Un accident ignoré du père de Flaubert

Les Amis de Flaubert – Année 1969 – Bulletin n° 34, page 45.

 

Un accident ignoré du père de Flaubert

Pour donner une idée de la notoriété dont il jouissait à Rouen, comme chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen, il suffit de reprendre quatre articles parus dans le Journal de Rouen, les 14, 16, 17 et 24 juin 1825. A cette époque, le seul quotidien rouennais avait une petite chronique locale, généralement moins d’une demi-colonne de son petit format. Les événements locaux se limitaient à quelques lignes et des articles communiqués sur des nécrologies. Aussi est-on surpris de ces articles concernant un fâcheux accident dont il venait d’être victime :

« Il n’est bruit depuis deux jours dans notre ville que du funeste accident arrivé à M. Flaubert, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu. Plusieurs versions s’étant répandues à cet égard et quelques-unes pouvant même donner les plus vives inquiétudes sur les jours de cet habile praticien. Nous croyons répondre au vif Intérêt qu’il inspire àtous ses concitoyens, en copiant textuellement le bulletin ci-après, de sa santé, affiché ce matin dans l’Hospice, dont chaque membre le considère comme un père :

« Samedi 11 juin, à neuf heures du soir, M. Flaubert, en sautant d’une voiture entraînée rapidement dans une côte dangereuse, s’est fait à la jambe gauche, à la réunion des deux tiers supérieurs avec le tiers inférieur, une fracture oblique, le fragment supérieur du tibia a percé la peau, il s’est manifesté de suite beaucoup de gonflement, la fièvre est survenue. Dans la journée et la nuit du 12 juin, le gonflement a augmenté, la peau de la jambe s’est couverte de phlyctènes, la douleur a été violente, la fièvre a continué. Le 13 juin à huit heures du soir, la douleur a diminué, le gonflement paraît être resté stationnaire ; de nouvelles phlyctènes se sont développées ; la fièvre est tombée. La résignation de M.Flaubert, la force morale qu’il montre au milieu des douleurs de ce déplorable accident, contribueront, nous l’espérons, à l’amélioration de son état : entouré de son épouse et de ses enfants, les soins les plus assidus lui sont prodigués ; transporté au château de Mauny, il reçoit de M. le Marquis d’Etampes et de sa famille les marques du plus touchant intérêt. »

Leudet.

Le signataire est un des assistants du docteur.

Nouvel article du 16 juin :
« L’intérêt qui s’attache généralement à la personne de M. Flaubert fait accueillir avec une sorte d’avidité tous les bruits relatifs à sa position actuelle. La connaissance que quelques symptômes alarmans s’étaient manifestés dans la nuit du 13 au 14, ont augmenté dans le public les inquiétudes qu’on avait conçues sur la vie de cet ami de l’humanité, et la crainte d’un danger possible faisant considérer déjà à quelques personnes ce danger comme inévitable, le bruit de la mort de M. Flaubert s’est répandu ce matin dans toute la ville avec toutes les apparences de la réalité. Nous sommes heureux de pouvoir démentir cette fâcheuse nouvelle par le bulletin suivant, qui vient d’être affiché dans l’intérieur de l’Hôtel-Dieu : L’état de M. Flaubert est plus satisfaisant. Le mieux qui avait commencé à se manifester dans la journée de mardi, a continué pendant la nuit, et, dans la journée de mercredi, les douleurs sont beaucoup moins fortes, le malade est sans fièvre, le gonflement est diminué d’une manière sensible ; la peau de la jambe est en bon état ».

Le lendemain, le Journal de Rouen publiait un autre article :

« II est difficile de se faire une idée du calme que M. Flaubert a conservé au milieu des douleurs affreuses que lui causait sa fracture. En attendant l’arrivée de M. Llcquet docteur en médecine et l’un de ses anciens élèves, dont il avait réclamé les soins, il fit préparer une partie de l’appareil destiné à recevoir le membre fracturé après quoi il écrivit à son épouse une lettre assez longue pour l’informer de son accident, mais avec tous les ménagements qui pouvaient la rendre moins pénible, et donnant lui-même des espérances qu’il n’avait pas.

Au moment de la réduction de la fracture, il aida le Dr Licquet de ses conseils avec autant de sang-froid et de précision qu’il se fût trouvé lui-même en consultation auprès d’un malade. C’est un rapport de plus qu’offre M. Flaubert avec le célèbre chirurgien Amboise Paré. Ce dernier eut aussi la jambe fracturée et donna également au médecin qui le pansait les conseils les plus sages avec le plus admirable sang-froid.

L’état de santé de M. Flaubert est assez sensiblement amélioré pour faire espérer que les accidents de nature à retarder la guérison ne surviendront pas ou n’auront pas, du moins, le caractère de gravité qu’on pouvait redouter.

M. Leudet, chirurgien adjoint de l’Hôtel-Dieu est venu joindre ses efforts à ceux de M. Licquet pour alléger les souffrances du malade et partager l’honorable mission de hâter, par tous les moyens possibles, la guérison du digne successeur des Lecat et Laumonier. »

Le dernier article est du 24 juin :

« Les accidents qui avaient donné de l’inquiétude sur la santé de M. Flaubert ont successivement diminué depuis huit jours.

L’état actuel est satisfaisant ; le malade est sans fièvre, plein de calme et de résignation, le gonflement de la jambe est peu considérable, et paraît plutôt tenir à l’épanchement de sang non encore absorbé qu’à la tension inflammatoire, il y a peu de douleurs ; tout nous fait espérer que la guérison aura lieu plus promptement et plus simplement qu’on osait l’espérer d’abord. »

Au moment de l’accident de son père, Gustave avait quatre ans. Ces articles publiés dans le seul journal local d’alors montre de quelle considération était entouré le docteur Achille Flaubert. Il en fut ainsi jusqu’à sa mort survenue en 1846.

Son fils aîné devait bénéficier de la même sympathie, comme son successeur à l’Hôtel-Dieu, ce qui fait qu’à Rouen, on connaissait les deux chirurgiens, ignorant Gustave qui devait finalement être le plus célèbre de cette famille, dont il n’existe plus aucun membre à Rouen.

André Dubuc.