d’aspects qu’il n’aime pas.

Mais dès qu’il s’agit des théories littéraires de Zola, nous découvrons que cette franchise n’est qu’apparente. Nous savons que Flaubert n’aimait pas les théories de son ami, mais il ne le lui dit jamais dans ses lettres. En revanche, il s’en moque assez souvent avec d’autres, quelquefois de façon un peu méchante (43). Il agit de même — avec beaucoup d’habileté, d’ailleurs — avec d’autres écrivains contemporains, surtout lorsqu’ils sont moins intimes : en leur parlant de leurs livres, il fait de son mieux pour souligner les côtés qu’il trouve bons ; il ajoute quelques critères légers auxquels il affecte de n’attacher guère d’importance ; quant aux aspects qu’il trouve vraiment mauvais, il essaie de ne pas en parler du tout. Il faut dire qu’il ne ment guère dans de telles lettres : seulement, il déforme un peu ce qu’il pense, afin de ne pas blesser son correspondant. Et sa vraie opinion, il la dit ouvertement à un autre ami ; les contradictions qui en résultent sont parfois assez frappantes.

Ainsi, dans une lettre à Daudet à propos des Rois en exil, il dit :

« Votre volume, reçu à dix heures du matin, était avalé à quatre et demie du soir.

Il ne dépare pas la collection. Oh ! non ! Sacré nom de Dieu, comme c’est bien composé ! et que le premier chapitre (lequel, en soi, est sublime) se relie bien au premier ! Votre Christian est une de vos meilleures créations (c’est ça ! bravo mon vieux !) Soyez sûr qu’il restera comme un type. »

Et ainsi de suite jusqu’aux critiques, bien dans la manière de Flaubert :

« Quelques barres [sur son exemplaire] indiquent de petites taches de style. Mais elles sont peu nombreuses. Vous savez du reste que je suis pédant » (44).

On dirait qu’il le trouve presque un chef-d’œuvre ; seulement, le même jour, dans une lettre à Maupassant, il dit tout simplement : « Je viens de finir les Rois en exil. Qu’en pensez-vous ? Quant à moi… hum, hum ! » (45) ; et quinze jours plus tard, à la princesse Mathilde : « Ce livre [l’Église chrétienne, de Renan] est un chef-d’œuvre d’érudition et d’ingéniosité. Je n’en dirai pas autant des Rois en exil » (46).

Ce souci de ne pas offenser ses correspondants est exprimé ouvertement dans une autre lettre à Maupassant :

« À propos des naturalistes, que dois-je faire avec votre ami Huysmans ? Est-ce un homme à qui l’on puisse dire carrément sa façon de penser ? Ses Sœurs Vatard me causent un enthousiasme très modéré. Comme il m’a l’air d’un bon bougre, je ne voudrais pas l’offenser. Cependant ? » (47).

En effet, il finit par écrire à Huysmans une lettre où, sans témoigner du même enthousiasme qu’à Daudet, il donne quand même l’impression d’approuver l’ensemble du livre, tout en ne cachant pas qu’il y voit quelques fautes assez graves (48). Un peu plus tard, il se flatte de sa sincérité : « Tout en lui faisant des éloges, je lui disais franchement mon opinion ». « J’ai agi honnêtement et esthétiquement » (49). On le croirait tout à fait sincère, et peut-être l’était-il — et pourtant, il n’a pas dit à Huysmans, comme à Mme Roger des Genettes, qu’il a trouvé les Sœurs Vatard « abominable ! » (50).

Quelques critiques se sont étonnés de l’importance exagérée que Flaubert donnait parfois à des œuvres d’auteurs contemporains maintenant oubliés. Mais il convient de remarquer qu’en général il ne louait de telles œuvres que dans des lettres à leurs auteurs — c’est-à-dire, il s’efforçait simplement de leur être agréable. S’il avait vraiment aimé les œuvres de son « cher confrère » René de Maricourt, par exemple, ou d’Amélie Bosquet, il les aurait probablement vantées dans ses lettres à d’autres amis littéraires, comme il l’a fait pour les œuvres de Zola (51). En fait, il est probable qu’il n’appréciait pas du tout de telles œuvres, et ces erreurs d’interprétation viennent de ce que plusieurs critiques partent de l’idée que Flaubert parlait toujours « en toute franchise » dans ses lettres.

Nous aurions tort de ne pas faire aussi la part de la pure flatterie dans la Correspondance. Il n’y a qu’à comparer la lettre où il parle à la princesse Mathilde de « cette chère petite croix » (qu’elle vient d’obtenir pour lui) avec ce qu’il dit d’habitude de la Légion d’honneur, pour voir à quel point il est capable de flatter ses correspondants ! (52). Ou bien, on pourrait confronter ce qu’il dit à Feydeau sur la faiblesse du jugement littéraire des femmes ( « En résumé, ne t’en rapporte jamais à ce qu’elles diront d’un livre » etc.) (53) et ce qu’il en dit à Mme Jules Sandeau (54), ou à la princesse Mathilde (la flatterie est presque ignoble ici (55), ou encore aux Goncourt ( « Vous attendrissez le sexe, ce qui est un succès, quoi qu’on dise ») (56). Et quelle différence entre le ton qu’il emploie avec la princesse et celui qu’il emploie avec George Sand lorsqu’il s’agit de la brouille entre la princesse et Sainte-Beuve ! (57).

Cette tendance n’est pas complètement négligeable du point de vue purement littéraire, et il est important d’en reconnaître l’existence dans le caractère de Flaubert. Cela devrait au moins nous mettre en garde contre des affirmations comme celle-ci : « Excepté pour quelques épîtres de son enfance, ses lettres sont sans la moindre affectation » (58).

Parfois même on surprend Flaubert en flagrant délit de mensonge. On connaît très bien les lettres où il a formellement nié qu’il y ait eu un modèle vivant pour Madame Bovary, avec la dose de flatterie destinée à se faire mieux croire :

« Avec une lectrice telle que vous, Madame, et aussi sympathique, la franchise est un devoir. Je vais donc répondre à vos questions : Madame Bovary n’a rien de vrai. C’est une histoire totalement inventée ; je n’y ai rien mis de mes sentiments ni de mon existence » (59).

La plupart des critiques d’aujourd’hui n’accepteraient pas facilement cette affirmation ; et quoiqu’il y ait une certaine vérité psychologique là-dedans (60), il n’en est pas moins certain que Flaubert avait ici l’intention de tromper ses correspondants. Malheureusement, il est impossible de savoir précisément combien de fois il a trompé les critiques en trompant ses correspondants, mais ce seul exemple certain devrait au moins nous inciter à la prudence.

Il faut aussi tenir compte, pour la biographie aussi bien que pour l’esthétique de Flaubert, du fait que la Correspondance est incomplète. Du point de vue numérique, d’abord, nous savons qu’en 1877 Flaubert et Du Camp ont brûlé beaucoup de leurs lettres, lettres « qui comprenaient notre vie de 1843 à 1857 », et qui étaient sans doute importantes, car « elles parlaient uniquement de la littérature et des dames » (61). Nous savons aussi qu’il y a toujours plusieurs lettres inédites, même après les quatre volumes du Supplément publiés en 1954 : Jacques Suffel écrit en 1958 que la plupart des lettres à Jeanne de Tourbey n’étaient pas encore publiées (62), et lui-même en a présenté d’autres dans le Figaro Littéraire seulement le 11 août 1962 ; deux autres encore sont annoncées comme inédites dans le catalogue d’une vente à l’Hôtel Drouot le 24 juin 1963. En outre, il paraît vraisemblable qu’il y ait d’autres lacunes encore, peut-être importantes : par exemple, nous avons 90 lettres pour l’année 1853, tandis que pour 1855 il n’y en a que 16, toutes d’ailleurs adressées à la même personne. Or, étant donné que Flaubert se contredit assez souvent dans les lettres que nous avons, il est probable qu’il se contredise dans les autres ; et telle affirmation que nous croyons maintenant capitale paraîtrait peut-être une simple exagération dans l’une des lettres perdues. Ce n’est certes qu’une hypothèse, mais non pas fantaisiste.

La Correspondance est incomplète d’un autre point de vue. Dans aucune correspondance, si vaste soit-elle, on ne peut dire tout ce qu’on pense — même si on le voulait — et, par conséquent, on tend toujours à insister sur un seul aspect d’une question, aux dépens des autres. Or, rien n’est plus susceptible d’entraîner des erreurs d’interprétation, surtout lorsqu’on voudrait déduire les opinions d’un auteur sur d’autres écrivains. Les critiques qui traitent des théories littéraires de Flaubert ont certes mentionné ce danger (63), mais malgré leurs propres avertissements, ils se sont évertués à imposer, pour ainsi dire, un système critique là où il n’y en avait pas.

Il faudrait d’abord voir comment Flaubert est amené à parler des autres écrivains dans ses lettres. Le plus souvent, il commence par commenter un passage du roman qu’il écrit, ou d’un roman contemporain ; ensuite, il énonce, à cet égard, une « règle » générale (selon ses propres idées, naturellement) ; et finalement, il cite tel auteur célèbre pour illustrer cette règle. Cette illustration peut être en bien ou en mal, c’est-à-dire, ou il loue un auteur pour avoir observé la « règle », ou bien il le blâme pour ne pas y avoir obéi. Mais un auteur peut fort bien être loué ou blâmé pour le cas précis dont Flaubert parle pour le moment, sans être pour autant, à ses yeux, un écrivain entièrement bon ou entièrement mauvais. Prenons un exemple précis : on a si souvent dit que Flaubert aimait beaucoup Rabelais et Montaigne, et cela est vrai, mais il approuvait surtout leurs idées et leur attitude envers le monde. Il n’a jamais dit, ni de l’un ni de l’autre, qu’ils aient écrit de vraies œuvres d’art, comme il voulait le faire lui-même. Tout comme dans une lettre à Zola, il ne loue, dans les œuvres de ses « héros » littéraires, que les aspects qu’il approuve, et il ne parle point du reste. De même, pour un auteur qu’il n’aime pas — Musset, par exemple — il ne parle que des côtés qu’il trouve mauvais. S’ensuit-il qu’il ne voyait aucune faute chez Rabelais ou Montaigne, et qu’il ne donnait aucune valeur à Musset ou à Lamartine ?

En fait, ces jugements sommaires et dogmatiques de la Correspondance n’ont presque rien à voir avec la critique littéraire — ou du moins, il y entre autant de sentimentalité que de critique — et cela est un résultat direct et inévitable de la nature de ce document. Il est impossible de faire dans une lettre de la critique littéraire qui soit vraiment impartiale — on serait tenté d’ajouter que peu de gens en sont capables même en écrivant tout un volume.

Il n’est donc pas très utile de dire que Flaubert « a ignoré l’impartialité du vrai critique », ni que « les jugements littéraires de Flaubert tombent parfois à faux » (64) ; il n’est même pas très utile de se donner la peine de démontrer que ses jugements reflètent plutôt ses goûts personnels, mêlés quelquefois de haine ou d’amitié pour l’auteur, qu’un bon système critique. Ce serait vraiment surprenant s’il en était autrement dans des lettres. Mais si Flaubert avait écrit une vraie œuvre de critique, selon les principes qu’il énonce à Louise, à George Sand, à Taine, ou dans son introduction aux Dernières Chansons de Bouilhet, on y verrait, très probablement, une attitude complètement différente : il est même possible que certains aspects des œuvres de Rabelais — comme la construction, par exemple — y fussent critiqués, et certains de celles de Musset loués ! (l‘Étude sur Rabelais, ouvrage d’adolescent, ne compte guère ici, n’étant nullement l’œuvre d’un esprit mûr).

En tout cas, il est impossible de déduire avec certitude toute l’esthétique de Flaubert de la Correspondance. Ce qu’il dit des autres écrivains est incomplet, donc suspect, et, en dehors de toute autre considération, ne représente qu’une partie de ses préoccupations littéraires. En fait, la vraie esthétique d’un écrivain aussi consciencieux que Flaubert ne se trouve que dans ses œuvres. Là, on découvre une foule d’aspects de l’art et de la technique littéraires qui ne sont même pas mentionnés dans la Correspondance, et qui — à l’exception de son style — n’ont pas bénéficié, jusqu’ici, de l’attention qu’ils méritent. La Correspondance peut être extrêmement utile pour éclaircir tel ou tel problème posé par l’œuvre ; elle ne devrait pas devenir si importante que l’on cherche là, plutôt que dans les œuvres, le crédo esthétique de Flaubert.

Finalement, il ne faut pas nous laisser leurrer par quelques lettres particulièrement frappantes, en leur donnant une importance exagérée aux dépens des autres. Là encore, c’est fausser la perspective, et risquer d’imposer une vue déformée de Flaubert et de ses œuvres. On a beaucoup parlé du romantisme de Flaubert, mais il serait possible de soutenir que Flaubert ne fut jamais si romantique que beaucoup de critiques. Car le plus souvent, ce sont justement les lettres les plus romantiques, les plus pessimistes, les plus noires qu’il ait écrites, qui semblent universellement reconnues comme « capitales », et qui sont citées ad nauseam. Il ne s’y agit que d’ascètes, de calices, de grattement de blessures, de chambres murées dans le cœur, de rage, de démence, de mains brûlées pour toujours, et ainsi de suite. On a presque fini par oublier que Flaubert était aussi un franc gaillard, et surtout qu’il était aussi, peut-être la plupart du temps, un homme très, très ordinaire. À cet égard, les quatre volumes du Supplément sont extrêmement importants, précisément parce qu’ils paraissent, au premier abord, d’une importance assez limitée. Tous ces petits billets, qui ne traitent guère de littérature ni de philosophie, souvent d’une tournure facétieuse ou tout à fait neutre, révèlent un être terriblement normal, qui ne semble pas, après tout, avoir passé toute sa vie à pleurer et à crier contre l’humanité — même après 1870.

Voilà donc un aperçu des réserves qu’on pourrait montrer à l’égard de cette vaste correspondance. Certes, elles n’ont pas toutes la même importance, et il ne serait pas toujours nécessaire de les prendre toutes en considération avant de citer une lettre donnée. Mais le principal, à mon avis, c’est d’avoir toujours à l’esprit la possibilité d’erreurs si l’on ne tient pas assez compte des limitations très réelles de la Correspondance. La question demande à être étudiée à fond : peut-être même pourrait-on établir une sorte de guide des dangers possibles. Une telle étude ne pourrait qu’être très utile pour les travaux sur Flaubert, et aiderait, à l’avenir, à éviter quelques-unes au moins des controverses stériles qui ont souvent obscurci les vrais problèmes. Il ne s’agit, au fond, que de retrouver une bonne perspective, et de rendre aux romans l’importance que la Correspondance leur a parfois enlevée.

R.-J-Sherrington

(Buckenham-Norwich)

 

(1) Dumesnil, René : En Marge de Flaubert. (Paris, Librairie de France, 1928), p. 95.

(2) Maynial, Édouard : Flaubert. (« À la gloire de… » Paris, Nouvelle Revue Critique, 1943), p. 83 ; v. aussi Bonwit, Marianne : Gustave Flaubert et le principe d’impassibilité. (Berkeley, University of California Press, 1950), p. 277, et Tillett, Margaret : On Reading Flaubert (London, Oxford University Press, 1961), p. 2.

(3) On connaît très bien les excès romantiques du jeune Flaubert et ses amis, et cette tendance ne l’a jamais tout à fait quitté – v. Dumesnil : Gustave Flaubert (Paris, Desclée de Brouwer & Cie, 3e édition, 1947). On connaît également le « cycle » satirique, qui commence avec le célèbre « Garçon » et va jusqu’à Bouvard et Pécuchet – v. loc. cit. pp. 90 et seq. et pp. 396 et seq.

(4) Par exemple, Dumesnil : Gustave Flaubert, p. 42.

(5) Par exemple, Dumesnil : La Vocation de Gustave Flaubert. (Paris, Gallimard, 1961), pp. 16-17.

(6) Correspondance (Édition Conard), III, 396.

(7) Ferrère, E.L. : L’Esthétique de Gustave Flaubert. (Paris, Conard, 1913), p. 11.

(8) Correspondance, V, 240.

(9) Correspondance, III, 154 .

(10) Correspondance, V, 111.

(11) Correspondance, I, 02, 337 ; II, 379 ; IV, 170, 357, 399 ; V, 148 ; VI, 228, 264 ; VII, 108-109, 282, 356, 369 ; VIII, 231, 272, 370. V. aussi Dumesnil : Gustave Flaubert, pp. 322 et seq.

(12) Les critiques qui ont des raisons pour ne pas approuver Flaubert se donnent beau jeu en oubliant ce détail : c’est de cette manière, par exemple, que Faguet : Flaubert (Paris, Hachette, 3e édition, 1913), et Mauriac : Trois Grands Hommes devant Dieu (Paris, Hartmann, 1947) parviennent à « prouver » tous les deux que Flaubert manquait entièrement de sens critique.

(13) Correspondance, V, 257.

(14) Correspondance, VI, 356 ; v. aussi V, 396 et VI, 449.

(15) Correspondance, V, 394.

(16) Correspondance, I, 238, 280, etc., etc.

(17) Il semble même que Louise se fâchât quand il parlait de ces choses-là : v. par exemple Correspondance, I, 284-285, 319, 351 ; IV, 61.

(18) Il est possible que je méjuge Louise Colet, mais si nous pouvions consulter ses lettres à Flaubert, nous n’y trouverions peut-être pas grand-chose sur la littérature (sauf la sienne, bien entendu).

(19) Correspondance, I, 215.

(20) Correspondance, I, 362.

(21) Correspondance, III, 32 ; v. aussi I, 216, 276 ; III, 211, 272.

(22) Correspondance, I, 61-62.

(23) Correspondance, II, 3.

(24) Maynial, op. cit., semble être du même avis, p. 208 et pp. 212-214.

(25) Par exemple, Ferrère, op. cit., pp. 62-64 ; Bertrand, Louis : Gustave Flaubert (Paris, Ollendorff, nouvelle édition, s.d.) ; p. 186.

(26) Correspondance, I, 225.

(27) Correspondance, I, 321.

(28) Correspondance, I, 323. D’autre part, il n’est pas surprenant que Louise n’aimât guère causer littérature avec Flaubert s’il se montrait si peu constant dans ses idées ! Pour d’autres contradictions, v. 1, 220 ; IV, 83, 305 et 340 ; et surtout IV, 195-196, où il se contredit dans la même lettre.

(29) M. Dumesnil a déjà insisté sur ces conditions, quoique dans un but un peu différent  v. Gustave Flaubert, p. 443.

(30) Correspondance, III, 404 ; cette lettre a été commencée à deux heures du matin.

(31) Correspondance, I, 410 ; v. aussi I, 323 ; III, 102 ; X, 50.

(32) Correspondance, I, 361. Naturellement, il convient de faire ici la part de l’exagération dans ce passage.

(33) Correspondance, III, 319-327.

(34) Correspondance, III, 326-327.

(35) Correspondance, III, 327.

(36) Cette théorie est développée, par exemple, par Ferrère, op. cit., pp. 42 et seq., et par Frejlich, Hélène : Flaubert d’après sa Correspondance (Société française d’éditions littéraires et techniques, Paris, 1933), pp. 301 et seq.

(37) Correspondance, III, 358.

(38) Thorlby, Anthony : Gustave Flaubert and the Art of Realism. (London, Bowes & Bowes, 1956), p. 13. Il semble que Colling, Alfred : Gustave Flaubert (Paris, Fayard, 1947) fasse allusion au même passage, p. 319. Mauriac, op. cit. p. 94 cite une autre lettre dans le même sens.

(39) De temps en temps il en est conscient  v. par exemple, VIII, 265.

(40) Dumesnil, Gustave Flaubert, pp. 441-443.

(41) V. par exemple Correspondance, VI, 314 ; VII, 142 ; VIII, 114, 386.

(42) Correspondance, VII, 145, 159, 171, 207, 369 ; VIII, 19, 388, 391.

(43) V. les lettres à Zola citées plus haut, et aussi VII, 356, 359, 369 ; VIII, 118, 176, 258 , 259, 261.

(44) Correspondance, VIII, 315-316.

(45) Correspondance, VIII, 317.

(46) Correspondance, VIII, 320.

(47) Correspondance, VIII, 222.

(48) Correspondance, VIII, 223-226.

(49) Correspondance, VIII, 243.

(50) Correspondance. VIII, 231. Pour d’autres exemples frappants de ce procédé à l’égard d’écrivains célèbres, comparer X 336 et V, 160 (pour la Littérature anglaise de Taine) ; V, 160 et XI, 18 (pour la Bible de l’humanité de Mlchelet).

(51) II est vrai qu’il recommande Amélie Bosquet à d’autres, mais c’est toujours pour « faire une bonne action » ou pour « lui faire service » ; il ne dit jamais qu’ il trouve ses œuvres vraiment bonnes.

(52) Correspondance, V, 229, et les lettres sur la croix de Du Camp.

(53) Correspondance, IV, 303-305.

(54) Correspondance, IV, 340.

(55) Correspondance, V, 287.

(56) Correspondance, IV, 438.

(57) Correspondance, VI, 46 et VI, 68.

(58) Frejlich, op. cit., p. 30.

(59) Correspondance, IV, 164 ; v. aussi IV, 191.

(60) V. Dumesnil : Vocation, op. cit., pp. 222-226.

(61) Correspondance, XII, 324 et XII, 320.

(62) Suffel, Jacques : Flaubert (Paris, Éditions universitaires, Classiques du XIXe siècle, 1958), p. 63, note 1.

(63) Par exemple. Ferrère, op. cit. et Miller, Index de la Correspondance de Gustave Flaubert, Précédé d’une étude sur Flaubert et les grands poètes romantiques. (Strasbourg, Imprimerie des Dernières Nouvelles, 1934).

(64) Miller, op. cit., p. 105 ; Frejllch, op. cit., p. 439.