Notes du Carnet 10 : « Voyages »

Les Amis de Flaubert – Année 1968 – Bulletin n° 32, page 44

Notes du Carnet 10 : « Voyages »

Ce carnet, comme d’autres, a été donné par la nièce de Flaubert à la Biblio­thèque historique de la Ville de Paris, rue Sévigné.

Il s’agit d’un carnet de 77 pages, chagrin vert foncé avec encadrements portant au verso de la couverture une étiquette (Henry Penny’s n° 8 Best quality) ; le papier est bleu pâle, couleur qu’affectionnait Flaubert pour sa correspondance.

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F° 2. — Lundi 12 – Mélanie a été me chercher un fiacre. Foulogne sonne. — Au chemin de fer marin. — mes 3 compagnons, bêtes de nullité. 1 ° blond, à pointe, 2° vieux mastoc blanc collet de fourrure à son manteau 3° monsieur bien, étant « du Nord » et s’occupant d’agriculture il disserte sur les huiles. — La nuit est belle et les étoiles brillent. je fume et refume en retournant en moi toutes mes vieilleries.

à Lyon la place où la statue de Niewerke déshonore l’univers. — un barbier au coin de la rue. Je lis « Café du Monument ».

Je m’empifre (sic) à Valence avec rapidité et délices. ma joie (de voir) des montagnes et le Midi — à Avignon, des sorbets à la glace. Mes trois compagnons se sont changés en trois autres plus supportables. — Gd étang à droite. bastide. — Marseille. — la mer bleue ! — omnibus. deux vieilles dames.

Chez Parroul tout est plein pour le mchal Castellane (1). — on me loge tout en haut dans une petite chambre. — télégraphe. — bureau des paquebots. Je (me bourre) de bouille abbesse (sic) et je vais au café. amateurs marseillais jouant au (sic) dominos.

F° 2 v°. — Le lendemain mercredi. bain. La mtresse (sic) des bains a mal aux yeux comme moi. Je cherche et je retrouve l’Hôtel de la Darce le rez-de-chaussée ancien salon est un bazar maintenant. c’est le même papier au premier !

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visite à bord de l’hermus dans le port neuf. le jardin zoologique. — délicieux — des montagnes (de St-Loup) brunes et sèches couvertes d’un glacis bleu. une cascade tombe et babille pendant qu’un lion rugit — doux comme une pompe. — des paons sur des arbres un paon blanc. c’est un endroit délicieux. — Soir café —

Jeudi promenade au musée. — revisite à l’hôtel de la Darce. — Les rues du vieux Marseille. Un débit de tabac où l’on ne connaît pas les londrès. — Place du Puget. — Un agent de police engueulant un marchand de rubans. — english salon les murs des maisons s’effritent. — rues en pentes. « Maison meublée tenue par X. » les femmes petites, noires, en cheveux. évidemment (sic) le type italo­-arabe. pas une ne m’accoste, même de l’œil. Quel bel éloge de la police ! — Un verre de malaga dans le chalet. — Promenade au Prado pr aller demander une table à Courty mais je ne retrouve pas Courty. — course qui n’en finit. — c’est un quartier triste. forcé. un fiacre me conduit

F° 3. — au bout, où je reconnais la place pr être venu avec le père Cauvière (2). retour à l’hôtel. M. Touraide ou Touraine avocat d’Aix, tout blanc, un père Lor­mier (3) passé à la mélasse, met son bonnet de velours pr dîner. son épouse le regarde. C’est un avocat d’Aix que les cors aux pieds préoccupent vivement. « Mes bottes… » et la femme idm « je ne peux mettre que de vieilles bottines » — Le soir Gymnase dramatique, où l’on chante diverses romances. l’odeur des latrines est tellement forte que je m’enfuis.

Vendredi midi embarquement, beaucoup de troupiers, des émigrants pêle-mêle sur le pont, tout cela se calme, le vent fraîchit, on disparaît dans ses cabines, jamais je n’ai vu de personnel plus insignifiant ni plus taciturne. (Je n’ai pas depuis huit jours échangé 10 paroles.) le navire roule engourdissement et mal de tête. — Le soir la lune se lève mince et recourbée comme le patin d’une chinoise, il fait froid je rentre me coucher, toute la journée du samedi, malaise et engourdissement sans maux de cœur, je dîne dans ma cabine couché l’ancien remède indiqué par le père Borelli (du Nil) du pain frotté d’ail m’a réussi et le soir je prends

F° 3 v°. — le thé tout seul. — J’entends, la nuit les dégueulades de mes compagnons. à 5 heures dimanche je monte sur le pont, la terre d’afrique est devant moi à droite, montagnes noires de médiocre hauteur. — la mer foncée « marmora ponti » est une expression réaliste, on ne sait pas très bien où est Stora. — un petit officier de cavalerie ressemble un peu à Pendarès. — une femme de chambre sylphide avec un œil à demi clos a été dans l’inde, chapeau de soie puce, éreinté. les émigrants sont toujours sous le cabot (sic), pêle-mêle, les troupiers enveloppés dans de gdes (grandes) couvertures grises comme des cadavres, le navire se balance et balance tout cela monstrueusement. Un russe gde redingote (M. Suc) très malade, l’air rébarbatif (sic), son compagnon gd, blond, un peu sot, répète « les hommes forts sont plus malades, tandis que les faibles supportent mieux ainsi moi » mais la plus belle balle c’est un bourgeois hideux le Ferrand des Mystères de Paris cravate blanche, habits noirs fripés chapeau blanc très haut et défoncé couturé de petites véroles, une destinée ignoble est gravée là. il a fait tous les métiers et il doit être ou maître d’école ou pharmacien, il tire de sa poche un gd portefeuille.

F° 4. — débarqué dans une barque maltaise qui est de Naples. l’homme qui la conduit a de gros favoris. — nez de vautour, il sourit, ses cheveux noirs, nus, sont par petites mèches comme des paquets de ficelles goudronnées, hôtel des Colonies. télégraphe, une mosquée à droite, pr y aller « Maison de la porte de fer » avec 2 pots au premier qui contiennent des fleurs m’a l’air d’un broc. — des Arabes couverts de gds linges grisâtres — un surtout, un vieux chassant un âne qui porte des fagots, la rue principale a des arcades genre rue de Rivoli — des Arabes jouent des couteaux au tourniquet — beaucoup de cafés, café defoy sur la place en vue de la mer. 2 petits rochers à l’entrée du golfe, l’hermus est en face de moi devant Stora. à gauche sur les rochers la route de Stora à Philippeville. sous ma fenêtre allant à droite un chemin. La mer est toute bleue, des cormorans jouent dans l’air. J’ai pris une bouteille de limonade gazeuse sur la terrasse de l’Hôtel des Colonies aurez de chaussée. Philipp. (eville) est bâtie dans une espèce de ravin qui descend vers la mer.

Dimanche 4 et demie du soir.

Philippeville

en regardant la mer

F° 4 v°. — au fond un bout de la montagne, rocher et à droite deux casernes la ville, au milieu en bas maisons à toit en tuiles — elles sont blanches et toutes modernes je suis sous la mosquée qui est bâtie sur le versant droit (tournant le dos à la mer) j’ai passé par la rue de Kéber (Kléber) roses — nopals petites fleurs bleues en regardant la vallée : on a : à gauche montagne à droite id., qui la rejoint dans ce sens : (4)

très verts avec

des bouquets                                           taches d’or par places

plus foncés

Le mur des fortifications est devant moi.

rencontré trois religieuses et des enfants qui faisaient s’envoler des écouff (écouffles)

il y a devant la mosquée où je suis beaucoup d’herbes des oiseaux crient dans

F°5  les créneaux de la mosquée en face de moi derrière une 4ème caserne une gde meule de foin — çà et là un bouquet de genêts — le ciel bleu pâle.

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À mon second  séjour à Philippeville — le soir, baraques de saltimbanques vue des hauteurs, de la même place.

Deux espèces de nains parmi les ruines recueillis dans le théâtre — trapus, têtes énormes, vêtements striés. — travail évidement (sic) punique.

(1/2 page demeurée en blanc sur le carnet)

Constantine

F° 6 — parti le soir, dimanche sur la banquette, il y a derrière moi deux Maltais un spahis (sic) et un provençal ou italien, la voiture craque et gargouille comme un ventre trop plein. Ces animaux derrière moi puent et gueulent. ce Provençal veut blaguer, le spahis qui rit en arabe, les Maltais hurlent, tout cela n’a aucun sens qu’un excès de gaité. Quelles odeurs ! quelle société. « macache ! macache !, à ma droite un petit monsieur tout en velours, entrepreneur de toutes espèces de choses, assurances terrains etc. Il a été spahis (sic).

la route est bordée de saules les montagnes sont basses, cela ressemble au centre de la France — la poussière obscurcit la lumière des lanternes, il fait très chaud : j’ai mal aux yeux. En montant à pied une côte, mon voisin

F° 6 v° — me montre une place où il a, une nuit, en pissant ainsi avec d’autres voyageurs aperçu trois lions. — couchés tranquillement, le pays en est plein.

Au milieu de la nuit nous nous sommes arrêtés dans un village — Auberge comme en Italie, gde salle nue, au premier au fond d’un corridor. — une longue table des  hommes qui dorment. — un comptoir et des tonneaux. — on entre dans une écurie, escalier droit. Ces auberges qui sont pleines ont l’air d’abord désertes.

Aperçu un incendie sur la droite, de temps à autres, des files de charrettes dételées et stationnant dans les villages. — les ponts sont plus étroits que le chemin.

la végétation diminue, les montagnes grandissent, nous montons toujours. elles sont d’un vert épinard à ma gauche. — celles de l’horizon grises par le sommet.

On commence à descendre de pauvres Arabes couverts de haillons

F° 7. — pas une femme, chassent des ânes couverts de branches avec leurs feuilles. — des jardins au bord de la route, des roses. — un palmier mais vilain, une chèvre jaune et sans cornes broute sur une pente à droite, troupeaux de chèvres.

Les montagnes du fond s’accumulent les unes derrière eux (sic), (il p. (barré)) on tourne sur la gauche pr gagner Constantine et l’on monte — à pied — interminable ascension, un de nos compagnons (un horloger) horriblement pied bot monte avec sa béquille.

Sous les remparts de C. place grise, en pente, couverte d’Arabes. Leurs cahuttes (sic), en forme de loge à chien, ont un toit, (ce qui les différencie de celles des fellahs), elles sont en pierres et en boue hautes de trois à quatre pieds. — le terrain est très en pente, les hommes font de longues masses blanc-sales flottant ce qu’il y a de plus brun ce sont les visages, les bras et les jambes cela est d’une pauvreté et d’une malédiction supérieure, ça sent le paria, ce

F°7 v°. — sont d’anciens habitants rejetés hors de la ville.

On entre par (une, barrée) la place d’armes zouaves faisant l’exercice, en face la pyramide du général Damrémont — des garçons d’hôtel vous assaillent hôtel du Palais.

M. Vignard chef du bureau arabe — (et, barré) des décombres devant la porte. — entrée par des petits couloirs à porte basse. — patio, colonnes murs blanchis à la chaux son salon donne sur le marché par où je suis venu et la montée qui mène à Constantine. — visite chez le pharmacien le Dr Reboulot élève de J. Cloquet. Le secrétaire de M. V. Salah-bey, petit-fils du bey de Constantine gd jeune homme pâle à tournure distinguée et un peu molle, il a pris une seconde femme et s’échigne dessus, il me mène dans les bazars lesquels me rappellent (sic) ceux de la hte-Égypte. — tous les hommes en blanc, à figure brune, je sens, je (resens) cette bonne odeur d’Orient qui m’arrive dans des bouffées de vent chaud. — visite à trois mosquées — elles sont fraîches. — les tapis s’alternent avec des nattes — dans l’une, un homme accroupi

F° 8. — écrit à un petit pupitre à côté du tombeau d’un marabout. — un autre, des figuiers dans la cour abritent des tombes, à la mosquée de Sid-el-Ritam Salabey (sic) me montre celle de son gd-père — il y en a qques autres — dans un compartiment entouré de grilles en bois, tombe d’une femme entourée de voiles verts et jaunes, c’est là que dort une des (sic) ses aïeules une vierge mystique, qui n’a jamais voulu se marier et qui est devenue maraboute. — deux hommes dorment au pied. Salah-bey me conduit jusqu’aux bords du Rummel près des débris du pont d’El Cantara. — Retour chez M. V…. promenade à cheval. — il me montre en descendant trois gaillards grêles et étranges, ce sont des mangeurs de hachich (sic), chasseurs de porcépic (sic) quand ils en ont pris un, ils font un gd dîner. Ces mêmes hommes prennent les hyènes vivantes, les amènent à Constantine et les lâchent à leurs chiens. Pr. prendre une hyène ils vont à sa caverne, bouchent l’ouverture avec des toiles, et y laissent un trou

F°8 v°. —ils poussent une sorte de zagarit. l’hyène vient au bord, le chasseur lui parle « tu es jolie, on te peindra de henné on te donnera un mari, des colliers etc. » L’hyène s’avance l’homme passe sa main enduite de bouze (sic) de vache, cette graisse dont il frotte la patte de l’animal plaît à l’animal (5) et il y passe un nœud coulant. Alors les autres chasseurs placés derrière tirent à eux et la bâillonnent.

Nous mettons pied à terre.  on contourne le rocher sur un petit sentier bordé d’un parapet et l’on entre dans le rummel. — Cascades — peu d’eau au fond du torrent— énorme, à pic, couleur rouge des trous d’oiseau (sic) des gipaètes (sic) tournoient dans l’air.  Un (sic) arche naturelle elle a bien de ht (hauteur) deux cents pieds, c’est par là que des gens de Constantine lors de la prise de la ville sont descendus au bout d’une corde, quant au bey le tableau de Court est faux il était dans l’intérieur. —  puis une sorte de tunnel,  en continuant on arriverait au pont d’El Kantara. le Rummel me rapelle Gavarnie et Saint Saba. c’est un endroit qqfois (quelquefois) le rocher s’élargit en manière de cirque c’est un endroit féerique et satanique  Je pense à Jugurtha  — ça lui ressemble Constantine du reste est une vraie ville au sens antique un acros.(6)

légende : un nègre et un romain se trouvaient au passage d’une rivière

F° 9. — en même temps qu’une jeune fille, le Romain avait un cheval  Contestation pr passer la fille afin d’en jouir.  elle se défend. Le romain lui prête son cheval et elle passe seule.  ils passent ensuite tous les deux et là, la bataille commence entr’eux à qui l’aura, le nègre est tué. la jeune fille au moment d’être enfilée est changée en rocher, et les deux hommes en deux rivières le Rummel et le X… condamnés perpétuellement à tourner autour d’elle et à lui baiser les pieds.

dîner avec le dteur (directeur) des postes et trois autres M.M. — Ils connaissent la Bovary !

nuit affreuse en diligence.

Arrivé à Philippeville à 6 h. — au lit jusqu’à 3.

visité le jardin de M. Nobeli, en vue de la mer rosiers en fleurs embaument. — une mosaïque trouvée sur place, représente deux femmes l’une assise et conduisant un monstre marin à bec d’aigles, une autre assise et conduisant un cheval. des iris entre les oreilles font des flammes rouges  une 3e danseuse avec des anneaux aux chevilles, pieds et jambes remarquables de forme et de mouvement la droite sur la gauche

F° 9 v°.— le chanp (sic) est semé de poissons.  le nègre jardinier qui m’a conduit va m’emplir un arrosoir et asperge la mosaïque pr me la faire voir. Je suis pris de tendresse dans ce jardin ! Le temps est brumeux, les soldats de la terrasse en face jouent des fanfares.

difficulté pr avoir une voiture, la mer est mauvaise, toutes les barques parties

— Cabriolet que je mène

Départ de Stora à 6 h.  nous mouillons à 8 h. et demie à l’abri du Cap de

Fer

Écrit le soir à 10 heures — le navire roule un peu sur ses ancres.

le vent d’Est nous force à passer la nuit au Cap de fer. Le lendemain mardi et le mercredi restés au fort Génois à cause du mauvais temps et de l’hélice prise dans une chaîne de bouée.

Jeudi débarqué à Bone. – plage d’où la mer se retire. les chevaux se baignent à une gde (grande) distance du rivage. C’est désert, bête et lamentable. – les montagnes sont vertes, Hippone mamelon vert dans une vallée entre deux mon­tagnes, inclinant un peu sur la gauche. Nous montons à la Casbah prisonniers militaires terrassant une terre blanche en plein soleil

F° 10. – inscriptions exaspérantes sur les murs. tout en est maculé. M. de Bovie et M. de Kraff trouvent cela tout simple. Le gouverneur gd blond, à barbiche. l’abbé de la Fontan charmant, un fénelon brun. — En redescendant nous voyons nos plongeurs napolitains qui sortent de l’église St Augustin où ils avaient été prier pr que le ciel leur accordai (sic) une augmentation de paie. —

Histoire de l’amulette de M. de K. — il y croit qqu’il (quoi qu’il) dise la faculté d’assimilation des Russes est-elle une puissance ? ne faut-il pas pr vaincre un élément nouveau, (comme, barré) une originalité quelconque… qu’apportera une pareille race d’hommes ?… merveilleux comme des mécaniques. —

Je passe la nuit à causer avec le commandant, il sait par cœur bon nombre de vers de Virgile et d’Hugo, c’est un ancien voltairien devenu catholique, il accomplit toutes ses pratiques, est-il sincère, front élevé, exalté, (petite taille) bouche épaisse et très sensuelle. Anecdote : dans la Polynésie, toutes les femmes lorsqu’elles sont vieilles et qu’on ne les baise plus se font enfiler par des chiens, lorsqu’on en tue un, elles poussent

F° 10 v°. — des cris affreux lorsqu’on en tue un. (7)

La nuit est douce, humide, claire cependant la lune de temps à autres voilée, les étoiles brillent et la mer est calme. — À notre (gauche, barré) droite nous passons près des deux frères qui ont l’air de vagues éléphants ou d’hippopotames de je ne sais quels monstres sortant de la mer. ces gdes (grandes) masses noires sont effrayantes sous la lune au milieu du désert des flots, les falaises qui se suivent depuis Philippeville finissent au Cap blanc. — le rivage s’abaisse et continue à plat — au loin à gauche les Cani.

L’entrée par la goulette me rappelle l’Égypte…

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du f° 10 v°. au f° 63  les notes de Flaubert intéressent la Tunisie

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F° 64 v°. — Notes prises à Croisset le samedi 12 juin 1858

Arrivé au Rieff le soir lundi 24 mai — Un tombeau romain sur la droite, je lis en passant Livius. La ville se recule à cause des vallons transversaux qui vous en séparent il faut monter puis redescendre. — La maison du Caïd tout en haut à gauche, banc de maçonnerie à gauche devant la porte, cour intérieure, énorme escalier droit, gde pièce. — bain turc excellent. raïs ibrahim ne craignant pas la chaleur vient me voir dans la dernière étuve. c’est encore lui qui me donne l’éternel caouaih — Dîner arabe luxueux. — bonne nuit. — Le caïd petit homme maigre, grêlé.

Le lendemain, visité la ville, parti à midi départ solennel, cinq cavaliers puis sept une vingtaine d’hommes à pied me suivent.

C’est maintenant comme un bal masqué dans ma tête et je ne me souviens plus de rien. Le caractère féroce du paysage finit au fond de la vallée on tourne à gauche, dans certains moments il y a des banques de gazon des vaches, c’est une place dépare anglais et puis la montagne reprend.

Couché chez les Bédouins — tente blanche. — ouverte, la lune se lève

 F° 65. — en face, vent terrible, l’ombre des animaux du douar passe comme des ombres chinoises. J’attends très longtemps, politesses arabes, couscoussous (sic) en commun. — parti au petit jour nous attendons que le vent soit un peu calmé, toute la nuit j’ai pensé à ma première nuit aux pyramides.

bientôt le paysage devient monotone sur les hauteurs. — gdes vagues d’herbes qui n’en finissent. Gassen est toujours en retard. Pluie fine, continue.

Surprise du douar, femmes au bord des tentes sans voiles. Je galoppais (sic) ma pelisse sur mes genoux, mon takieh sous mon chapeau, zagarit et coup de fusil fantasia — le fils du Caïd en ceinture rouge. Souk’aras ! Souk’aras — tout cela envolé dans le mouvement j’ai ralenti devant les tentes. — ils vont venir me baiser les mains, me prendre les pieds. — de quelle nature était l’étrange frisson de joie qui m’a pris, j’en ai rarement eu (jamais peut-être ?) une pareille.

F° 65 v°. —  Le fils du Caïd et son père galoppent (sic) longtemps à côté et devant moi le père s’en va le premier, le fils me demande deux heures après la permission, la pluie n’en finit descente — foret (sic) — un cabaret vide où je demande ma route — les lignes rouges des bâtimens (sic) militaires de Souk-Ahras.

Ville neuve atroce, froide, boueuse. M. de Serval, sécot, inhospitalier. Andrieu l’hôtelier, sa microscopique épouse. — Couché relevé, dîner — table d’hôte de MM. les officiers ignoble et bête, collet crasseux du directeur des postes. — le lendemain Mr Gosse, aliéné il croit qu’on l’insulte, ressemblances — « le vétérinaire de mon régiment, Carpentin », Mr. Constant brave et gros hussard déjeune avec nous « un bon déjeuner sacré nom de Dieu un bon déjeuner »

Partis à 3 heures le jeudi 27. Deux mulets excellents. — on monte — forêt charmante. le Camp à droite rencontré deux officiers qui n’y comprenent (sic) rien. — Nous redescendons — de temps à autres une gde (grande) voiture de charbonnier dans la foret, les ordonnances du Commandant

F° 66. — sont au diable. — nous apercevons un bordj. — deux Arabes dedans — deux troupiers de sa colonne. — éreintés. l’un a un coup d’air sur l’œil et un coup de soleil sur le nez. — désolés de l’état de leur commandant. « Vous êtes Carpentin ! » et il me prend au collet. Je découvre le moulin de Mezelfah, en bas au bord de l’eau la Seybouse. M. Auberger gros mastoc, assez cordial, sa femme brune distinguée — le commandant n’y tient pas pendant le dîner, se lève, se promène. — Couché dans le moulin, Cartille, domestique.

Le lendemain M. Auberger nous accompagne fourrure courte, bottes. — Lauriers-cerises et saules pleureurs. — passage de la hyène (sic) passage du lion. — Nous passons plusieurs fois une rivière — larges quais — on remonte après, c’est exquis, délicieux, plein de fraîcheur et de liberté. — puis le paysage devient plus sec. — les montagnes pelées reparaissent, tout au fond d’une immense, à gauche, les maisons blanches et un minaret : c’est Guelma. — Nous allons longtemps dans la plaine.

F° 66 v°. — Milésimo — Village atroce, tout droit ligne d’acacias devant les maisons basses — petites clôturés (sic), c’est la civilisation par son plus ignoble côté. enseignes de marchands devin et les maisons sont vides, les fenêtres sans carreaux des femmes dans les champs labourent ou sarclent en vestes et en chapeaux d’hommes, portières de paris transplantés (sic) au pays des Moresques, la crasse de la banlieue sous le soleil d’afrique, et les misères qu’il doit y avoir là-dedans, les rages, les souvenirs, et la fièvre, la fièvre pâle et famélique.

Guelma — Café de M. Aubril. — les monuments pr (pour) la troupe tiennent une grande place, logement charmant et entouré de verdure du commandant supérieur. Mr de Vanory ressemble en beau à E. Delamarre. (8) Déjeuner avec mon commandant. Mr Borel du bureau arabe m’en débarrasse.

Parti à 3 heures mon spahis, sorte de nègre blond idiot me précède — verdure et eau  – un gd (grand) quai, voitures et carrioles de maître, l’ancien pénitencier grande bâtisse où je bois du lait — le moulin d’Osman Mustapha — petits bâtiments — peupliers. — une montagne assez basse en face.

F° 67. — Je couche dans le pavillon supérieur, bruit de chiens et de chevaux — sur une (sic) tapis — nuit atroce de puces — on m’avait fait du feu. nous sommes sur les hauteurs il fait froid — Le cawas, maigre, turban vert, zataghan, connaît tout l’Orient gueulard officieux aime l’alcool.

La route du moulin à Constantine est assomante (sic) d’ennui, petites montagnes toutes se ressemblant, puis une plaine. — les fils du télégraphe tantôt sur la droite tantôt sur la gauche cela est pauvre sans gdeur (grandeur) et monotone sans majesté. — je fouette à tour de bras le mulet de bagages — ferme faucheux le fermier, monsieur dégradé, borgne, le bras luxé.  bouteille de mon bordeaux de Souk’Ahras bue avec délices. — reparti à 3 heures. — on descend presque continuellement. l’admirable Constantine s’aperçoit de loin — descente de la rampe au Rummel, aloès sur le bord, mon mulet glisse.

F° 67 v°. — entrée triomphante à Constantine avec mon plumet. — hôtel — payé mon jeune Arabe et mon idiot de spahis qui s’endormait dans les blés où il laissait brouter son cheval Mr Vignard, Viel, Niepce, Cagnot — Bain turc exquis un nègre admirable p. (pour) masseur, celui du Rieff me massait les genoux avec sa tête. — gd (grand) lit de Mr Vignard.

partie de campagne à la Hamma, chez M. Paolo de Palma. — Le petit village nouveau sous un gd (grand) caroubier. — baignade dans la rivière d’eau chaude. — déjeuner je m’empifre (sic) et je résiste au sommeil danse. Cagnot conduisant la polka — le notaire (Vignot) en chapeau de meunier joue aux cartes avec M. Dominique le fils delà maison — un joueur de harpe.

Rentré le soir au clair de la lune qui finit par se lever, j’ai peur de me foutre bas à cause démon cheval. — Arembourg procureur impérial léger petit, gai, chapeau de paille de matelot, bordé de noir — guêtres.

Lundi reposé. — parti le soir. Adieux. — Le spahis saoul « Je vais consulter

F° 68. — mon père. Père Eder ! allons Père Eder » l’employé du bureau monté sur l’impériale pr (pour) pour prendre l’air. — on s’arrête pr (pour) prendre des champoros (9) (sic), mon spahis se calme.

Journée du mardi passés (sic) à mes caisses et à dormir, le soir Mr le conseiller de préfecture homme bien et complètement nul. Restes du théâtre = école municipale, — citernes romaines modernisés (sic). — Adieu aux couchers de soleil rose.

Mercredi à bord de la chaloupe avec Mr Ricordeau, propriétaire de Bône, tout en coutil gris, ressemble à Dainez. — Chaleur. — beaucoup de femmes. passagers : le capitaine Robert, un avocat de Paris, un vieux en alpaga et à tabatière conduisant deux jeunes femmes — la petite garce des quatrième et le vieux gendarme guallant, — un chasseur d’Afrique. le bureaucrate militaire à pantalon bleu en lunettes en casquette et en canne rotin, un alsacien,

F° 68 v°. — le comte Polonais tueur de lions, gd (grand) blond à cheveux et à barbe déplaisant. « Valarek ! valarek ! » — Un mr bien officier de la légion d’honneur, grisonnant, parent de M. F. Barrot. — mes deux nuits sur le pont, les jambes de mon pantalon nouées avec des mouchoirs dans ma pelisse.

— Lu « Profils et grimaces » de Vacquerie et un volume de critiques de Texier, et « Promenades hors de mon jardin » de Karr.

Arrivé à Marseille à 2 h. — intolérable douane odeurs ! omnibus la vieille actrice de Bône rôle de Me Laurent, et une demoiselle de Philippeville, fille d’un pharmacien, grosse dondon enceinte, hôtel Parroul — bain. — embarras d’argent fusil, armurier. — Je vais à l’hôtel des Colonies. Le père Ricordeau dans le jardin — dîner. — il ne vient pas ! Je vais chez le père Cauvière. Colique. L’idée de Mr de Bovy (10) me vient, enfin, je le retrouve sur le devant de sa porte. Galop au sieur Parroul. —

— Bureau du chemin de fer sur la Cannebière. sentiment de débarras, de retour,

F° 69 v°. — de bien-être ! — Je parts (sic) ! (M. de lès-Canpenne (fils) seul dans une calèche. — mes affaires se débouclent dans la gare.

Deux employés de chemin de fer atroces ! — enfin ils s’en vont. — on s’endort. À Lyon, Saulcy. pr (pour) compagnons, un chirurgien de marine et son chien, mon bureaucrate militaire qui va à St-Quentin, au-delà, l’Alsacien est descendu en route pr (pour) aller à Strasbourg. Déjeuner, solide, à Dijon. Ennui de l’après-midi — chaleur  —Quel sot pays que la France ! Fontainebleau  —Melun — la gare !

Le boulevard en été  — Ma maison vide bousculade pr (pour) aller chez Feydeau, on me serre (sic) à diner — visite chez Me Pradier, Marquillier, (11) Person (12) de Tourbey. tout le monde absent. Cirque (13) « Flaubert, c’est toi Flaubert ! » elle pleurait, maladie de son neveu. Chouiki (14) — décors —Souper au Café anglais — Dans mon escalier — nuit 3 coups. — je dors sur mon divan. — Duplan Person bouffie de sommeil de pleurs et de fatigue  Dejeuner au Café turc. — Visite

F°70  à la Tourbey.  Sabattier, Me Mognier, (15) du Camp, Melle a une loupe dans la gueule,  Auteuil le parc des Princes —  Thérèse — diner — Le soir de Tourbey.

Lundi armurier foureur, Chouiki et hôtel Bachet Duplan, etc. etc. Café de Foy — Boyer. (16) Auteuil-Praidre — janin, de Pene, (17) de Tourbey — dîner chez Feydeau. pas fort.  la pièce à côté de sa dame. Guimont, Plessy, (18) A. Dumas fils, Uchard, Scholl, St Victor (19). Pasquier reboyer et son épouse.

Person en matelot, perruque rouge. Comme le vrai est peu compris ! ! !

mardi courses encore ! Sabatier Ste-Beuve, Sandeau Plessy Maury. — (20) dîner chez la Tourbey Cabarus, (21) Marchal, (22) Gozlan, Gatayes, Théo et Ernesta, (23) St Victor !…

Le lendemain chemin de fer à 8 heures 30 m. 2 bourgeois  Rouen ! Hôtel-Dieu !

Voilà trois jours passés à peu près exclusivement à dormir  mon voyage est considérablement reculé, oublié ! tout est confus dans ma tête. je suis

F° 70 v°. — comme si je sortais d’un bal masqué de deux mois. Vais-je travailler ? vais-je m’ennuyer ?

Que toutes les (forces, barré) énergies de la nature que j’ai (humées barré) aspirées me pénètrent et qu’elles s’exhalent dans mon livre à moi puissances de l’émotion plastique ! résurrection du passé à moi ! à moi il faut faire à travers le Beau, vivant et vrai quand même. Pitié pour ma volonté, dieu des âmes ! donne-moi la Force — et l’Espoir !…

Nuit du samedi 12 au dimanche 13 (lundi, barré) (juin) minuit.

(1) Le maréchal Castellane était général à Rouen en 1848. C’est lui qui a réduit les émeutes de Rouen, au lendemain des élections d’avril.

(2) Cauvière, Rouennais avec qui Flaubert avait fait son premier voyage dans le Midi, et qui, plus tard, lors du voyage en Orient, l’avait recommandé au capitaine du « Nil ».

(3) Lormier. II s’agit vraisemblablement de Jean-Baptiste Lormier demeurant à Rouen 31, rue Herbière et dont la fille Julie épousa Achille Flaubert, le frère de Gustave.

(4) Ce passage, écrit d’abord au crayon, a été repris ensuite à l’encre par Flaubert. Il est dépourvu de ponctuation dans le manuscrit et doit être, à mon avis, lu de la façon suivante : « En regardant la mer : au fond, un bout de la montagne, rocher, et à droite, deux casernes ; la ville au milieu ; en bas, maisons à toits en tuiles  elles sont blanches et toutes modernes. Je suis sous la mosquée qui est bâtie sur le versant droit (tournant le dos à la mer) ; J’ai passé par la rue de Kléber ; roses  nopals, petites fleurs bleues. En regardant la vallée : on a : à gauche, montagne ; à droite, idem, qui la rejoint en ce sens…

(5) Flaubert avait d’abord écrit « lui plaît ». Puis, sans doute pour éviter une équi­voque, il barre « lui » et remplace le pronom par « à l’animal » sans prendre garde à la répétition que cette correction entraîne.

(6) Expression grammaticalement incorrecte.

(7) Répétition due au fait que Flaubert a tourné la page après « elles poussent » et oublié qu’il avait déjà écrit « lorsqu’on en tue un ».

(8) Il est difficile de préciser à quel Delamarre Flaubert peut songer : Delamarre Eugène, le modèle de Charles Bovary ? Delamarre Ernest, l’ami de collège de Flaubert ? ou d’autres ?

(9) Les champoreaux étaient des boissons chaudes à base de vin ou de café, appréciée des Européens en Algérie.

(10) Ou de Body  peu lisible.

(11) Marquillier ou Masquillier ? Masquillier était un tailleur par qui Flaubert se faisait habiller à l’occasion.

(12) Person. Actrice que Flaubert traite d’« excellente femme » et qu’il engage Bouilhet à aller voir pour appuyer une de ses pièces.

(13) Cirque. Il s’agit du Cirque où Flaubert se rend quelquefois pour voir Mme Person Frédéric Lemaître etc…

(cf. Lettre à Louis Bouilhet – fin Juillet – début août 1856)

(14) Chouiki. Est-ce une orthographe fantaisiste pour Chojecki (Charles Edmond en littérature) dont Flaubert parle dans une lettre à Amélie Bosquet (11 juillet 1860) ?

(15) Me Mognier ? Magnier ? Maynier ? peu lisible.

(16) Boyer. Philoxène Boyer, poète, que Flaubert cite dans une lettre à Bouilhet (nuit du 23 au 24 avril 1858) à propos de la « fameuse maison » de la Darse.

(17) de Pene. Il y a tout lieu de croire que Flaubert désigne Henri de Pene, critique, qui, dans « la France » du 9 déc. 1862 signe le Courrier de Paris où il est question de « Madame Bovary » et de « Salammbô ».

(18) Plessy. Mme Arnould Plessy, de la Comédie Française.

(19) Saint-Victor. Paul de Saint-Victor, journaliste de qui Flaubert attend un article en faveur du professeur de dessin de sa nièce Caroline.

(20) Maury. Directeur des Archives de l’Institut.

(21) Cabarus (Dr). Fils de Mme Tallien. Flaubert dîne encore avec lui chez Jeanne de Tourbey le 4 déce. 1863.

(22) Marchal. Peintre auquel Flaubert reproche de n’avoir rendu, dans un portrait de George Sand, que le côté « bonne femme ».

(23) Ernesta. Ernesta Guisi, compagne de Gautier et mère de ses enfants. Elle était surnommée « la dinde ». Artiste d’opéra, comme sa sœur « Carlota » qui entretint une amitié amoureuse avec Gautier.