La pensée de Francis Yard sur Flaubert et le caractère visuel des Normands

Les Amis de Flaubert – Année 1974 – Bulletin n° 45 – Page 43

La pensée de Francis Yard sur Flaubert
et le caractère visuel des Normands

Francis Yard, décédé en 1945, est le dernier des grands poètes paysans de Normandie. Ancien instituteur, il est l’auteur de « L’An de la Terre », « Les Goëlands » et il avait une prédilection pour Flaubert. Dans sa correspondance avec Marius Gossez qui fut son meilleur ami et à qui il se confia le plus, nous extrayons pour les fêtes du centenaire de 1921 : « Samedi dernier, grand centenaire de Flaubert. Tout le conseil municipal était au complet. Tous les éternels imbéciles chers à sa gloire ont bu à sa gloire. Ah, délicieux ! ». Sur Flaubert : « Tu me prêtes des admirations un peu gratuites… Flaubert, Maupassant, oui, certes, oh ! oui », et « Je relis Flaubert et ça me fout par terre. Je lis la première « Tentation », éditée par Louis Bertrand. Formidable ! La deuxième est supérieure, certes ! mais, tout de même, quel bouquin que la première ! »

Le Gustave Flaubert de Louis Bertrand est un acte de pitié et d’amour… L’autre jour, dans une rue de Rouen, un mossieu m’a dit que Fanny, de Feydeau était très supérieur à Madame Bovary et que ledit Feydeau avait eu une énorme influence avec Fanny. J’ai tourné le dos sans répondre, mais avec une certaine brusquerie. Encore un ennemi de plus ».

Francis Yard donne à Gossez son opinion sur le comportement des Normands qui semble intéressante pour la connaissance provinciale de l’œuvre de Flaubert. « Nous sommes objectifs, nous les Normands, à la manière de Descartes, pas à celle de Kant (surtout les Normands des terres, pas ceux du fleuve ou de la mer). Nous imitons la nature, nous l’interprétons aussi, mais à notre manière qui est celle de la nature et de l’objet. Nous mettons de l’air dans les choses, mais nous voulons que les choses soient ressemblantes — comme elles sont — et ne t’en déplaise, on arrive à faire beau quand même, avec une accumulation de détails choisis. Un chaume pour nous, c’est de la paille, des brins de paille, quelque chose de léger en soi. Cela a beau faire masse, être même moussu et doré de soleil : pour nous, c’est de la paille, et tu sais, nous la connaissons la paille, nous, les paysans des terres…, nous travaillons, nous savons qu’elle pèse lourd, mais qu’elle est légère. Quand nous peignons des veillottes de blé au soleil, nous voulons faire de la paille, non pas des tas de beurre. Oui, je sais parfaitement que l’on peut donner l’impression de la paille en veillottes avec des empâtements de couleur, des tartines de jaune avec dedans du bleu et du rouge. J’en ai vu… mais j’en ai tant vu aussi de ces veillottes qui n’étaient que des mottes de beurre. Nous n’avons pas de tuile chez nous ou peu, et je le regrette car je trouve que la tuile est admirable en tout temps, au soleil comme à la brume, elle est gaie et chantante au soleil comme du feu, douce et apaisante, intime et caressante dans la brume. Elle invite à vivre — le chaume invite à dormir — la tuile est un casque, le chaume un bonnet ».

Et l’on ne doit pas être surpris qu’objectivement, la vallée et l’estuaire de la Seine aient été la région de l’essor de l’impressionnisme, qui n’est pas éloignée de la manière et du style que Flaubert employait finalement.