Un colloque réussi

Les Amis de Flaubert – Année 1969 – Bulletin n° 35 – Page 3

 

Éditorial

Notre colloque est mort. Il est bon de rappeler ce qu’il fut dans sa préparation et son exécution ainsi que l’impression que de nombreux participants ont tenu à nous faire connaître.

Il fut réussi : l’opinion est unanime sur ce point. Nous avons eu raison de maintenir la date primitivement prévue, malgré la concurrence du référendum sur la régionalisation. Des professeurs, étant considérés en mission, avaient pu voter par avance. Si bien que le nombre de personnes ayant dû s’abstenir de venir à Rouen, a été minime. Si, pour notre colloque la date du référendum était fâcheuse, il fut favorisé par un beau temps vraiment exceptionnel en Normandie à cette époque, ce qui compte toujours beaucoup dans les manifestations de ce genre. Qu’aurait-il été si la pluie, le vent, le froid s’étaient ligués contre nous, comme la semaine suivante ?

Quinze jours auparavant, j’avais un peu surpris mes amis organisateurs, en les assurant que notre colloque serait réussi. Mon optimisme les surprenait, j’avais le souvenir d’autres congrès, plutôt de caractère historique, à l’organisation desquels j’avais participé et qui avaient parfaitement réussis. Ce qui compte, c’est le nombre et la qualité des communications pour lesquelles les participants se déplacent essentiellement. Pour les à-côtés du congrès, avec une préparation sérieuse pas trop chargée, même assez lâche pour donner place à un peu de fantaisie, on y parvient aisément. Notre réussite tient à ce genre de préparation. Car nous ne nous y sommes mis sérieusement que deux mois auparavant : c’était suffisant. Surtout, nous étions peu nombreux : quatre exactement, mais chacun avait un rôle à tenir. Davantage, nous nous serions gênés. L’efficacité y aurait perdu, la bonne entente aussi. Car, nous avons formé une équipe très homogène, dynamique, ayant du battant et de l’allant.

Mme Bancquart s’est occupée des inscriptions, des communications du colloque et du programme des séances et avec René Fallu du choix des hôtels et du restaurant. Lucien Andrieu fut le comptable vigilant du colloque et avec lui, nous avons assuré tout le reste, les autocars, les excursions, les rapports avec l’imprimerie, la presse, ainsi que le comptoir de vente de nos bulletins et tout ce qui apparaît nécessaire au dernier moment. Chacun de nous avait des responsabilités limitées, mais chacun tenait à cœur de les assurer.

Dans la forme presque rituelle des congrès nous avons dû innover et introduire quelque chose de nouveau, qui sera certainement repris dans d’autres du même genre. Nous avons fait une sorte de pré-congrès. II nous a semblé que dans la limite des deux jours et demi, bien des participants partiraient de Rouen, sans avoir pu visiter la ville, sous l’angle littéraire. Donc, dès le vendredi après-midi nous avons organisé par autocars, une excursion intérieure. Nous avons vu sa maison natale devenue double musée de la médecine et flaubertien, le lycée Corneille, la place Beauvoisine et le panorama de la ville du haut de la côte de Neufchâtel, celui que Flaubert a décrit dans Madame Bovary. Comme le ciel était clair, la compréhension était facile.

Uniquement pour nous, le directeur de la bibliothèque municipale avait préparé une exposition pour professeurs et érudits, avec les manuscrits et la correspondance. Nous y restâmes longtemps, tant l’intérêt fut grand. Puis à pied, par les petites rues du quartier Martainville et de l’Eau-de-Robec, où résidait l’étudiant Charles Bovary sous les combles de ce quartier du textile, nous sommes revenus vers les hôtels. Nous avons été agréablement surpris du nombre de participants.

Ainsi, nous nous connaissions entre nous, avant les séances de travail qui eurent lieu dans la salle de réunion de la nouvelle Préfecture en bordure de la Seine, une salle moderne, spacieuse, bien climatisée et sonorisée, avec d’excellents fauteuils, ce qui compte aujourd’hui pour les gens difficiles que nous sommes devenus, avec le développement du confort. Le compte rendu des séances se trouve intégralement dans les actes du colloque. À la fin de l’après-midi, sous un ciel moutonné comme dans les tableaux impressionnistes, à plus d’une centaine, nous nous sommes embarqués sur la vedette habituelle de Rouen à La Bouille, bien connue de Flaubert, pour la visite du port maritime qui s’étend sur quatorze kilomètres, avec ses installations et ses usines sur les deux rives de la Seine. C’est surtout au retour avec l’éclairage rasant du crépuscule, que le modeste pavillon de Croisset paraissait fort petit, d’un autre âge, et que la ville aux cent clochers se détaillait dans toute sa majesté, avec ses collines aujourd’hui surmontées de l’Université, de nouveaux quartiers : une ville tentaculaire qui a inspiré le titre à Verhaeren, très différente de celle que parcourut le jeune Flaubert.

Nous partîmes pour Ry, le dimanche après-midi avec un peu de retard. Le temps était clair, beau et doux avec cette première manifestation régionale du printemps. Nous parcourûmes le petit bourg, la grande rue, nous nous arrêtâmes plus longuement à l’église et à deux tombes, nous vîmes le pont et le maigre ruisseau. Il y a tout lieu de supposer que s’est produit au début de 1848, un événement similaire à celui qui a servi de trame dans Madame Bovary et que Flaubert a dû reprendre, le connaissant comme toutes les familles des médecins rouennais et supplémentairement pour des raisons financières familiales. En tout cas, le cadre topographique est rapproché de celui du roman. Et de là, nous nous rendîmes à Croisset, à la mairie d’abord, où est exposé le reste de la bibliothèque de Flaubert. Dans une salle voisine, Mme Banquart lut sa communication : Croisset, haut lieu de la littérature. Nous demeurâmes longuement ensuite dans le pavillon de Croisset, tandis que des navires descendaient. Par les boucles de la Seine, nous allâmes aux ruines de l’abbaye de Jumièges, où Flaubert aimait conduire ses amis en voiture de louage. Nous devions nous arrêter à Caudebec pour le dîner. Comme il faisait encore jour, il nous prit la fantaisie d’aller jusqu’à Villequier, ce qui n’avait pas été prévu au programme, pour les tombes de la famille Hugo dont celle de Léopoldine et la maison des Vacquerie qui donne sur le chemin de halage. Ainsi grâce aux deux autocars, il nous fut possible de voir en un après-midi, l’essentiel des souvenirs flaubertiens, quinze fois plus vite qu’au temps des voitures à chevaux.

Il n’y a pas de bon congrès, surtout en Normandie, sans un dîner en commun. Nous avions choisi un hôtel gastronomique réputé à Caudebec, au bord de la Seine, de cette Seine qui joue un rôle important dans l’Éducation Sentimentale avec Paris, Nogent et aussi Le Havre. Sans protocole, par petites tables de six, nous nous plaçâmes à notre gré et il n’y eut aucun discours : nous avions tenu que ce dîner fut un témoignage d’amitié littéraire. Le menu d’ailleurs portait sur sa couverture, un bois inédit de Flaubert, par un artiste rouennais disparu, Tilmans. Les membres du colloque paraissaient fort détendus, gais et satisfaits de la cuisine normande. Et pourtant c’était la nuit fiévreuse, presque anxieuse du référendum. Dans une salle voisine, un poste de télévision donnait les résultats annonciateurs du référendum. La politique paraissait lointaine aux convives. De temps à autre, les têtes se tournaient, à cause des navires qui remontaient dans la nuit venue, se laissant deviner par l’éclairage de leurs mâts allumés. La vie économique continuait indifférente aux aléas politiques comme aux recherches flaubertiennes. Ainsi nous revînmes à Rouen tard dans la nuit. Nous repassâmes par la nouvelle route touristique de Canteleu, et l’agglomération de 400.000 habitants apparut par l’éclairage nocturne jusqu’à l’horizon. La séance du lundi se prolongea assez tard. Déjà des participants avaient dû reprendre les trains du matin pour leurs villes d’université. Le colloque était terminé et avait rempli ses espérances.

En six mois, les actes du colloque ont pu paraître dans la revue : Europe, c’est un record de rapidité. Les abonnés de notre bulletin, ayant participé ou non, se feront un devoir de le posséder. C’était la meilleure formule et la plus économique pour la publication qui était au-dessus de nos possibilités budgétaires.

Les quatre organisateurs ont donc lieu d’être satisfaits. Notre association en particulier doit un remerciement à Mme Durry, professeur à la Sorbonne qui, rappelons-le, fit ses débuts à la faculté des lettres de Caen avant la seconde guerre et retrouva ainsi d’anciens étudiants. Elle assura avec brio et assurance la présidence de toutes les séances de travail. Au cours des diverses manifestations notamment au déjeuner offert par le Rectorat et à la réception de la Municipalité à l’Hôtel de Ville, elle interpréta avec beaucoup de finesse et de style la pensée intime du congrès, en remerciant les autorités invitantes.

Les Amis de Flaubert tiennent également à remercier les libraires de la ville qui présentèrent des œuvres de Flaubert dans leurs vitrines, les journalistes qui s’employèrent à faire connaître notre colloque, tous les Rouennais, étudiants et autres, qui suivirent avec fidélité et intérêt la plupart de nos séances de travail.

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Nous avons tenté une expérience et nous pensons l’avoir réussie. Nous avons voulu faire simple et possible et avec un programme hors du colloque le moins chargé possible, afin que les participants puissent avoir du temps pour découvrir par eux-mêmes la ville, son ambiance, ses particularités, ses monuments, ses magasins et photographier à leur aise.

Nous avons senti que la ville était avec nous et suivait avec intérêt notre entreprise. Cas fort rare dans cette ville dynamique, où chaque minute compte, où pour gagner, il faut aller vite pour vivre et survivre.

Et puis, nous devons remercier tous ceux qui, de l’étranger ou de France vinrent intentionnellement à Rouen le 23 avril dernier, certains pour la première fois, pour assister à notre congrès et connaître la ville de Flaubert. De par le monde, les Normands ont une fâcheuse réputation avec la légende du ni oui, ni non qui les poursuit comme celle du Juif errant. On les dit difficiles à vivre, calculateurs et méfiants, proches de leurs intérêts. Et pourtant nous aimons recevoir simplement et sans faste, avec une amitié qui n’est peut-être pas immédiate mais qui se concrétise au fur et à mesure que nous connaissons mieux nos hôtes.

Nous avons tenu à leur montrer que sur cette terre généreuse, avec son industrie puissante sur les bords de la Seine, son commerce maritime toujours en suspens, dès que nous le pouvons, nous aimons recevoir ceux qui viennent pour nous connaître et peut-être nous apprécier. Que tous par ce bulletin qui les atteindra, sachent que tous les membres rouennais des Amis de Flaubert conservent un excellent souvenir de leur passage et que nous leur disons avec espérance comme dans la chanson : Ce n’est qu’un au revoir.

Nous devons déjà attirer l’attention sur la date du 12 décembre 1971 qui sera le 150e anniversaire de la naissance de Flaubert. La ville certainement, notre société en particulier, tiendront à célébrer cet événement. Nos aînés en 1921 ont marqué le 100e anniversaire avec quelques manifestations et beaucoup de discours, comme c’était l’usage. Nous pensons agir différemment. Peut-être pourrions-nous organiser un autre colloque axé non plus sur une œuvre, mais sur un autre thème qui serait aussi flaubertien ? Je suggère celui de Flaubert et ses amis. Ainsi nous pourrions y associer tous ceux qui gravitèrent autour de lui comme Maupassant, les Goncourt, Zola, Feydeau, Duplan, du Camp, Huysmans, Le Poittevin, Chevallier, et une sorte de colloque consacré plus ou moins à l’école réaliste, dont Flaubert fut l’un des chefs de file. Nous aimerions que les intéressés nous fassent connaître leur sentiment. Ainsi nous pourrions célébrer dignement son 150e anniversaire.

André Dubuc.