Un poème méconnu de Louise Colet

Les Amis de Flaubert – Année 1967 – Bulletin n° 30  – Page 19

 

Un poème méconnu de Louise Colet

Parmi les documents offerts par la nièce de Flaubert, Mme Franklin-Grout, à la Bibliothèque historique de la ville de Paris, figure un petit carnet (n° 4) contenant un long poème adressé à Gustave Flaubert, par une femme. Comme il est daté de septembre 1846, aucun doute n’est permis : il s’agit bien de Louise Colet. Il nous semble qu’il n’a jamais été publié et notre surprise est qu’il soit parvenu jusqu’à nous. Comme il était intime, il offre quelques quatrains plus légers, mais notre époque, non seulement du point de vue vestimentaire, est habituée à de plus véridiques tableaux, près desquels le naturalisme, semble de l’eau de rose. Nos lecteurs nous comprendront. Nous avons pris le parti de le publier, pour le verser au dossier des études flaubertiennes, dont il fait partie.

Il est loin d’être parfait, même du point de vue de la versification. Seulement, nous savons par ce document, que Louise Colet était fortement éprise de Gustave Flaubert. C’est le 9 septembre 1846, qu’eut lieu leur première escapade à Mantes. Jacques Suffel en parle dans son ouvrage sur Flaubert : « La Muse composa sur les principaux événements de la journée un poème qu’elle fit parvenir à son « jeune amant », après l’avoir recopié dans un joli carnet : « J’ai fait ces vers pour toi seul… »

« Oui, tu m’auras aimée entre toutes les femmes !

Oui, je te fis heureux par l’âme et par les sens !

Ton cœur insatiable au mien puisait des flammes

Qui semblaient redoubler tes transports incessants. »

Quand il se vit comparé à « un buffle indompté des déserts d’Amérique », Flaubert éclata de rire. Mais il fut touché et le souvenir de Mantes lui resta doux : « Non, jamais je n’ai été aimé comme tu m’aimes… Cela n’arrive qu’une fois dans la vie, pour qu’on s’en souvienne toujours et pour qu’en mourant on bénisse ce souvenir. » (15 septembre 1846). Jacques Suffel ajoute : « Par malheur, la Muse avait fort mauvais caractère et ses amours étaient orageuses… Flaubert était un sentimental, doublé d’un Normand très gaillard… Les véhémences et les transports jaloux de Louise Colet ne réussirent pas à l’impressionner. Et cette union qui eut sa lune de miel et ses heures d’enthousiasme finit par se briser net. »

Cette ardente fille de la Méditerranée, dont les restes reposent auprès de ceux de sa fille, en terre normande, à Verneuil-sur-Avre, a pu émouvoir un long moment l’homme du Nord et de la prudence que Flaubert était, malgré tout. Mais, ils n’étaient pas faits, l’un et l’autre, de par leurs origines disons provinciales, pour devoir s’entendre longtemps. Malgré tout, c’est à elle, qu’il écrivit ses plus belles lettres concernant la littérature. Ce long poème intéresse seulement les êtres de chair qu’ils furent et l’un de leurs meilleurs moments. Plus d’un siècle a coulé depuis. Leurs cendres se sont refroidies et mêlées à la terre originelle. Personne, même les parentés lointaines, ne sera irrité et offusqué par cette publication, qui relève maintenant de l’histoire de la littérature.

A. D.

**

f° 1v° « Nous étions à Mantes !… c’est loin… loin… Ce souvenir m’apparaît déjà dans un lointain splendide et triste, oscillant dans une vague couleur tout à la fois amère et ardente. C’est beau, dans ma tête comme un coucher de soleil sur la neige, la neige, c’est ma vie présente. le soleil qui donne dessus, c’est le souvenir, reflet embrasé qui l’illumine. »

(Lettre de Gustave du lundi  14 7bre 1846).

Souvenirs. Un jour à Mantes

f°2 (du mercredi 9 7bre au jeudi 10, 1846).

 I

Oh ! la vie des jours que jamais on n’oublie !

Ainsi sera ce jour savouré sur tes bords

Mantes la bien nommée, ô Mantes la jolie !

Site riant, témoin de nos heureux transports.

f° 2v°

Par un matin d’été, tous deux nous arrivâmes

Sur ton chemin ombreux où bondit la vapeur

Tout semblait rayonner du bonheur de nos âmes

La nature et le ciel confondaient leur splendeur.

Les deux bras enlacés, nous courûmes à l’ombre

D’un frais sentier couvert qui nous voilait le jour

Là par un long baiser suivi d’autres sans nombre

Nous avons commencé notre fête d’amour.

f° 3

Quels regards échangés dans un muet délire

Quel ineffable accord ! quel pur ravissement !

À nos cœurs, le silence a suffi pour tout dire

Dans ce premier moment.

II

Descendons du ciel sur la terre

S’est écrié mon jeune amant !

Viens ! que l’amour nous désaltère

C’est assez de recueillement.

f° 3v°

Aux baisers, mêlons les sourires

Jouissons ! l’instant est venu !

Je ne veux plus que tu soupires

Qu’en te pâmant sur mon sein nu !

III

Tout fier de notre amour, joyeux, léger d’allure,

Nous avons traversé la ville à l’avanture,

Demandant en riant aux passants ébahis

Quelle auberge en renom, renfermait le pays ?

« Le grand-cerf, nous répond un bourgeois secourable

f° 4

« Allez, vous trouverez bon lit et bonne table. »

Il disait vrai ma foi, le gîte est des meilleurs

En nous voyant entrer l’hôte a compris d’ailleurs

Que nous ferions largesse, et sur notre visage

Il a lu notre amour comme un heureux présage.

Une servante accorte avec dicernement

Nous choisit une chambre au frais ameublement :

Papier bleu, lit tout blanc, moelleux fauteuils de soie,

Rideaux de même étoffe où la lumière ondoie

Dans un angle, une table en acajou bruni

Où l’on sert le perdreau hualent de Rosni.

L’écrevisse au goût fin qu’aux bords de l’Oise, on pêche.

Le vin blanc de Chably, le raisin et la pêche.

f°4 v°

Nous mangeâmes comme de vrais amants

Qui ne séparent point la chair des sentiments.

Si le jeûne est prêché par quelques romantiques

Molière est sans pitié pour les amants étiques,

D’un sang pur et bouillant lorsqu’on sent les transports

Pour satisfaire l’âme on doit nourrir le corps.

Quel repas ! quel attrait ! quel délirant mystère !

Être là, seuls, heureux, oubliés de la terre !

Un jaloux aux aguets eût pu voir se croiser,

Le propos tendre ou vif, le soupir, le baiser ;

Il nous eût entendus à travers ce murmure

f° 5

Parler des morts aimés, de l’art, de la nature,

Des poètes, de Dieu. — Tour à tour gais, profonds,

Effleurer toute chose et retrouver au fonds

L’amour qui nous remplit, l’amour qui nous enivre

Et faire dire à tous deux : « 0h ! qu’il est bon de vivre ! »

IV

L’heure est à nous, la chambre est close

Tu détaches mes vêtements

Sur mon sein ta lèvre se pose

Nous mêlons nos tressaillements

f° 5v°

Je sens à ta première étreinte

Mon cœur se fondre et défaillir

Je tremble, ma voix est éteinte

Et mes pleurs sont prêts à jaillir

Mais l’amour dont ton âme est pleine

Verse sa flamme dans mon sein

Je l’aspire dans ton halaine

Je la bois dans ton œil divin,

f° 6

Ton œil m’embrasant tout entière

Me fascine de son éclair

Je m’abandonne heureuse et fière

Et ma chair bondit sous ta chair.

Oh ! prends, prends, sans compter et donne sur mesure

Toutes les voluptés qu’inspire la nature

Cherchons-les dans l’amour,

Ou plutôt attendons que la nuit soit venue

Sombre et silencieuse. Alors ardente et nue

J’oserai dans tes bras m’enivrer jusqu’au jour !

V

f° 6v°

À tes baisers je me dérobe

Sur les plis mouvants de ma robe

Du soleil glisse les rayons

L’air est chaud, l’atmosphère est pure

Allons saluer la nature

Qui sourit quand nous sourions !

La Seine forme ici de gracieux méandres

Suivons-les jusqu’au soir l’un sur l’autre appuyés ;

f° 7

Tout pénétrés d’amour, marchons rêveurs et tendres

Sur la grève où s’empreint la trace de nos pieds

Passons le pont, voici l’Île avec sa ceinture

De vieux saules baignant leurs rameaux à l’entour

Puis les grands marronniers dont la sombre verdure

Sous un dôme aérien nous dérobe le jour

Dans cette Île qui n’a que nous pour insulaires,

Aucun bruit ne parvient, que ce silence est doux !

Assis tous deux au pied des arbres séculaires

Le monde a disparu pour nous !

f° 7v°

Et la brise et les flots et l’insecte qui vole,

Surprennent en courant quelque tendre parole

Oh ! sais-tu que les mots échangés en ce lieu !

Ont à jamais uni nos deux cœurs devant Dieu !

Si le sort nous sépare ou si la mort cruelle

Vient frapper l’un de nous ; de cette heure si belle,

Parfum indestructible, impérissable accord,

Nous nous ressouviendrons dans l’absence ou la mort !

VI

Le ciel est gris, le soir arrive,

Quoi ce jour aussi va finir !

f° 8 

Des batteliers à l’autre rive

Vois-tu les esquifs revenir !

Montons sur la barque fragile

Prolongeons le jour qui s’enfuit

Sur la Seine au courant tranquille

Allons voir se lever la nuit.

Du rivage, pour nous la nef est détachée

Je m’assieds à la proue, à tes côtés, penchée,

Une main dans la tienne et de l’autre effleurant

Quelque plante aquatique à fleur d’eau se mirant !

f° 8v°

Le soleil s’est éteint, pourtant aucune étoile

Ne scintille au couchant dont la pourpre se voile,

Le ciel est menaçant ! dit-on de toutes parts,

Mais nous qui retrouvons le ciel dans nos regards

Nous défions la pluie et raillons le présage

Le batelier conduit la barque du rivage

Une corde à la main, il l’entraîne en avant ;

Parfois il nous sourit puis il marche en rêvant

Comme s’il enviait notre doux tête-à-tête.

La campagne à l’entour est déserte et muette

La ville disparaît, la barque fuit toujours ;

f° 9

Pelouses, frais vallons, témoins de nos amours,

Collines, bois touffus qui décorez la plage,

Vous glissez devant nous comme un riant mirage !

Quelque site parfois nous captive en passant :

Au fond d’une prairie une vache paissant

Semble dans le repos de sa calme structure

Humer à pleins naseaux la paix de la nature.

Ici, ce sont les ceps ployant sous le raisin

Enlacés en treillis sur un coteau voisin,

Là, c’est quelque ruisseau recouvert de lianes

Dans la Seine épanchant ses ondes diaphanes.

f° 9v°

Le plus souvent les yeux, l’un sur l’autre fixés

Dans un mol abandon nous tenant embrassés

Ravis par notre amour en une extase tendre

Nous voyons doucement sans voir et sans entendre

Déjà la nuit s’étend. Mais est-ce bien la nuit ?

Le ciel est sans étoile et c’est l’éclair qui luit !

Il sillonne l’Éther, l’orage éclate et tombe

Sur les vagues du fleuve, il fond comme une trombe ;

Le battelier accourt, il revire de port

Et rame avec ardeur pour regagner le port.

L’horison disparaît sous un rideau de pluie

Mantes fuit nos regards et s’est évanouie.

f° 10

Pas un toit protecteur ! nos habits ruisselants

À l’entour de nos corps forment des plis collants

En marquant les contours comme la draperie

De quelque marbre grec. — L’ondée avec furie

Tord, déchire et ternit les fragiles tissus

Des élégants atours, ce matin revêtus.

Mon chapeau dénoué cède au vent qui le brise ;

Je n’ai plus comme abri qu’une ombrelle marquise,

Alors pour réchauffer ma poitrine et mes bras

Tu quittes ton habit, tu veux… je ne veux pas.

Le battelier témoin de la tendre querelle

f° 10v°

M’offre humblement sa blouse et me couvre avec elle.

Nous rions tous les trois de mon déguisement.

Enfin Mantes paraît et sur le firmament

Son église gothique étend sa silhouette.

Joyeux nous abordons, qu’importe la toilette ?

Nous courons au grand-cerf, bras dessus, bras dessous,

Suivis du battelier qui semble fier de nous,

Et qui sourit déjà, sourire de misère,

À l’espoir assuré d’un généreux salaire.

Cet homme aura parlé de nous avec bonheur

Et notre sourire doit vivre dans son cœur !

VII

f° 11

Ainsi qu’aux jours les plus froids de décembre

Le feu pétille au foyer de la chambre ;

Et demi-nus, en séchant nos habits

Nous dilatons nos membres engourdis.

Ô bien-aimé ! Je me souviens encore

Qu’agenouillé devant moi qui t’adore

En réchauffant mes deux pieds dans ta main

Tu les baisas !… ce baiser fut divin !

f°11v°

Pour ce baiser, je t’en ai rendu mille ;

Puis déposant la contrainte inutile

Dans un repas plus gai que le matin

Nous ranimons notre sang, notre teint ;

L’Aï nous jette en une folle ivresse ;

Ô viens, dis-tu, viens mortelle maîtresse

Nous sommes seuls ! Écoute ! Plus de bruit

Viens ! Maintenant c’est la nuit ! c’est la nuit !…

VIII

f° 12  

Ô lit si tu parlais et si tu pouvais dire

Ce que fut cette nuit ! Hélas ! déjà si loin !

Si changé par l’amour en érotique lyre

De nos emportements tu peignis le délire,

Tu ferais ressentir à tout ce qui respire

Une part du bonheur dont tu fus le témoin !

Et d’abord tu dirais une scène charmante

Dont l’albane n’eût pas dédaigné le tableau,

Quand l’amant soulevant les cheveux de l’amante

f° 12 v°

Lui dit avec sa voix émue et véhémente :

« En te voyant si belle. Oh ! mon ardeur augmente

Et qu’elle répondit : « Ami, toi seul est beau !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Oh ! laisse-moi couvrir ta noire chevelure

De ce fichu d’azur à l’ondoyant contour !

Ainsi ton beau profil à la ligne si pure

Rappelle un de ces grecs modèles de sculpture

Dont Platon nous a peint l’idéale figure

Et qui revit en toi pour m’enseigner l’amour ! ».

f° 13

Reprenant à son tour l’amoureuse louange

Il disait : « Sais-tu bien que je suis fier de toi

Avec ta bouche rose et tes blonds cheveux d’ange

Tu ranimas pour moi Lavallière et Fontange

L’orgueil me transfigure et dans un rêve étrange

Te pressant dans mes bras, je me crois le grand roi. »

Et dans chaque regard et dans chaque parole,

Brûle la passion, éclate le désir,

L’amour nous transformant l’un pour l’autre en idole

Fait rayonner nos fronts d’une double auréole

f° 13v°

Et jaillir de nos cœurs la touchante hyperbole

Fleur d’adoration, ou naïf du plaisir !

Nous étions vrais dans nos louanges

Radieux dans notre abandon.

Oh ! si jamais pour moi tu changes

N’obscurcis pas ce pur rayon !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Que mon image un jour renaisse

Parmi les cendres de ton cœur

Que des amours de ta jeunesse

Mon seul amour reste vainqueur !

IX

f° 14

Oui, tu m’auras aimée entre toutes les femmes !

Oui, je te fis heureux par l’âme par les sens !

Ton cœur insatiable au mien puisait des flammes

Qui semblaient redoubler tes transports incessants :

Tous deux nus, tous deux sans entrave,

Tous deux avides de jouir,

Nous nous jetions ardants et braves

Le désir de nous assouvir !

f° 14v°

Ton flanc nu au suave épiderme

Battait sur mon flanc, et ta main

Pressait ma gorge ronde et ferme

Où brille un bouton de carmin

Ton bras enlaçait ma ceinture,

Ton cou, vers mon corps se tendait,

Et ta lèvre embaumée et pure

À ma lèvre se suspendait !

f° 15

Deux langues dans la même bouche

Mêlaient d’onctueux lèchements ;

Nos corps unis broyaient la couche

Sous leurs fougueux élancements !

Puis c’étaient les tendres morsures.

Les cris, les baisers incisifs,

Tour à tour des extases pures

Et des attouchements lascifs !

f° 15v°

L’amour purifiait la flamme

De nos luxurieux transports,

Car chaque volupté du corps

Traduisait un élan de l’âme !

Comme un buffle indompté des déserts d’Amérique,

Vigoureux et superbe en ta force athlétique,

Bondissant sur mon sein, tes noirs cheveux épars

Sans jamais t’épuiser tu m’infusait la vie

Ton sang avec le mien se mêlait et ravie

Je me sentais renaître au feu de tes regards !

f° 16

Et jusqu’au jour, ce fut sans trêve

D’ineffables embrassements ;

Ô nuit, tu surpassas le rêve

Du Paradis des Musulmans.

Ô spasmes, ô langueurs divines

Énervements qui font jouir !

Quand vous oppressiez nos poitrines

Qu’il eût été bon de mourir !…

X

f°16v°

C’est le jour, c’est le jour, hélas ! il va paraître

Il se glisse jaloux à travers la fenêtre !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

De la veille déjà nous suivons le chemin ;

Oh ! les fêtes du cœur n’ont pas de lendemain !

XI

f° 17

Les prêtres vont prêchant dans leur lourde faconde

Dieu comme un vieux régent qui gourmande le monde

Sans merci pour la chair et le péché d’amour

Et jaloux de l’amant qui se donne un beau jour.

Ô que je crois plutôt suprême intelligence

Que tu souris au ciel dans ta calme indulgence,

Lorsque tu vois passer radieux, triomphants,

Deux amoureux gais, vifs comme d’heureux enfants.

f° 17v°

Dont le cœur tout gonflé de plaisir se déploie

Et répand autour d’eux, le trop plein de leur joie,

En aumône, en regards caressants, en doux mots

Car l’amour vrai voudrait adoucir tous les maux

D’un pistil embaumé la senteur pénétrante

Ainsi fait à l’entour la campagne odorante.

XII

Adieu ! combien ce mot est triste pour le cœur

f° 18

Hélas ! c’est par ce mot que finit tout bonheur !

Adieu ! quel long baiser traduisit sa pensée

Comme il me tint ému sur ton sein, enlacée,

Avant de prononcer ce mot sombre et fatal !

Les arbres frissonnaient sans un vent matinal.

Le soleil tout couvert d’une blancheur perlée

Succédait dans le ciel à la nuit étoilée

Un beau jour allait naître : « Oh ! lui dis-je, restons,

« Dans cette solitude où nous abritons !

« Oublions tout !… L’amour à nos cœurs doit suffire

f° 18v°

Oh ! ne pars pas !… Je dis tout ce que l’on peut dire

Quand on se sent mourir… il est parti pourtant,

Sa mère l’attendait, sa mère l’aime tant !…

C’est à moi de souffrir ! c’est à moi de l’attendre

Que sa mère jamais n’accuse mon amour !

Sa vie est à sa mère et moi je n’eus qu’un jour,

Mais ce fut de ses jours le plus beau, le plus tendre !

Ici, je fus heureuse ! Oh ! j’y veux revenir

Quand je serai bien vieille et que mon âme émue

Ne pourra plus goûter l’amour qu’en souvenir,

De ce rivage aimé, j’enivrerai ma vue,

Et je me sentirai revivre et rajeunir !

7 bre 1846.

P.S. — J’ai fait ces vers pour toi seul, et je voudrais qu’ils fussent meilleurs

f° 19 pour mieux te plaire, comme sentiments et comme mouvement, il y a

peut-être quelque beauté dans cette pièce. Mais la forme n’est pas assez

rare, assez ciselée. Je voudrais la perfectionner, la nécessité de continuer

un autre travail m’en empêche. Si dans un an, tu m’aimes encore, si ce

souvenir de Mantes ne te trouve pas indifférent. Je travaillerai, vers par

vers, ce morceau fait pour toi et je m’efforcerai de l’en rendre plus digne.