À propos de Maupassant

Les Amis de Flaubert – Année 1973 – Bulletin n° 42, page 3

 

À propos de Maupassant

éditorial

En récolant les articles de critique littéraire consacrés à Flaubert ou à Maupassant, pour notre  bibliographie annuelle, nous sommes toujours surpris du petit nombre consacré à ce dernier. Nous avons toujours désiré que dans chaque numéro de notre bulletin, au moins un se rapporte  à Maupassant, qui le mérite.

Nous sommes inquiets de cette constatation, car, à l’étranger, Maupassant demeure toujours très lu, autant au moins qu’en France. Il ne fait pas de doute que pour de jeunes étudiants, il soit plus accessible que Flaubert, uniquement à cause de son style direct et facilement compréhensible. La traduction également offre moins de problème. Maupassant, pour l’étude de son œuvre, paraît donc en retrait par rapport à la vogue considérable qu’il a connue et c’est ce qui nous surprend.

Toutefois, à cause de cet avantage, il est encore étudié dans de nombreuses universités étrangères. Cette année, une jeune professeure de l’Université de Göteborg, ayant eu la liberté de choisir un écrivain pour ses étudiantes de langues romanes, a cru bon de prendre Maupassant. Elle nous a demandé de lui donner quelques explications sur des « normandismes » qu’elle ne connaissait pas, comme du « fil-en-six » ou du « fil-en-quatre ». Il est vrai que cette explication est devenue difficile pour les contemporains. Cet alcool de moût de vin vendu autrefois abondamment dans les cafés, à cause de son bon marché, faisait concurrence au calvados des bouilleurs de cru largement répandus dans les fermes.

Toujours, et avec plaisir, à quelques-uns sur le plan local, nous nous efforçons de satisfaire la curiosité des professeurs et des membres de notre Association sur ces demandes que nous pouvons le plus souvent leur donner rapidement.

Il est certain que Maupassant répond fort bien à la télévision. N’a-t-on pas donné au début de mai  Une histoire vraie  qui a satisfait les téléspectateurs. Carlo Rim, il y a une dizaine d’années écrivait dans Télérama : « Maupassant est le type même de l’auteur de télévision… C’était un visuel qui avait le sens du raccourci. Les décors sont suffisamment décrits. Les personnages ne disent que l’essentiel. Ses indications sont d’une extrême simplicité et ne nécessitent ni explication ni commentaires… ». Cette sobriété dans le style, cette économie d’explication qui répond d’ailleurs fort bien au caractère normand, où le fin du fin dans les discussions est de prononcer des mots plutôt que des phrases plus compromettantes, se retrouve justement dans le début d’une Histoire Vraie qui vient d’être adaptée à la télévision. « Les chasseurs achevaient leur dîner, encore bottés, rouges, animés, allumés. C’étaient de ces demi-seigneurs normands, mi-hobereaux, mi-paysans, riches et vigoureux, taillés pour casser les cornes des bœufs lorsqu’ils les arrêtent dans les foires ». Quelle précision goguenarde dans la simplicité et l’économie des mots !

Maupassant est inférieur à Flaubert du point de vue de la densité de la phrase et de la liaison du style. Maupassant est davantage boulevardier. Cependant, il offre d’autres avantages. Il a vécu, plus que Flaubert, la vie rurale traditionnelle avec ses mœurs bien différentes et moins policées que celle de la ville. Il l’a encore connue à une époque où elle était encore compacte et où l’influence de la ville, si elle existait, se faisait beaucoup moins sentir qu’aujourd’hui. Le fils du châtelain-locataire de Grainville-Ymauville a vécu une enfance très buissonnière, au contact des enfants du village, partageant sans réserve leurs jeux, les comprenant dans leurs attitudes et leurs malicieuses réserves. Il a connu l’intérieur des chaumières et des fermes. Dans cette liberté que lui accordait sa mère, ce fils indiscipliné de châtelain fut un véritable paysan, dont il se souviendra dans la création de son œuvre. Il suffit de reprendre ses nouvelles, pour se rendre compte qu’aucun des écrivains normands, même Barbey d’Aurevilly, n’a parlé avec autant de réalisme de la campagne, des cours de ferme, du printemps, plus que de l’hiver et des pommiers en fleurs, du renouveau de la nature, des vents de tempête et des chutes de neige. Sur ces points, il est inégalable, sinon unique.

Peut-être que ses scènes villageoises frisent une forme d’ironie bien-vaillante et attendrie ? Souriant de leurs manières plutôt gauches, devenu citadin, écrivant pour des lecteurs de ville, il les fait connaître et presque aimer. Et sous son style goguenard, il a fait apparaître les drames silencieux des villages, les frémissements féminins au milieu d’une nature luxuriante, la voix impérieuse de la nature charnelle, une philosophie différente et moins sophistiquée des grands événements de la vie. Pour son temps, il a été un précurseur et, à ce titre, il ne doit pas être oublié ou méconnu.

Pour ces diverses raisons, nous aimerions que tous ceux qui s’intéressent à la critique littéraire nous adressent des articles ou des échos sur Maupassant, qui, après avoir connu la vogue littéraire, est un de ceux dont on ne parle plus assez maintenant.

André Dubuc.