Maupassant en Pléiade

Les Amis de Flaubert – Année 1974 – Bulletin n° 45 – Page 3

Éditorial

Contes et Nouvelles de Maupassant en édition Pléiade

La collection bien connue de la Pléiade vient de faire paraître dans ce Panthéon de la littérature le premier des deux volumes prévus des Contes et Nouvelles de Maupassant. Les textes ont été publiés, ce qui était logique, dans l’ordre chronologique de leur parution et ils ont été annotés méticuleusement par M. Louis Forestier. Les critiques en ont parlé, mais avec réserve, surtout les plus jeunes, comme si la durée les gênait et plusieurs l’ont considéré comme une sorte de «  vieille lune « qu’il serait temps de mettre enfin au musée des antiquités littéraires. Souhaitons pour eux que leurs jeunes poulains connaissent un tel succès et une si belle longévité ! Ce serait la preuve que leur opinion d’un moment était une découverte. Le succès prolongé de Maupassant les irrite et les gêne. Tant pis pour eux, le nouvelliste normand n’a pas besoin d’une publicité musclée ou abondante pour trouver de nouveaux lecteurs. On achète toujours ses ouvrages avec plaisir, son nom suffit, sachant par avance qu’il nous intéressera et nous donnera de bonnes heures de joie et de détente, surtout quand viennent les longues soirées d’hiver et que les programmes de télévision sont décevants.

Tant d’auteurs du XIXe siècle ne sont plus lus, que l’on peut être surpris de l’intérêt qui continue de se manifester à son égard. Dans notre jeunesse, il y a cin­quante années, tous les jeunes le lisaient avidement, les jeunes filles en cachette, mais elles le connaissaient. Nous le préférions largement à Paul Bourget où à Henry Bordeaux dont on ne parle plus, malgré la publicité qui les entourait. Maupassant nous ouvrait les fenêtres de la vie réelle et nous décelait l’envers de l’écorce, comme un vrai braconnier, les mystères de la chasse interdite et le comportement habituel du gibier. La jeunesse d’aujourd’hui plus précoce, assure-t-on, paraît plus triste, soucieuse, et le lit avec moins d’entrain que nous. À vingt ans, elle croit tout connaître, tout savoir. Elle paraît dans son ensemble ou plutôt dans sa partie bruyante dont la presse parle le plus, blasée de tout, écœurée, déçue d’avoir trouvé à sa naissance une civilisation trop riche et trop prodigue, dont d’ailleurs elle revient vite, car leur véritable jeunesse est fort brève, poussée par la suivante, sans pitié pour leur à peine vingt-cinq ans.

Maupassant a toujours eu plus de lecteurs que Flaubert, étant plus accessible au grand nombre à cause de son style simple et clair. Cet enfant noble, malgré ses velléités aristocratiques plus tardives, est beaucoup plus peuple que Flaubert, tout bourgeois libéral qu’il fut d’esprit et de cœur. C’est que Flaubert était avant tout un citadin de jeunesse et de vie, adulte et qu’il ne connut qu’accidentellement la vie à la campagne, en toutes saisons. Maupassant, par contre, quoiqu’il demeurât longtemps dans un petit château sans prétention de Grainville-Ymauville, son véritable village d’enfant est demeuré avec un instinct de paysan prévenu et madré. Leur jeunesse diffé­rente dans un même milieu aisé, l’un à la ville, l’autre à la campagne, ont continué de jouer sur leur vie adulte, tant l’enfant demeure le père de l’homme. Maupassant a compris les villageois s’il les a parfois caricaturisés pour les diversifier, parce qu’il a longuement vécu avec eux et surtout avec leurs enfants, plus francs dans leurs habitudes ataviques.

Leur vie est plus naturelle, moins compassée et nous pouvons le dire, moins hypocrite, grâce à leur silence proverbial et à leur lenteur calculée. Ils demeurent nature à l’égard de leur corps et de. ses divers appétits. Ils sont gênés vis-à-vis des gens des villes qui leur paraissent moins guindés et plus subtils par leurs manières plus policées. C’est par ce côté de franchise naturelle ou goguenarde qu’il attire. Et puis, dans la littérature, il est le premier qui ait osé insister sur la sexualité de toutes les filles d’Ève, sans qu’elles rosissent ou rougissent pudiquement. Il a arraché le masque des fausses apparences. Il est aussi le premier qui ait fait aimer la nature, les plaisirs de la campagne, la gaieté des bords de Seine et des longues heures de canotage, pour y attirer les Parisiens désœuvrés du dimanche. Il a fait connaître le plein air et les sports nautiques où il excellait. Il a donné une nouvelle appréciation de la vie et une autre forme de civilisation. Quatre-vingts ans nous séparent de sa mort et cet amoureux de la vie physique demeure proche de nous, malgré les changements de civilisation, car il a deviné que le fonds humain ne change guère et se maintient malgré les bouleversements de civilisation. Claude Santelli, un de ses fervents, le reprend avec plaisir pour ses émissions du petit écran, trouvant que dix lignes de lui, permettent de bâtir un solide scénario.

De tous les auteurs normands du siècle dernier, avec Barbey d’Aurevilly, autre villageois, mais avec plus de persistance que lui, il a exprimé la campagne dans ses aspects saisonniers, la brève magnificence des pommiers en fleurs, le calme des cours de ferme à l’abri de leurs hauts fossés plantés de hêtres, la désespérance des nuits de neige. Il n’a jamais oublié ses années passées avec les garnements de Grainville-Ymauville dont il n’était pas le moins intrépide, entre ces bourgs très cauchois de Fauville et de Goderville. Les Normands de vieille souche sont toujours émus en le lisant, se reconnaissent avec lui, car il est physiquement l’un des leurs.

Naturellement, son œuvre a légèrement vieilli. S’en aperçoit-on à la lecture ? Il ne saurait en être autrement. Il a vécu avant le téléphone, la motocyclette, l’automobile, l’avion, la radio, la télévision, le tiercé, les monnaies flottantes, les fusées à ogives, les jupes courtes et les cheveux coupés. Parmi nous, il donnerait une œuvre un peu différente, adaptée à notre temps, car ce charmeur de style simple a uniquement écrit pour l’époque où il vivait et non polir la nôtre. Mais il a écrit des choses éternelles, il doit donc durer.

Les villages qu’ils a connus se sont légèrement modifiés. Les champs, les sentiers, les masures qui ont résisté aux épreuves du temps n’ont guère changé, à l’exception des fils électriques qui courent maintenant le long des routes et des antennes de télévision au-dessus des cheminées, comme des tracteurs bruyants qui remplacent dans la plaine les attelages des chevaux. À part cela, le passé subsiste dans le compor­tement social des hommes. La société peut changer de support, l’agriculture et l’artisa­nat étouffer sous les exigences des formes industrielles, l’enfant, l’amante, la mère, l’homme obéissent toujours aux mêmes lois secrètes.

Pour toutes ces raisons, il continue d’être lu et recherché. Il n’a certes pas la majesté du style flaubertien, mais il s’exprime simplement. Il se montre comme son maître, indépendant de toute école et se veut lui-même, ce qui est sans doute le meilleur atout pour son charme et le maintien de sa célébrité.

André Dubuc