La Tentation de Saint Antoine

Les Amis de Flaubert – Année 1974 – Bulletin n° 45 – Page 9

Un centenaire oublié
La Tentation de Saint Antoine

 

Souvent, les journaux quotidiens ainsi que les revues littéraires et les hebdomadaires signalent au passage les centenaires d’œuvres d’auteurs célèbres.  À notre surprise, peu ont rappelé, au début de cette année, celui de La Tentation de saint Antoine parue en 1874. Cette année-là, Flaubert a présenté au théâtre du Vaudeville à Paris sa première pièce Le Candidat, composée en moins d’un an. Malgré la publicité tapageuse dont elle fut l’objet, à cause de son passé de romancier, elle ne fut jouée que quatre fois et fut donc un échec. Les critiques des journaux qui conditionnent souvent le succès ou l’échec d’une pièce, se montrèrent tous embarrassés et réticents. Ils la jugèrent surprenante et incompréhensive. Quelques semaines plus tard devait paraître La Tentation de saint Antoine avec deux éditions successives, sans connaître un succès vraiment marqué. Flaubert aurait pu se montrer dépité cette année-là. Il ne le montra guère, car, malgré ces deux insuccès, il devait être satisfait de l’avoir publiée, sous une forme remaniée. Il l’avait allégée et modifiée au possible, pour la rendre plus attachante et compréhensive au public qui s’y intéresserait.

Il faut bien admettre que cette Tentation a été la principale obsession de sa vie littéraire. Il aurait voulu qu’elle en fût l’œuvre maîtresse. Elle l’a tourmenté pendant plus de vingt-cinq ans. Finalement, elle n’a intéressé qu’un nombre réduit de lecteurs versés dans les études philosophiques et religieuses. Les première et seconde versions n’ont été publiées que longtemps après sa mort. Aujourd’hui, certains préfèrent la première, la plus longue et la plus truculente, comme étant la plus proche de la pensée de l’auteur. Les lecteurs ayant lu à la suite les trois versions pour mieux les comparer entre elles, sont certainement extrêmement rares et il faut s’armer d’une longue patience pour découvrir les modifications et suppressions qu’il a cru devoir faire.

Aucun doute que cette idée d’écrire un ouvrage sur la vie de saint Antoine lui soit venu tout enfant, par l’intermédiaire de la foire Saint-Romain de Rouen. Il l’a fréquentée enfant et adulte, comme tous ses compatriotes et certainement avec plaisir. Elle se tient toujours en octobre, sur les boulevards, anciens fossés comblés de la ville. Elle a, certes, perdu de nos jours de son importance d’autrefois. Elle a toujours été plus spectaculaire que vraiment commerciale, drainant d’une dizaine de lieues alentour une population rurale, dont c’était la seule occasion de se rendre à la grande ville (1). La ville et la banlieue y allaient encore plus nombreux. Cette affluence attirait les forains, les banquistes, les saltimbanques, sachant que leurs recettes seraient fructueuses. Les parades étaient nombreuses devant les établissements et finement menées par les lutteurs, les dompteurs et même par ces petits théâtres qui revenaient chaque année et auxquels les Rouennais étaient habitués. Certains avaient surtout une clientèle enfantine. Il s’agissait de théâtres de marionnettes en bois, qui avaient l’avantage de ne pas payer de droits d’auteurs ni de redevances locales pour les pauvres. Il y eut notamment un ou plusieurs théâtres qui jouaient uniquement une Tentation de saint Antoine. Ce petit spectacle s’est maintenu jusque vers 1930, ce qui indique bien qu’elle répondait à une vieille habitude. Les grands-parents et les parents y conduisant leurs descendants pour leur transmettre les émotions de leur jeunesse. Des adultes y revenaient avec plaisir. Georges Dubosc, qui recueillit l’anecdote du possesseur de ce petit théâtre, rapporte qu’ayant été averti de la présence de Flaubert dans sa baraque, celui-ci « avant que le rideau s’élevât sur le décor de l’ermitage, s’avança jusqu’à la rampe et, après avoir fait les trois saluts comme à la Comédie-Française, prononça ces mots : « Mesdames, Messieurs, l’auteur est dans la salle et nous fait l’honneur d’assister à la représentation de son œuvre ! » Jamais Flaubert ne fut si heureux ! Il retournait voir la Tentation et y conduisit Tourgueneff, Feydeau et George Sand, grand amateur de marionnettes et qui en avait un théâtre à Nohant, toujours conservé et visible. (2) Aussi, ne doit-on pas être surpris que ceux qui se sont intéressés à la petite histoire théâtrale rouennaise en ont toujours parlé comme un élément majeur et avec beaucoup de tendresse, comme un rappel de leur verte jeunesse, dans les journaux de la ville, qu’ils se soient appelés Georges Dubosc, Ernest Morel, Georges De Pulmain (3).

Un livret ancien a dû servir de support à ces théâtres de marionnettes s’installant dans toutes les foires importantes de la région et que les montreurs devaient modifier à leur guise, selon leur fantaisie, pour susciter l’enthousiasme de leur jeune auditoire. Ces livrets étaient édités à Metz, avant la Révolution, par les imprimeurs Gaugel et Didon. Son auteur devait être Le Bailly (4). Cette pièce fut jouée à Versailles sous Louis XVI, ce qui témoigne qu’elle plaisait aussi dans des milieux plus raffinés. Bien avant, un mystère fut joué sous ce titre à Compiègne, à la fin de la guerre de Cent Ans. La tentation de saint Antoine a donc eu une fort longue tradition dans notre pays, sous une forme théâtrale.

Un couvent des Antonins a existé à Rouen depuis 1397 et ce monastère possédait une relique importante, un bras de saint Antoine le Grand sur lequel assure-t-on, les nouveaux conseillers au Parlement prêtaient le serment d’usage. Il semble bien qu’au Moyen Âge, comme à Paris, et pour des raisons analogues les Antonins laissaient divaguer librement leurs porcs dans la ville alors entourée de remparts. Ils y trouvaient dans les détritus dont les rues étaient parsemées une grande partie de leur nourriture, ce qui constituait une économie sensible pour leur monastère. Ils élevaient des porcs en quantité.  À partir de leur graisse, ils fabriquaient des onguents efficaces pour de nombreuses maladies de la peau, ce qui était à la base de leur réputation. On allait se faire soigner chez eux à peu de frais et le soutien populaire qu’ils ont toujours eu tient à leurs soins. Saint Antoine et les Antonins ont toujours été respectés et si la légende attribue un cochon pour compagnon au saint, elle paraît plus que douteuse, à cause de la brièveté de sa vie et de l’impossibilité de suivre normalement le saint dans ses nombreux voyages pour visiter ses monastères égyptiens.

La vie contrariée de ce saint, ses multiples hallucinations, ses tourments, ses combats victorieux contre les attaques subtiles du Malin, plaisaient aux milieux populaires d’alors qui croyaient fermement au diable. Il était un saint sympathique et proche d’eux. En 1796, après la Terreur, une Tentation de saint Antoine du Rouennais Leudet fut jouée plusieurs fois au théâtre des Arts ; son livret, s’il fut publié ne nous est point parvenu. On sait seulement que l’enlèvement du cochon, au milieu d’un feu d’artifice et de pétards, constituait la partie finale et attendue de ce spectacle. On y monta également une autre Tentation, sorte de ballet-féerie écrite et réglée par Halévy. Elle parut moins intéressante aux spectateurs que celle donnée habituellement à la foire. Avant 1828, elle fut encore jouée à Rouen, rue des Champs, par Duchesne dont la publicité se trouvait réduite dans ce quatrain :

On joue la comédie.

Par des hommes de bois,

Le Diable est en furie.

Saint Antoine aux abois.

 À la même époque, la famille Radoux, originaire de Caudebec-en-caux, qui avait cru bon d’italianiser son nom en Raddutti, pour mieux impressionner sa clientèle, dans son petit théâtre installé rue des Maillots-Sarrazin, à Rouen, la joua également. Il y a donc eu une longue tradition à son égard dans cette ville, comme ailleurs probablement. Cette pièce reprise et jouée par des troupes différentes a toujours connu un succès marqué, probablement à cause de ce cochon sans souci contrastant avec son possesseur et à qui on brûlait la queue ; pièce bouffonne en somme et de caractère rabelaisien.

Or, de toutes les troupes qui la jouèrent à Rouen, celle du père Legrain (5) est demeurée la plus attachante dans le souvenir local. Il joua cette Tentation avec fidélité pendant plus de quarante ans jusqu’en 1885, Son fils aîné racheta alors l’entreprise de son père avec tous les accessoires ainsi que la tente pour 800 francs à la salle des ventes et il continua de la donner longtemps dans les deux départements voisins. Il la céda à Philippe qui la tint jusqu’à 1935. Cette baraque aux treillages verts, pouvait contenir une soixantaine de places et les spectateurs s’asseyaient sur des bancs de bois. Des membres de notre association se souviennent d’y avoir été conduits par leurs parents ; ce spectacle durait une quinzaine de minutes environ et se terminait par la traversée rapide du cochon qui se sauvait, la queue enflammée par un pétard : c’est tout ce qu’ils conservent de leurs souvenirs d’enfance.

Le père Legrain, familièrement appelé le père Saint-Antoine, avait été régisseur de l’établissement de Toussaint-Baubet pour banquets, réunions de famille, bals, fêtes en plein air et ascensions de ballons sur l’île Lacroix qui fut longtemps au XIXe siècle une sorte de petit Montmartre au bord de l’eau. Son patron l’avait incité à monter ce spectacle vers 1845. Maupassant y est venu avec Bouilhet, son correspondant du dimanche, alors qu’il était lycéen et sans doute avec Gustave Flaubert. Il est naturel de retrouver dans le livret de la foire ces paroles désabusées de saint Antoine :

Messieurs les démons.

Laissez-moi donc !

Messieurs les démons.

Laissez-moi donc !

Empruntées à un pot-pourri de Sedaine et que Flaubert a reprises en épigraphe pour ses deux premières versions, mais qu’il a abandonnées pour la troisième. La véritable genèse de la Tentation, sa filiation, se rapportent à la foire Saint-Romain. Flaubert, collégien, n’a sans doute pas connu le chahut annuel qui irritait si fort le père Legrain. Des textes sont fort précis sur l’invasion de ce petit théâtre : par les lycéens durant les vacances de la Toussaint et quelques jours plus tard par les élèves de l’école des Beaux-Arts, lesquels se terminaient naturellement pour quelques-uns au poste de police, dont ils tiraient quelque fierté.

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Le saint Antoine de la Tentation ressemble fort peu à celui de l’histoire ecclésiastique des saints et des bienheureux (6). Des Antoine nombreux ont peuplé le paradis des catholiques. On en relève quarante-cinq dont vingt et un bienheureux, quatorze martyrs, trois patriarches, deux archevêques, deux ermites, deux moines et un seul prêtre. Le plus marquant, celui qui nous intéresse, est désigné sous le titre de saint Antoine le Grand, dont la fête se célèbre le 17 janvier. Il est considéré comme le patriarche et l’organisateur des cénobites et des religieux. Sa vie, son action, ses luttes contre les tentations humaines nous sont parvenues par les écrits d’Athanase, son contemporain. De lui, on ne connaît que deux lettres de caractère religieux et la règle sévère qu’il imposa aux monastères qu’il créa. Le futur saint naquit en l’an 250 de notre ère, en Égypte, près d’Héraclée entre le Nil et le lac Moeris. Il mourut en 356, à l’âge de 105 ans, un bien surprenant miracle vital. Son corps fut retrouvé quarante ans plus tard et transporté à Alexandrie, la ville la plus intellectuelle de l’ancienne Égypte. Un siècle plus tard, ses ossements furent transportés à Constantinople, où ils restèrent tranquillement pendant trois siècles : les Musulmans avaient remplacé les petits groupes chrétiens sur les rives d’Asie et d’Afrique. Enfin, ils furent amenés en France par Jocelin en 1069, à la Motte Saint­Didier en Dauphiné, qui depuis s’appelle Saint-Antoine en Viennois. Ce bourg à flanc de coteau est impressionnant. L’abbaye construite en pierre tendre survit dans son curieux aspect architectural et son hôpital voisin qui fut célèbre dans tout le Dauphiné, demeure discrètement aujourd’hui le noviciat des Antonins. Cet ensemble est dû aux dons et libéralités des malades venus implorer le saint dans leur détresse. C’est ainsi que depuis dix siècles, cet Égyptien est devenu Français et s’y maintient.

Les parents d’Antoine le Grand étaient nobles, riches et catholiques. Ils se chargèrent eux-mêmes de son éducation, lui évitant le contact avec les autres enfants non chrétiens. Comme Jacob, il demeura à la maison paternelle et n’étudia pas les sciences et la langue grecque considérées comme la base de toute éducation sérieuse. Il n’avait pas vingt ans lorsqu’il perdit ses parents, restant avec une jeune sœur dont il devait assurer l’éducation. Six mois plus tard, priant dans une église, ce fervent chrétien entendit ce passage évangélique qui le secoua : « Si vous voulez être parfaits allez vendre ce que vous avez, donnez-en le prix aux pauvres et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez-moi ». Il désirait vivre plus parfaitement avec ses convictions et s’y appliqua sans tarder. Il partagea trois cents aroures (150 ha) de bonne terre qu’il possédait ainsi que son cheptel et ses esclaves, vendit ses meubles et en versa le montant aux pauvres, sauf une somme d’argent qu’il conserva pour l’avenir de sa jeune sœur. Une autre fois, il entendit encore dans une église ce verset de Mathieu : « Ne vous mettez pas en peine du lendemain » ce qui le décida à confier sa sœur à des femmes vertueuses. Il quitta alors son village donnant ses derniers biens à ses voisins. Ainsi volontairement dépouillé de tout bien terrestre, son souci de recherche de la pauvreté s’apparente au christianisme primitif que les derniers synodes essaient de remettre en faveur.

Il n’y avait pas alors de monastères en Égypte, mais seulement quelques ermites vivant dans des grottes, face à des populations demeurées profondément païennes. Antoine parcourut l’Égypte à la recherche d’hommes de grande vertu. Il s’attacha à un vieillard fort savant, visita d’autres ermites, les écoutant avidement pour bénéficier de leur science, travaillant de ses mains pour éviter l’oisiveté. Des chrétiens admiratifs l’avaient surnommé le « déicole », c’est-à-dire celui qui aime et honore Dieu.

Seulement, l’histoire ecclésiastique est avant tout apologétique et doit l’être pour frapper et attirer par de grands exemples de nouveaux adeptes, en présentant des vies exemplaires. L’histoire d’Antoine le Grand n’y échappe certainement pas. L’esprit du mal, le Malin, le diable ennemi subtil des véritables chrétiens, résolut d’attaquer Antoine par tous les moyens possibles. Il était homme et sujet à toutes les pulsions animales de sa bouillante nature. Il lui fit reprocher d’avoir abandonné le monde, d’avoir laissé sa sœur et il lui présenta sous de sombres couleurs son stupide genre de vie pour un jeune homme, avec la complicité d’une jeune effrontée. Antoine se montra plus fort que tous et déjoua les stratèges, « ayant en tête la pensée des flammes de l’enfer et du ver rongeur qui torture les damnés ». Il se forgea des armes secrètes et puissantes selon son historiographe, à savoir « l’oraison fervente, les veilles prolongées dans la prière, les rudes macérations pour se fortifier à l’égard de Satan, qui lui apparut dans ses hallucinations sous la forme d’un enfant maure ou nègre, l’ami des plaisirs, l’esprit impur » : il le repoussa. Antoine se tint sur ses gardes ; il traita son corps avec une extrême rigueur, ne mangeant qu’un peu de pain assaisonné de sel, ne buvant que de l’eau pure, une fois seulement le soleil couché, restant de temps à autre deux ou trois jours sans ne rien absorber. Son lit de repos était une natte de jonc ou la terre nue et il utilisait un cilice pour mieux se mortifier. Jugeant que sa cellule n’était pas suffisamment solitaire, il disparut complètement du monde, se réfugiant dans des grottes funéraires préparées et utilisées anciennement par les Égyptiens. Un ami sûr venait le visiter de temps à autre pour lui apporter des aliments. Bien entendu, Satan devait le retrouver et il l’assaillit avec une troupe effrénée de jeunes démons, se jetant sur lui, l’accablant de nombreux coups qu’il demeura sur le moment inerte et sans voix. Son ami le découvrit le lendemain sans mouvements et l’emporta au village le plus proche. On le crut mort. Il ouvrit finalement les yeux et demanda avec insistance qu’on le ramenât dans son tombeau. Les démons surexcités par le dépit et la fureur pour sa ténacité prirent la forme d’animaux sauvages et de reptiles faisant irruption dans la caverne et le menaçant. Il leur dit avec douceur : « Si vous aviez quelques pouvoirs, un seul d’entre vous suffirait pour m’abattre, mais comme le Seigneur-Dieu vous a enlevé votre force, vous essayez de m’éprouver par le monde. Si vous ne pouvez rien, il est inutile de mener si grand bruit.  À quoi bon de vous tourmenter en pure perte : le signe de la croix et la foi en notre seigneur Jésus-Christ sont des remparts inexpugnables ». Jésus, enfin, lui apparut et lui dit : « Puisque tu as résisté avec tant de courage et que tu n’as pas été vaincu, je serai désormais ton défenseur et je rendrai ton nom célèbre par toute la terre ». Antoine avait alors trente-cinq ans. Abandonnant le vieillard ami qui lui était cher, il s’achemina seul dans le désert où le démon toujours présent lui créa de nouvelles embûches. Il trouva un vieux château abandonné, en expulsa par ordre tous les serpents et reptiles venimeux, dressant une clôture solide. Des foules vinrent la briser et sa réputation s’étendit au loin, accomplissant des miracles. II fonda des monastères à Pisper et à Arsinoé, d’où sa considération de créateur de couvents. Hilarion fut son disciple. Il visita les religieux, leur ordonnant la lecture et les oraisons, les jeûnes et les veilles ainsi que le travail manuel. Finalement, il s’installa au Mont Calzin dans une petite caverne, cultivant son jardin souvent ravagé par les animaux du désert. Il retrouva finalement sa sœur et guérit de nombreux malades. Enfin, il mourut en l’année 356, ayant vécu quatre-vingt-cinq ans dans une continuelle austérité. Ne connaissant que la langue copte, ignorant tout des sciences grecques, il s’en remettait uniquement aux Évangiles, ce qui constitue son originalité, exprimant de cette manière l’idée que le vrai savoir appartient aux gens simples. Certes, l’histoire ecclésiastique a embelli sa vie et ne convient plus aux esprits cartésiens, mais saint Antoine représente en esprit la volonté de combattre et de maîtriser le mal sous toutes ses formes, et aussi la vie ardente d’un croyant refusant la vie ordinaire du plus grand nombre, luttant sans cesse contre les instincts les plus naturels. En un mot, il est le symbole d’une vie austère. Son culte s’est longtemps confiné en Orient. Son développement en Occident remonte seulement au transfert de ses ossements à Saint-Antoine-en-Viennois. Aucune tradition du cochon comme compagnon, dans la tradition catholique. Elle est plus tardive et elle semble due à la propagation de la Légende Dorée, écrite en 1220, et qui fut l’un des maîtres livres de la fin du Moyen Age. Les peuples aiment les légendes savoureuses si bien que finalement les imagiers ont représenté saint Antoine accompagné d’un cochon. Il en est ainsi dans la belle statue de Saint­Antoine-en-Viennois. Maupassant a repris le conte et la légende dorée dans sa nouvelle. Les saints familiers et implorés apparaissent plus sympathiques et plus humains quand un animal les accompagne semblant mieux comprendre les problèmes pour les résoudre (7).

Saint Antoine fut très imploré et particulièrement pour la guérison du mal sacré qu’on lui attribue et pour les différentes maladies de la peau, avec l’aide de différentes pommades adoucissant la douleur (8). Elles étaient composées à partir de la graisse de porc comme base, d’où la nécessité d’avoir des troupeaux de porcs en quantité pour la préparation de ces onguents.  À Saint-Antoine-en-Viennois, à Paris, à Rouen, les religieux antoinistes en élevaient, les laissant vagabonder. Pour ce traitement de faveur, les moines devaient leur mettre une clochette autour du cou que l’on retrouve sur les statues. On assure qu’à Paris, un cavalier et non pas le fils du roi Louis Vl le Gros, mourut sottement d’une chute de cheval, parce qu’un porc effrayé s’était jeté entre les pattes de sa monture et l’avait fait tomber brutalement. Furieux de la mort de son ami, le roi interdit par un édit le vagabondage des porcs dans la ville, ce qui ne faisait pas l’affaire des Antoinistes, à cause de la nourriture gratuite qu’ils en recevaient. Sa colère apaisée, il écouta leurs suppliques et leur accorda, mais pour eux seuls, la liberté de divagation de leurs porcs dans les rues de Paris, à la condition de porter une clochette autour du cou, pour avertir la population et les cavaliers de leur présence. Pour certains, la vie gloutonne du cochon s’oppose à la frugalité du saint, et la clochette apparaît comme un signe de soumission.

La tentation de Flaubert dérive en partie de la tradition catholique mais aussi des croyances populaires. La présence du cochon dans les premières versions en apporte une preuve ; Flaubert connaissait l’un des théâtres de la foire Saint-Romain. Il est bon d’ajouter que lors de son voyage en Italie en 1845, il avait vu au palais Balbi Sanagara de Gênes, un tableau de Breughel qui fut pour lui un rappel et un choc. Il en a parlé dans une de ses lettres à Ernest Chevalier : « J’ai vu un tableau de Breughel représentant la Tentation de saint Antoine, qui m’a fait penser à arranger pour le théâtre la Tentation de saint Antoine, mais cela demanderait un autre gaillard que moi ». Il a alors vingt-quatre ans, et il exprime la difficulté de mener à bien cette tâche. Il acheta également la gravure de Callot composée à Florence en 1627 et qu’il eut sous ses yeux constamment. Il lui attribuait un art satanique d’inspiration médiévale et nordique. Le sombre tableau de Bosch, au musée de Rotterdam, est aussi troublant. C’est un sujet qui a donc inspiré de nombreux peintres et graveurs.

Méticuleux dans la recherche, soucieux dans la précision, la première version comptait 541 feuillets manuscrits, qui furent écrits rapidement, aussitôt la mort de son ami Alfred Le Poittevin, entre le 24 mai 1848 et le 12 septembre 1849. Ses deux censeurs, Bouilhet et Maxime du Camp, lui conseillèrent de ne pas la publier, à cause de son accent trop lyrique, qui n’était plus de mode. Il la remisa mais ne la brûla pas. Il se mit alors à écrire Madame Bovary. Celle-ci terminée, il la reprit en 1856, l’allégeant au possible. Elle ne compta plus que 193 feuillets. La version définitive, la seule connue de son vivant, fut reprise après la publication de l’Éducation Sentimentale en juin 1869. Il écrivait alors à la princesse Mathilde « J’ai repris une vieille toquade, un livre que j’ai déjà écrit deux fois et que je veux refaire à neuf, c’est une extravagance complète, mais qui m’amuse ». Elle était différente des deux autres et ne compta plus que 134 feuillets. Cette ténacité dans son remaniement marque bien la volonté de Flaubert de la publier une année ou l’autre. Certains sujets ont disparu, notamment ce cochon qui avait assuré au théâtre son long succès. Recomposée entre 1869 et le 5 juin 1872, elle connut seulement une marque d’estime, fort limitée, permettant une seconde édition six semaines après et une troisième l’année suivante : c’était loin de l’enthousiasme de Madame Bovary. Les critiques des journaux, peu habitués à ce genre d’ouvrage, se montrèrent fort réservés à son égard, ce qui l’ulcéra et aggrava sa misanthropie pour ce manque de compréhension. La Tentation fut toujours son ouvrage le moins lu et le plus déroutant. S’il l’avait écrit en prose comme un conte, au lieu de lui donner une formule à la fois théâtrale et mystique, son succès eût pu être différent. Il faut avoir une volonté bien armée pour lire à la suite les trois versions, dont les deux premières furent seulement publiées en 1908 et 1910. C’est le seul moyen de suivre l’évolution de sa pensée. Chacune fourmille d’excellents tableaux. La meilleure critique est celle de Charles Daudet qui les a consciencieusement étudiées. Pour lui, la seconde version a encore conservé un style aussi coloré que la première mais moins exubérante. La fougue généreuse de la jeunesse est passée. Flaubert a appris à discipliner son style, son imagination est moins débordante. La troisième version compte des tirades plus réduites, les phrases sont plus courtes et admirablement rythmées : c’est du vrai Flaubert. Cependant, l’ouvrage a perdu son côté truculent que le cochon apportait par ses soliloques. Il y manque ce qui lui donnait un air de vie et de gaieté. Que serait Don Quichotte sans son fidèle Sancho ? Que peut être saint Antoine sans son compagnon d’infortune ?

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Naturellement, cette œuvre étrange, souvent déconcertante et que Flaubert aurait tant voulu réussir, a attiré l’attention des chercheurs. Il y est revenu avec opiniâtreté durant une période de vingt-cinq ans, presque la moitié de sa vie. Alfred Lombard publia une critique poussée sur Flaubert et saint Antoine, revenant maintes fois sur l’idée d’obsession qui l’a longuement tourmenté et dont il voulait se débarrasser d’une manière ou d’une autre sans le satisfaire vraiment. Nous entrons ainsi dans le domaine mouvant et plus ou moins controversé de la psychanalyse. La tentation dut être pour lui le « divan » de la confession intérieure. D’ailleurs, une étude sur ce sujet a paru fort tôt dans ce domaine. Reik, un des premiers disciples de Freud, a analysé sous cet angle les trois versions. À son avis, Flaubert avait une mentalité d’obsédé, étant sujet aux angoisses, ce qui ne surprend pas lorsque l’on se rappelle les crises d’épilepsie dont il fut victime au cours de sa vie, craignant qu’elles le surprennent en public d’où, probablement, son besoin prolongé et recherché de solitude, de vivre à l’écart des humains comme un ermite à Croisset, d’une certaine façon à la manière d’Antoine. Le saint Antoine de la légende est souvent lui-même dans un autre temps et un cadre différent, avec un besoin qui n’est plus de foi ardente, de combat contre des fantômes, mais de raisonnement railleur et de foi littéraire. Il a écrit en 1852 et on peut le croire « J’ai été moi-même dans saint Antoine, le saint Antoine et je l’ai oublié » : un aveu psychanalytique à ne pas négliger. Comme beaucoup de sujets dans son cas, il se défoulait par un phénomène de ludisme, accompagné d’un personnage singulier qui avait survécu en lui à sa petite enfance. Cette théorie du milieu contraire, très apaisante chez certains sujets, s’est manifestée chez lui par le « Garçon », personnage imaginaire, dont il est question sous une forme gaie dans ses lettres adressées à sa sœur Caroline. L’ancien étudiant de Charcot à la Salpêtrière, Sigmund Freud, s’est également intéressé au cas de Flaubert, justement à cause de la Tentation de saint Antoine. Il la compare avec Don Quichotte de Cervantès. Son biographe Ernest Jones écrit à ce propos : « Les deux œuvres qui firent sur lui la plus grande impression sont Don Quichotte et la Tentation de saint Antoine. Dans sa jeunesse, il avait lu le livre de Cervantès. Son ami Herzig venait de lui offrir (à Paris) un luxueux exemplaire, illustré par Gustave Doré. Il avait toujours aimé les contes et en les réalisant, il découvrit qu’ils sont ce qu’il connaît de plus attrayant et de plus savoureux ». Il adressa un exemplaire de Don Quichotte à Martha Bernays, sa fiancée autrichienne, et entre autres commentaires, il lui écrit : « N’est-il pas très touchant de voir un grand homme lui-même idéaliste (Cervantès) se moquer de ses idéaux. Avant d’avoir la chance de comprendre la profonde réalité de notre amour, nous avons tous été de nobles chevaliers parcourant le monde pris dans un rêve, interprétant de travers les faits les plus simples, transformant les platitudes en choses nobles et rares et faisant ensuite triste figure. C’est pourquoi nous autres hommes lisons toujours avec le même respect les descriptions de ce que nous fûmes jadis et de ce que nous sommes partiellement restés… »

La tentation de saint Antoine suggéra à Freud de nombreuses réflexions. Il la lut à Gauden, au cours d’un voyage fait avec son ami Brauer, et il en acheva très ému la lecture le jour suivant, écrivant à sa fiancée : « Je me sentais déjà profondément touché par le magnifique panorama et pour couronner le tout je lus ce livre qui, de la façon la plus condensée et avec une rigueur incomparable, jette à la tête des gens toutes les corruptions du monde. Il évoque, en effet, non seulement les grands problèmes de la connaissance, mais les vraies énigmes de la vie, tous les conflits de sentiments et d’impulsion, il renforce la prise de conscience de notre perplexité en face du mystère qui enveloppe toute chose. Ces questions, il est vrai, se posent partout et toujours et l’on se dispense d’y songer. Mais chacun se contente de se fixer tous les jours et à toute œuvre, un objectif restreint. Nous nous habituons à croire qu’il ne faut penser à la solution de ces énigmes qu’à certains moments bien déterminés, que celles-ci n’existent qu’à ces heures-là ; mais alors, elles nous assaillent soudain le matin en nous dérobant quiétude et courage… » Il la compare à une nuit de Walpurgis, en faisant toutefois observer pour finir que « ce qui frappe surtout, c’est la vivacité des hallucinations, la façon dont les impressions sensorielles surgissent et se transforment pour disparaître tout à coup ». Freud, comme médecin, rappelle que Flaubert était épileptique et lui-même sujet à des hallucinations. Il avait pour Flaubert une grande admiration pour son intuition et son imagination (9).

Pour Flaubert, les sources d’inspiration littéraire paraissent nombreuses. Avec certitude, le Goethe de Faust traduit par Gérard de Nerval en 1828 et que tous les jeunes romantiques, au nombre desquels se plaçait Flaubert, ont lu avec ferveur, probablement le Caïn de Byron traduit en 1823, l’Avashérus d’Edgar Quinet paru en 1833. Il est bon aussi d’y ajouter l’Âne d’or d’Apulée. Si bien que cette Tentation de saint Antoine, dont Flaubert a su faire tenir l’intrigue en une seule nuit, suite de rêves, d’apparitions, d’hallucinations, apparaît à Alfred Lombard comme le « témoignage le plus considérable et le plus singulier de l’état d’esprit de ces penseurs du XIXe siècle qui ne croyaient plus à rien et qui se donnaient une peine infinie pour retrouver les états d’âme des croyants…, c’est notre seul poème philosophique, le seul où une esthétique sort associée et adaptée à une vie scientifique des choses… ». Flaubert, fils d’une longue lignée de vétérinaires et de médecins, avait un atavisme marqué et une prédisposition médicale : la recherche scientifique du diagnostic et le regard pénétrant des médecins en face de leurs malades.

On se souvient que Flaubert eut une admiration profonde et continue pour les poèmes de Leconte de Lisle : « Splendides et monotones, assure encore Lombard, d’un abord si dur qu’on les croit inhumains et qui ont cependant une vertu réconfortante. Ils délivrent au sens d’Aristote et de Goethe, tous ceux qui ayant pris une vue d’ensemble de l’histoire, ne dégagent pas de son tragique nihilisme dans la vie active ». Envisagée sous cet angle philosophique, la Tentation de Flaubert s’apparente à l’œuvre poétique de Leconte de Lisle. Flaubert est cependant moins impassible que lui. L’Orient qui l’avait déjà fasciné avant de le connaître est plus vivant dans la Tentation portant même une saveur discrète de raillerie rabelaisienne.

Comme dans Don Quichotte, deux personnages jouent un rôle principal, le pour et le contre, la thèse et l’antithèse : l’idéalisme forcené avec Antoine dont la recherche inutile et jamais satisfaite fait toujours souffrir et le matérialisme satisfait du cochon qui dort tout en grognant. Pour quelles raisons Flaubert, à notre regret, a-t-il cru bon de le faire disparaître dans sa version définitive ? Est-ce le souci de se cadrer davantage avec les thèses ecclésiastiques et leur histoire et de s’écarter des thèmes du théâtre populaire des foires ?

Quels enseignements les lecteurs peuvent-ils en tirer ? Le saint Antoine recherchant la perfection évangélique en vue d’une récompense à cause de ses souffrances et seulement après sa mort, contraste avec la vie matérielle des humains. Martyr volontaire et héros pour l’Église, exemple peu suivi. Vivre comme saint Antoine, volontairement, paraîtrait absurde de nos jours. Résister aux tentations, combattre les hallucinations et vaincre est difficile.

Finalement, le saint Antoine imaginé par Flaubert n’est pas très éloigné de l’ermite volontaire de Croisset sur le plan intellectuel. Il rechercha la perfection de son style et il n’y parvint que difficilement, sans s’en montrer véritablement satisfait. L’image religieuse de saint Antoine n’est pas éloignée de l’image littéraire de Flaubert. Il faut sans doute voir cette œuvre de Flaubert comme une sorte de délivrances selon les théories psychanalytiques.  Elle se comprend mieux sous cet angle et à d’autres que nous, plus avertis sur la question, de la décrypter. Il ne l’a pas repris par trois fois sans raison, comme une obsession personnelle dont il cherchait à se débarrasser en l’expliquant et en s’en moquant. Sa publication l’a­t-elle finalement soulagé et libéré ? D’autres soucis d’ordre financier sont venus ensuite et qui l’ont plongé dans d’autres problèmes. Œuvre orientale avant tout, mais née avec les marionnettes de la foire Saint-Romain au temps de sa jeunesse et qu’il a refait à sa secrète image.

André Dubuc

(1) Quoique mâtiné de Champenois, Flaubert est un excellent Normand qui, sous aspect prudent et précautionneux, savait se comporter gaiement en société et ne dédaignait pas les bains de foule : telle la foire Saint-Romain. Ne pas aller une fois à la Saint-Romain était contraire à tout principe, fût-on riche ou pauvre. Le cidre doux et le hareng de Dieppe grillé étaient pour les moins riches un plaisir inégalable Les parades, les lutteurs, les ménageries, les phénomènes étaient recherchés. On s’amusait follement à la foire qui n’est plus que l’ombre prolongée de ce qu’elle fut et qu’elle était encore avant 1939. Aussi, ne doit-on pas être surpris que quelques anciens Rouennais aient écrit longuement sur elle. Le dossier foire Saint-Romain (A-Z) à la Bibliothèque Municipale en contient un grand nombre. Ernest Morel écrit en 1910 : « Un autre forain auquel il nous faut payer le tribut d’un souvenir mélancolique, c’est l’excellent père Legrain… Il fallait l’entendre annoncer son spectacle de cette voix quasi fantomale qu’un demi­-siècle de boniments avait incurablement enrouée. Après avoir énuméré les diverses performances de ses marionnettes, il achevait d’enthousiasmer son auditoire de moutards en déclarant : « La représentation sera terminée par la grrrrande « Ten­tation de Saint-Antoine », pièce de féerie diabolique en quatre actes et quinze tableaux avec décors, costumes, accessoires, métamorphoses, pièces d’artifices, flam­mes de Bengale et autres stratagèmes analogues au sujet ». Et quels souvenirs « …C’était en particulier une sorte de pèlerinage obligatoire pour les élèves de l’ancienne Académie de Peinture et de Dessin, au sortir des cours du soir, ils s’y rendaient en foule et ils n’étaient pas les moins bruyants des spectateurs. Souvent, il fallut requérir des soldats au poste Beauvoisine pour les expulser de la loge où ils menaient un grand tapage. Il nous souvient d’une certaine soirée où le peintre Zacharie laissa une poignée de son abondante barbe blonde aux mains de ses camarades, le peintre Édouard Charpentier… » Et Georges Dumesnil, futur professeur de philosophie à la Faculté de Grenoble, ancien élève du lycée Corneille, vers 1870 : « Nous allions à Saint-Antoine pour y faire un chahut… la représentation n’allait pas loin. Nos hurlements, nos imitations de cris d’animaux couvraient la voix des marionnettes. Je revois à peine quelques pupazzi s’agiter un moment éperdus sur la petite scène et disparaître épouvantés dans les coulisses… Les plus mauvais garçons avaient apporté dans les poches de leurs tuniques des « douillons », grandes poires cuites enveloppées dans la cuirasse d’une pâtisserie formidable. Ils commençaient de les lancer contre le théâtre… Le père Saint­Antoine, ainsi nous le nommions s’élançait près de la rampe à la place de ses marionnettes et d’une bouche édentée et noire qui, par moments, demeurait ouverte sans rien pouvoir proférer avec l’excès de la fureur. Il nous couvrait d’injures, de menaces, nous annonçant que nous ferions le désespoir de nos familles, remuait avec violence toutes les ressources du pathétique. Les femmes pleuraient. La fille aînée en jupon court et pailletée, la gorge nue, pénétrait dans nos rangs et essayait auprès des grands un autre mode de persuasion moins colère, plus touchant peut-être. Cependant, un sergent de ville entrait et cueillant le premier venu par le collet sur une banquette, le tirait de là et le menait au poste. Toute notre bande, indignée, se précipitait pour le suivre sur les boulevards à travers la ville ahurie et bousculée et nous allions réclamer la victime au bureau de police qui avait la forme d’un temple grec… ». C’était cela la foire Saint-Romain et ce que, devenu adulte, on se rappelait comme une prouesse. Toutes les séances n’étaient pas aussi tumultueuses et l’on dit que Flaubert y conduisit George Sand, grande amatrice de marionnettes.

(2) Dumesnil (R) – Le cochon de Saint-Antoine – (Le Figaro Littéraire).

(3) Voir dossier de la foire Saint-Romain (Bibl. Mun. de Rouen) ; articles de journaux de Georges Dubosc, Ernest Morel, De Pulmain).

(4) Il doit exister un livret de cette édition au Musée des Arts Populaires, à Paris.

(5) Legrain était né à Breteuil en 1821, employé jusqu’à l’âge de 25 ans comme régisseur chez Toussaint-Baudet, il donna son spectacle pendant plus de quarante ans dans une baraque aux treillages verts. Il mit le tout à la salle des ventes, et son fils racheta l’ensemble pour huit cents francs. Le père Legrain n’avait pas fait fortune, mais il avait élevé sa nombreuse famille.

(6) Vie des saints et des bienheureux selon l’ordre du calendrier par les R. R. P. P. Baudot et Chausson (Letouzey et Ané, 1935),tome 1, 17 janvier.

(7) Les auteurs modernes ont abandonné toute cette zoologie fantastique, mais ils ont conservé l’habitude de donner des animaux pour attributs à divers saints : colombe (Saint-Esprit, saint Grégoire-le-Grand, saint Rémi) ; coq (saint Pierre) ; corbeau (saint Benoît) ; cochon (saint Antoine) ; chien (saint Blaise, saint Roch, saint Dominique, saint Godefroy) ; cerf crucifère (saint Hubert, saint Eustache) ; âne (saint Antoine-de-Padoue, saint Philibert) ; agneau (sainte Agnès) ; poisson (saint André, saint Pierre, saint Odon) ; lion (saint Jérôme).

(8) Le patronage de Saint-Antoine a eu un culte à partir du XIe siècle, pour délivrer du mal sacré et d’autres maux semblables (érésipèle, maladies de la peau, gale, démangeaisons, scorbut, peste, varices, furoncles, feu sacré, incendie). Les fermiers, laboureurs, porcherons mirent leurs pourceaux sous sa protection. Les gantiers, tondeurs, tisserands à cause des maladies de la peau ; les charcutiers et marchands de porcs, sans doute à cause du cochon. Les confiseurs et arque­busiers de Reims, les vanniers à cause de son travail au désert (nattes) ; les sonneurs : (clochette du cochon) ; les fossoyeurs (Antoine creusa la sépulture de l’ermite Paul). Plusieurs confréries de pénitents du Nord de la France. Il était et est encore imploré par les personnes qui perdaient un objet pour le retrouver.

Proverbes : (italien) « Il a peut-être dérobé un porc de Saint-Antoine » ; pour un Intrigant : « Il va de porte en porte, comme le pourceau de Saint-Antoine ».

(9) Alfred Lombard : « Flaubert et Saint-Antoine » (Attinger, Paris, 1934). Il donne beaucoup de détails sur Jones, biographe de Freud.