Hamilcar dans les premiers chapitres de Salammbô

Les Amis de Flaubert – Année 1975 – Bulletin n° 47, page 13

 

Hamilcar dans les premiers chapitres de Salammbô

De tous les personnages de Salammbô, l’un des plus importants est sans conteste, Hamilcar Barca. Flaubert lui consacre un long chapitre, le septième du roman, et surtout « le suffète de la mer » nous apparaît comme le grand triomphateur de la lutte qui oppose Carthage aux Mercenaires.

Pourtant, Hamilcar n’entre réellement dans le roman qu’au chapitre VII quand sa trirème pénètre dans le port de Carthage. C’est à ce moment que Flaubert va, pour la première fois, nous le décrire, tel qu’il apparaît aux Carthaginois (1).

Nous ne reviendrons pas sur l’aspect physique, le caractère les qualités de stratège, les richesses… d’Hamilcar. Nous nous attacherons plutôt à voir comment il s’est rendu présent au lecteur avant son apparition réelle mentionnée ci-dessus. Il faut dès à présent noter que cette apparition se situe alors qu’environ un tiers de l’histoire s’est déjà déroulé (2).

Salammbô s’ouvre pourtant sur la fameuse phrase : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar ». Incontestablement notre attention est retenue par ce dernier mot, du fait de sa position dans la phrase et de ses sonorités, certes, mais aussi et surtout par tout ce qu’il évoque pour le lecteur. Parce qu’il lui permet de situer mieux, plus précisément, dans le temps et dans l’espace, l’histoire qu’il va lire.

D’ailleurs, tout nous permet de dire que l’ombre d’Hamilcar plane en quelque sorte, sur les premiers chapitres de Salammbô. Nous nous attachons moins aux autres protagonistes de cette histoire car ils sont moins connus, parce que l’écolier que nous avons été se souvient, lorsqu’il est question de Carthage, uniquement, ou presque, d’Hamilcar et de son fils Hannibal. Nous nous attacherons moins à ces autres personnages également car tout semble porter la marque du suffète. Nous sommes chez lui : « les jardins d’Hamilcar », « les cuisines d’Hamilcar ». Tout semble lui appartenir. Tout est imprégné de sa présence puisque son palais ne peut être comparé qu’au seul « visage d’Hamilcar ».

Tout appartient au maître et Salammbô est avant tout présentée comme la « fille d’Hamilcar » qui, essayant d’éviter la mise à sac du palais et de ses dépendances par les mercenaires, rappelle, pour se faire entendre et obéir, que son père est le « suffète Hamilcar », le magistrat suprême à Carthage.

Les autres allusions, contenues dans le premier chapitre de Salammbô, et concernant Hamilcar, permettent de le situer un peu mieux. Il est en opposition avec le parti de la paix qui agit en se « vengeant d’Hamilcar ». Il a eu un passé commun avec les mercenaires qui, à un moment, « se souvinrent d’Hamilcar » et se demandèrent où il pouvait bien être.

Les barbares quittent Carthage pour Sicca. Là, l’ennui va les faire regretter la ville, regretter surtout « le festin d’Hamilcar » et, en ce qui concerne Mâtho, « la fille d’Hamilcar ».

Presque tout chez les mercenaires les oblige à penser au suffète de la mer. Spendius se promène sur un dromadaire « volé dans les parcs d’Hamilcar », auparavant il avait été recueilli par « des matelots d’Hamilcar » alors qu’il s’était lancé à la mer pour quitter la trirème « où il poussait l’aviron » (3).

Passé récent et passé plus ancien renvoient donc, l’un comme l’autre, au personnage d’Hamilcar. Autharite, par exemple, bien avant que l’on sache son nom, est présenté comme le gaulois qui a été « blessé chez Hamilcar ».

Même importance d’Hamilcar chez les Carthaginois où Schahabarim ne veut rien confier à Salammbô, de nouveau mentionnée en tant que « fille d’Hamilcar », car il se souvient des « ordres d’Hamilcar », ordres qu’il craint d’enfreindre.

Et, quand les Barbares reviennent vers la ville, ce qui la domine toujours, ce qui se dresse « plus haut que l’Acropole » comme pour les narguer ou leur rappeler qu’un des acteurs n’a pas encore fait son entrée, c’est toujours et à plusieurs reprises le « palais d’Hamilcar ».

En attendant leur solde devant les murs de la cité, tout comme en contemplant ses palais, les mercenaires ne peuvent que se rappeler « qu’Hamilcar leur avait fait des promesses exorbitantes ».

Il faut noter que l’importance d’Hamilcar décroit peu à peu. Il est nommé douze fois dans les deux premiers chapitres, six dans les deux suivants et seulement deux fois dans les chapitres V et VI. Il est intéressant de remarquer que la dernière mention d’Hamilcar précède de deux paragraphes seulement le chapitre qui lui est consacré. Hamilcar réapparaît alors que le lecteur commençait à l’oublier. Flaubert semble avoir particulièrement travaillé, soigné, l’entrée très théâtrale de son personnage. Il a le « beau rôle », il fallait lui ménager une telle entrée. Sa venue semble souhaitée par tous et surtout par les Carthaginois qui votent, même les membres du parti de la paix, les « holocaustes pour le retour d’Hamilcar » (4).

Ce ne sont pas, je crois, les lecteurs de Salammbô qui se plaindront de ce retour et, pour en savoir plus sur Hamilcar ou tout simplement pour le plaisir de lire ou de relire Flaubert, pourquoi ne pas reprendre son roman au chapitre VII : Hamilcar Barca…

Denis Ballu

(1) Édition « L’Intégrale » page 728.

(2) Dans l’édition citée ci-dessus après 34 pages, le roman en comportant 103.(3) Ibid. page 701.

(4) Ibid. page 727.

Les précédentes mentions d’Hamilcar se trouvent aux pages 694 , 695, 696, 697, 701, 703, 704, 709, 711, 713 , 716, 719 , 727. Rien que la lecture de ces numéros des pages où est nommé Hamilcar confirme ce que nous disions précédemment, à savoir que, au fil des pages, il est de moins en moins souvent évoqué.