Analogies et différences entre Flaubert et Proust

Les Amis de Flaubert – Année 1972 – Bulletin n° 41 – Page 45

 

Analogies et différences entre Flaubert et Proust

Sur un livre de Jean Mouton, concernant Proust, paru chez Desclée de Brouwer, dans leur collection « Les écrivains devant Dieu », Pierre-Henri Simon, critique littéraire du « Monde », donne cette opinion (21 décembre 1968) :

« …En quoi, évidemment, Proust apparaît tout proche de Flaubert, en étant pourtant séparé de lui par une distance métaphysique que Mouton a bien mesurée. Pour Flaubert, la vie est laide, absurde, intolérable, et l’art intervient comme une sorte d’opération alchimique qui, par l’effort de bien observer et le talent de bien peindre, n’embellit certes pas le réel mais le transmute en une autre essence qui est la peinture même, belle d’être peinture. Flaubert ne se soucie nullement d’éterniser ce qu’il raconte et dont le plus souvent l’horreur ou la médiocrité le consternent ; mais il veut croire à la beauté et à l’éternité de ses phrases. Pour Proust, il en va différemment : il adhère à l’être, il aime ce qui existe, et sa joie profonde est de regarder, et de sentir, de percevoir les couleurs les plus vives ou les nuances les plus secrètes, toute la diversité inépuisable de la nature et du monde humain. Déjà, dans Jean Santeuil, on lit cette phrase-clé de son esthétique : « Les choses sont si belles d’être ce qu’elles sont ». Le bonheur est, par la sensation, d’atteindre intensément à la possession de cette beauté et, par l’amour, à la jouissance des autres ; le tourment est que, dans l’instant où cette joie éclate, s’engloutit dans le passé, s’abîme dans l’inconstance du moi et les intermittences du néant dont est faite la vie de notre conscience. Mais à cet anéantissement, Proust ne se résigne pas : toute sa théorie de la mémoire tend à retisser entre les instants discontinus des liens, des résurgences, et sa théorie de l’art est de reproduire et de fixer dans les mailles du style et par les analogies des métaphores cette cohérence d’une conscience irrémédiablement mortelle, mais qui peut du moins goûter à une saveur d’éternité… »

Est-ce que Flaubert considérait la vie comme laide, absurde, intolérable ? Flaubert était un bon vivant, un gros mangeur, certainement, et peut-être que la littérature l’a sauvé de l’abondance des boissons. Il semble que, réfléchissant sur la vie sociale, sur le comportement des gens de son époque, il ne trouvait pas belle l’humanité environnante, et bien décevante. Mais n’est-ce pas le fait de toutes les générations ? Alors ?

A. D.