Maupassant et les Cauchois

Les Amis de Flaubert – Année 1966 – Bulletin n° 29 – Page 3

 

Du côté de Maupassant

Éditorial

 

 « Maupassant a-t-il égratigné ou flatté le Cauchois dans son comportement habituel ? »

La question « écrite » (comme à l’Assemblée Nationale, s’il vous plaît.) m’a été posée par l’un de mes amis, l’un de ceux que j’estime le plus pour sa probité intellectuelle, sa recherche de la vérité et, dans le domaine de la critique historique, son intransigeance. Il a de qui tenir, au demeurant, car son Maître à penser, à tout le moins celui de sa prédilection, n’est autre que notre Flaubert.

Mais si vous voulez bien relire sa question et retenir qu’il m’interroge sur « le Cauchois », je suis tenu de vous avertir que, lui, il est Brayon !

Ainsi certaine astuce — et je le vois sourire — perce-t-elle dans son propos, ce qui n’est point pour me déplaire.

Puisque tel est son désir, tenons-nous-en donc dans l’œuvre de Guy de Maupassant à son attitude vis-à-vis de l’homme (et de la femme) du Pays de Caux.

On ne peut nier que nos paysans l’aient plus qu’intéressé, passionné ! Il a multiplié les portraits et, ne serait-ce que de ces Contes, on pourrait tirer une étonnante galerie de cauchois et de cauchoises, du hobereau au gars de ferme, du baron au curé, du percepteur au facteur, en passant par le docteur, le pharmacien, l’instituteur et le gendarme, toutes les professions et tous les métiers.

Mais les avait-il bien connus ?

Et c’est là que la question de mon ami brayon prend tout son poids.

Oui et non.

Vous voyez, je réponds à la normande :

Oui, puisqu’il a vécu chez nous, qu’il y revenait assez souvent, y fréquentait nombre d’amis de Fécamp, Etretat, Saint-Jouin-sur-Mer, Le Havre, Gonneville-la-Mallet, Criquetot, Goderville, Longueville-sur-Scie, où ses amis Aubourg et Robert Pinchon lui en racontaient de « bien bonnes »… mais aussi d’inexactes !…

Non, car Maupassant s’est peut-être un peu trop fié à ceux qu’il appelait d’ailleurs ses « rabatteurs », et nous pouvons regretter qu’ils lui aient trop souvent offert moins des « portraits » que des « caricatures » de nos paysans cauchois pour amuser les parisiens

Il avait besoin d’eux pour ses chroniques du Gil Blas, et les autres se plaisaient à lui conter de ces savoureuses histoires — certaines assez crues et certaines fort cruelles — dont le lecteur a toujours été friand.

Je ne sache pas que Guy de Maupassant ait été lié avec quelque haute famille cauchoise menée, dans le patriarcat et le droit d’aînesse, par un maître-laboureur devant qui tout s’inclinait et la « maîtresse » fière, naturellement noble et finement grande dame. Il y eut trouvé des traits qui lui furent cachés et plus de qualités solides que de vrais défauts…

Avec quel admirable talent il en eût parlé !

Mais ce qu’il faut dire — et ce sera ma conclusion — c’est que les personnages caricaturés qui lui ont été décrits, il les a transplantés sans forcer davantage. L’accent de vérité s’y révèle indéniable. Il n’a pas flatté, certes, mais il n’a pas égratigné non plus.

Il n’y a pas, dans Maupassant, l’ombre d’une méchanceté.

Jehan LE POVREMOYNE