A propos de L’Education sentimentale

 

Les Amis de Flaubert – Année 1970 – Bulletin n° 36 – Page 45

 

France Culture et l’Éducation sentimentale

Le 6 avril dernier, une émission radiophonique sur le roman de Flaubert, réalisée par Jean-Jacques Vierne, qui en dit :

« J’ai une prédilection pour cet ouvrage. J’en avais fait une émission voici vingt ans au Club d’Essai ; mais c’était trop bref et la matière est trop abondante : il s’agit d’une fresque inextricable où il se passe tout et rien. Flaubert a voulu « emboîter » ses personnages dans les événements politiques. Le rythme du feuilleton convient parfaitement et l’adaptation qu’en a faite Hubert Dumas — récemment disparu — est habilement conçue. Sans jamais recourir au récitant, ce qui est ici une prouesse, elle fait alterner les plans intimistes (l’aventure de Frédéric Moreau, jeune provincial venu faire son droit à Paris) et les tableaux politico-sociaux (le milieu étudiant et la Révolution de 1848).

» Seulement Flaubert n’est ni un romantique ni un visionnaire ; l’œil qu’il pose sur les faits et les gens est le regard froid d’un naturaliste. Il nous présente une coupe anatomique de la société de son temps — seul le prolétariat échappe à son investigation — les personnages sont plutôt affreux par leur manière de retourner leur veste. Une certaine exaltation dans les sentiments naît des jeux de la Révolution, puis tout sombre dans la médiocrité. Seules émergent quelques figures vraiment pures comme Dussardier.

» De même l’amour de Frédéric et de Mme Arnoux n’a rien d’une passion romantique ; ce n’est pas Tristan et Yseult. D’ailleurs Frédéric mène plusieurs aventures dans des milieux différents. Au dernier chapitre, Flaubert montre son héros vivant à quarante ans en petit bourgeois, évoquant avec son ami Deslauriers le temps où ils allaient à la maison de rendez-vous et concluant : « C’est là ce que nous avons eu de meilleur ! » On est tout près de Bouvard et Pécuchet.

 » L’Éducation Sentimentale, c’est aussi le désenchantement de toute une génération. Flaubert analyse la désillusion qui suit la fièvre de 1848, il décrit une jeunesse assez intelligente et assez forte pour concevoir un idéal, mais pas assez pour le réaliser » ; à la lumière des événements de mai, voilà qui prend une singulière résonance » …
(Le Monde, 3 avril 1970).