Notre colloque se tiendra, malgré mai 68

Les Amis de Flaubert – Année 1968 – Bulletin n° 33, page 3

 

Éditorial

Les événements de mai 68

Malgré les événements de mai, nous songeons au Colloque sur Flaubert et l’Éducation sentimentale que nous voulons tenir et que nous tiendrons, quoi qu’il arrive à Rouen, au début du printemps prochain.

Un certain nombre de nos membres nous ont envoyé la feuille bleue que nous avions jointe au dernier bulletin. Ceux qui espèrent pouvoir venir à Rouen et qui ont oublié — ça arrive — peuvent nous la retourner, de manière à ce que nous puissions les avertir en temps voulu.

Nos projets initiaux se trouvent modifiés par les événements de mai, que certains ont appelé pompeusement « révolution », mais qu’il est plus sage et plus vrai d’appeler « choc ». Nous n’avons pas à entrer dans l’interprétation ou les menus détails, mais seulement dans les conséquences, qui agissent plus qu’on ne saurait le croire dans la préparation et la tenue de notre colloque.

Nous ne savons pas comment les facultés françaises vont pouvoir fonctionner au cours de l’année scolaire. Celle de Rouen s’est même montrée en pointe au mois de mai. Les Normands, faiblement latins, sont pourtant habituellement placides et prévoyants, mais il suffit que quelques chanteurs dans un chœur se mettent volontairement à détoner, pour rendre impossible l’audition. Ce fut aussi cela le printemps français, moins noble que l’autre.

Et nous avions même pensé tenir la plupart de nos réunions de travail dans l’une des salles de la Faculté des Lettres. Pourrons-nous en tenir une ou plusieurs ? Car le groupe des Lettres de l’Université de Rouen et les Amis de Flaubert, sans aucune difficulté, s’étaient mis d’accord pour monter et mener à bien ce premier colloque de Flaubert à Rouen.

De plus, nous constatons que des professeurs, surtout ceux qui, avant mai, s’étaient montrés plus libéraux et plus compréhensifs, qui, selon l’expression populaire étaient dans le vent, ont été traumatisés par les événements de mai, par le comportement surprenant d’une partie de leurs collègues, par la remise en marche de la nouvelle université française, par les fatigues causées par les interminables séances où ils sont tenus d’assister pour la remettre convenablement en marche. Tous ces faits secondaires jouent sur notre colloque, sur la préparation des communications envisagées et sur tout le reste.

Alors, vous pouvez juger de notre embarras, mais pas de nos craintes. Dans le délire de mai, les jeunes ont « brûlé la baraque jusqu’au sol » et l’on sait bien qu’elle sera reconstruite autrement, ce dont elle avait besoin. Mais dans l’interrègne se trouvent accrus toutes les difficultés, les erreurs, les faux pas. Avant tout, il semble que les jeunes, plus inquiets que nous sur leur avenir, ont perdu le sens de la hiérarchie, celui de l’âge, mais surtout celles du savoir et de l’expérience, qu’eux-mêmes devront acquérir, pour leur usage et leurs besoins et ils seront peut-être plus durs que nous, pour leurs cadets. On vieillit si vite, intellectuellement, de nos jours !

Notre colloque aura lieu, à son heure, à la Faculté ou en ville, mais il est certain que nous le tiendrons au printemps : c’est le principal et nous comptons sur une nombreuse assistance.

André Dubuc.