Sur un Colloque Flaubert à Cérisy la Salle

Les Amis de Flaubert – Année 1974 – Bulletin n° 45 – Page 36

Sur un Colloque Flaubert à Cérisy la Salle

(21-28 juin 1974)

Au programme du Centre Culturel International de Cérisy-la-Salle, près de Coutances, en Normandie, figurait cette année un colloque Flaubert. Cette manifestation littéraire était placée sous l’aimable présidence de Christine (sic) Gothot-Mersch, qui avait choisi pour thème central : « La production du sens chez Flaubert ».

Les analyses aussi ingénieuses que subtiles que présentèrent les conférenciers défient, en général, le résumé. Laissons donc parler le calendrier : les titres temporaires et définitifs des communications me semblent d’ailleurs éloquents en eux-mêmes.

 

SAMEDI 22 JUIN

1) « Folie et rhétoricité chez Flaubert », par Shoshana Felman, de Yale Univer­sity.

2) « L’Éducation Sentimentale : articulation et polyvalence du fiasco », par Victor Brombert, de Yale University.

DIMANCHE 23 JUIN

3) Titre proposé : « Le récit d’outre-frontière ».

Titre définitif : « La belligérance du texte », par Jean Ricardou, romancier.

4) « Mots de la politique et politique des mots », par Henri Mitterand, de Paris-VIII.

LUNDI 24 JUIN

5) « La production du sens chez Flaubert : la contribution de Sartre », par Jacqueline (sic) Bem, de la Sorbonne, et Michel Sicard.

6) Titre provisoire : « L’inscription du réel dans le texte flaubertien (Bouvard et Pécuchet) ».

Titre définitif : « L’Ensignement (sic) du réel dans le texte flaubertien (Bouvard et Pécuchet) », par Françoise Gaillard.

MARDI 25 JUIN

7) « Le parcours du Zaïmph (Salammbô) », par Jacques Neefs.

MERCREDI 26 JUIN

Le programme avait annoncé une conférence par Michel Riffaterre, de Columbia University. Pour des raisons de force majeure, celui-ci ne put se rendre à Cérisy, et son absence fut déplorée. Claude Perruchot eut l’extrême obligeance de remplacer la communication de Michel Riffaterre.

8) Le titre de sa conférence fut : « Le style indirect libre ».

9) « Chiffres, dates, écritures, inscriptions dans Madame Bovary », par Jacques Seebacher, de l’Université de Caen.

10) « Les dates dans l’Éducation Sentimentale comme foyers de signification », par Sylvio Yeschua, de l’Université de Tel-Aviv.

JEUDI 27 JUIN

11) « Représentation d’Hérodias », par Raymonde Debray-Genette, de Paris-VIIIe.

12) « Signifiance et insignifiance dans Madame Bovary », par Claude Duchet, de Paris-VIIIe.

VENDREDI 28 JUIN

13) « De la phrase polysémique au livre sur rien : esquisse d’un itinéraire », par Graham Falconer, de l’Université de Toronto.

Comme il ressort du programme ci-dessus, les responsables du colloque s’étaient assurés du concours de faubertistes réputés, d’exégètes chevronnés et de représentants de la jeune critique. Le plus souvent, les exposés portèrent sur un seul ouvrage de Flaubert : l’étude de Shoshana Felman, par exemple, était centrée sur « Les Mémoires d’un fou ». Quelquefois, l’analyse très approfondie se rapportait à un seul passage d’un seul ouvrage : Henri Mitterand détailla un extrait du chapitre II de la deuxième partie de L’Éducation, passage relatif aux « convictions » politiques de Sénécal ; Jean Ricardou, de son côté, décortiqua et démantela, phrase à phrase, mot à mot, phonème à phonème, le passage où l’auteur de Madame Bovary décrit la casquette de Charles, révélant, par ce procédé, des richesses encore insoupçonnées du texte flaubertien ; le fil conducteur de sa conférence était qu’il n’y a pas de description sans récit.

Dans l’ensemble, les conférenciers, qui connaissaient bien le précepte flaubertien selon lequel il est absurde de conclure, se sont gardés de présenter des thèses, des synthèses, des démonstrations formelles ou des conclusions. Ils se livrèrent plutôt à des jeux intellectuels, à des exercices linguistiques, à des analyses stylistiques, à des études très poussées du Seméion. Françoise Gaillard jongla… gaillardement avec le jargon et les néologismes qui lui sont particuliers ; Raymonde Debray-Genette, spécialiste de critique… génétique, lui rendit des points. Lorsque Philippe Hamon joignait ses lumières à celles des autres, c’était un éclatant feu d’artifice sur le mode sémeiologique. Si le langage et la terminologie employés par certains conférenciers ont dérouté parfois quelques participants, il faut tout de même savoir gré aux premiers de s’être attachés aux textes et d’avoir illustré leurs concepts abstraits par des exemples concrets. Les propos quelque peu ésotériques que les conférenciers ont tenus, souvent dans la première partie de leur communication, se sont éclairés par la suite grâce aux exemples, grâce aux références aux textes.

La plupart des participants se sont déclarés très satisfaits du colloque, et je conseille vivement à tous les flaubertistes qui étaient absents — aussi bien qu’à ceux qui étaient présents — de se procurer le texte intégral des conférences et des discussions, lequel paraîtra dans la collection 10/18 dans le cours de l’année 1975. Par la même occasion, je signale que les actes du colloque Flaubert qui a eu lieu à l’Université de Western Ontario, à London, au Canada, en mars 1973, sont sous presse et paraîtront chez Minard, également dans le courant de l’année 1975. Enfin, l’O.R.T.F. a filmé, au cours du colloque de Cérisy-la-Salle, la conférence de Jean Ricardou, et a interviewé tous les conférenciers et un grand nombre des participants. J’espère que lorsque ce bulletin paraîtra, les Amis de Flaubert auront déjà eu le plaisir de voir ce programme à la télévision.

Je ne me dissimule pas le caractère homaisien de ce compte rendu. Je ne résisterai pas pour autant à la tentation d’ajouter quelques mots sur le cadre et l’atmosphère dans lesquels s’est déroulée cette fête flaubertienne. Accourus des quatre coins du monde, les disciples de Flaubert se sont vite reconnus des affinités qui ont provoqué des conversations délectables et ont engendré des amitiés durables. La semaine Flaubert s’est écoulée — trop vite hélas — dans une atmosphère aussi cordiale qu’intellectuelle. Parmi les participants qui ont honoré le colloque de leur présence et qui ont haussé son niveau par leurs interventions, il convient, de nommer : M. et Mme Albérès, Roger Bismut, Pierre Danger, Maurice Delcroix, Philippe Hamon, Shiguehiho Hasumi, William Ireland, Margaret Lowe et le romancier Marcel Séguier.

Mais il serait ingrat d’évoquer cette rencontre flaubertienne sans exprimer notre gratitude à ceux grâce à qui elle fut possible. Fondatrice du Centre, Madame Heurgon ouvre généreusement son beau château XVIIe siècle aux amateurs de culture et aux amis des lettres. Fille du professeur Paul Desjardins, qui avait institué les décades de Pontigny, Mme Heurgon transplanta son cercle littéraire dans son château, en Normandie Occidentale. Cérisy-la-Salle est situé dans un cadre enchanteur. Les participants ont littéralement mené une vie de château. Les mânes de Flaubert ne protesteront pas si l’on ajoute que la nourriture y était aussi variée qu’abondante et délicieuse. Les soirées dans le grand salon du premier étage y furent inoubliables. Longtemps encore nous entendrons résonner les belles et chaudes voix de Jean-Pierre Colle, de William Ireland et de Victor Brombert. Longtemps nous nous souviendrons des parties de bridge agrémentées des régals pianistiques offerts par la jeune Elisabeth Korthal-Altes.

Au nom des « Amis de Flaubert » et pour moi-même, je voudrais exprimer mes félicitations et ma reconnaissance à tous ceux qui ont contribué au succès de ce colloque Flaubert.

 

Anne Srabian de Fabry, King’s College,

London, Ontario, Canada.