Sur André Gide

Les Amis de Flaubert – Année 1974 – Bulletin n° 45 – Page 39

 

Montherlant, Gide et Flaubert

De la correspondance d’Henry de Montherlant avec le critique de lettres Louis Le Sidaner, parue dans la Revue des Deux Mondes, nous trouvons dans une de ses lettres écrites le 5 avril 1928, près de l’oasis de Netta en Tunisie :

« …Chez Gide, j’estime l’homme et particulièrement son courage ; j’ai beaucoup moins d’estime pour l’artiste et l’écrivain, et je ne comprends pas comment il peut exercer une influence, sauf à un point de vue sexuel tout à fait spécial. L’influence (réelle) exercée par Gide est pour moi un mystère, peut-être me rencontrai-je avec lui ; en tout cas je n’ai pas subi la sienne. Je sais fort bien qui m’a réellement influencé parmi les écrivains des XIXe et XXe siècles : Chateaubriand, Flaubert, Barrès, d’Annunzio. Pour les autres, rencontres… ».

Il semble que Chateaubriand et Flaubert ont représenté pour lui la noblesse du style, Barrès le côté nationaliste, d’Annunzio à la fois condottière dans cer­tains de ses actes et la facilité de ses scènes théâtrales et dramatiques.

 

Les Amis de Flaubert – Année 1974 – Bulletin n° 45 – Page  40

Sur André Gide

Lors d’une excursion à Étretat l’année dernière, nous nous sommes arrêtés au cimetière de Cuverville, dans lequel sont enterrés côte à côte, sous une simple dalle plate, André et Madeleine Gide et à la suite d’autres membres des familles Drouin et Rondeaux. À un kilomètre de là, au-delà de la plaine et des champs cultivés, on aperçoit vaguement à travers la double rangée de hêtres sur le « fossé » élevé qui l’entoure, le château où vécut souvent et longtemps Madeleine Rondeaux et son mari. Elle l’avait hérité de ses parents. On se rappelle qu’André Gide fut longtemps un lecteur passionné de la correspondance de Flaubert. Il s’est trouvé qu’une personne âgée avait remis à sa nièce, membre de notre société, des souvenirs personnels que nous croyons utiles de faire connaître pour la petite histoire gidienne.

« Employée des P.T.T. à Criquetot-l’Esneval de 1918 à 1920, au début de ma carrière, j’ai eu l’honneur de compter, parmi les usagers de ce bureau, l’écrivain André Gide qui résidait au château de Cuverville-en-Caux avec Madeleine Gide, née Madeleine Rondeaux.

C’était un homme très froid, au regard grave, le visage austère, ne parlant jamais. Vêtu de sombre, une cape noire avec agrafes d’argent, jetée sur les épaules, coiffé d’un chapeau noir à larges bords « genre avant-garde », comme on disait alors.

Il s’absentait fréquemment pour Paris et je crois aussi en 1919-1920 pour des voyages en Italie.

Durant ses séjours à Cuverville, il venait à pied chaque après-midi apporter son courrier au bureau de Criquetot (distant de trois kilomètres).

Madame Gide ne voyageait pas, elle servait de secrétaire à son mari et s’occupait de la gestion du château et du domaine. Elle venait tous les jours au bureau de poste chercher et apporter le courrier, toujours très aimable.

Pendant la guerre de 1914, le château abritait la famille Drouin, sœur de Mme Gide. M. Drouin était mobilisé à Paris. Le fils ainé Dominique était aux armées ; un autre fils et deux filles au château.

Étretat, proche de 9 km, avait beaucoup d’attirance et j’ai su, en dehors de ma profession, leurs excellentes relations avec le peintre Jacques Émile Blanche qui habitait Offranville.

Les châtelains étaient de religion protestante, mais ils gardaient de bons rapports avec le bon curé de Cuverville-en-Caux, l’abbé Heuzé, décédé très âgé et inhumé dans le cimetière près de son église, ainsi qu’avec l’instituteur Auguste Lechevalier, bien coté parmi les pédagogues… »

M. Lechevalier a publié de nombreux livres pour l’enseignement primaire qui ont connu pour leur simplicité et leur sens de pédagogie pratique un long succès dans les départements normands.

Rendons grâce à Mlle Dehodencq, ancienne demoiselle des P.T.T., de nous avoir restitué avec autant de précision, ces souvenirs de plus de cinquante années, dont les acteurs ont pris leurs places dans l’alignement fort modeste des tombes de ce cimetière de village, au bord des champs.