Du canotage dans Madame Bovary

Les Amis de Flaubert – Année 1976 – Bulletin n° 48 – Page 36

 

Du canotage dans Madame Bovary

Un de nos correspondants nous a écrit au sujet d’une des phrases de Madame Bovary que voici : « … La barque suivait le bord des îles… Les avirons carrés sonnaient entre les volets de fer ; et cela marquait dans le silence comme un battement de métronome, tandis qu’à l’arrière la bauce qui traînait ne discontinuait pas son petit clapement doux dans l’eau… » (livre III, chapitre III).

Notre correspondant, M. Bastard de Péré, de Bourg-sur-Gironde, est un ancien officier de marine passionné de « marine en bois », aussi s’étonne-t-il de trois mots que la phrase flaubertienne contient et demande si on ne devrait pas lire : « les avirons croisés (ou à manche carré) sonnaient entre les tolets de fer… tandis qu’à l’arrière la bosse qui traînait… ».

Nous avons, bien entendu, recherché des explications et nous croyons que Flaubert, qui d’ailleurs dans sa jeunesse aimait le canotage et remarqua devant sa porte de Croisset les pêcheurs de Seine, semble avoir bien écrit dans ses manuscrits avirons carrés. En effet, la section des avirons, à l’endroit où ils reposent sur le bord de la barque, est carrée, ce qui donne peut-être plus de solidité pour pouvoir faire glisser sur l’eau les lourdes barques de Basse-Seine.

Pour la bauce que M. Bastard de Péré traduit avec juste raison bosse, là aussi le mot est, semble-t-il, orthographié ainsi dans les manuscrits quoique l’écriture de Flaubert soit toujours difficile à lire avec ses multiples ratures, et le professeur d’écriture de Rouen, vraisemblablement Fellacher, qui mettait au net les pages destinées aux imprimeurs, a écrit bauce ; l’auteur n’aimant guère corriger les épreuves avant le permis de tirer.

Plus étonnant est le mot volets. Flaubert dans ses manuscrits écrit tolets ; mais dans l’édition originale de Lévy en 1857 nous lisons tollets avec deux L. La seconde édition de 1858, puis Quentin 1885 et l’édition du « Livre » sortie en 1921 pour le centenaire, recopiant l’édition originale, feront la même faute. Ferroud 1905, Conard 1910 et le travail de Gabrielle Leleu sur les ébauches et fragments inédits recueillis d’après les manuscrits 1936, la Société du Livre d’Art, Imprimerie Nationale 1912, l’édition Henri-Cyral 1927, et celle du Nord 1956, pour n’en citer que quelques-unes, rectifieront et donneront la bonne orthographe.

Il semble alors que Charpentier, dans l’édition de 1874 ou tout au moins dans la définitive de 1919, soit le premier qui ait été victime de la coquille en écrivant volets au lieu de tolets.

L’édition Fasquelle 1928, celle de la Librairie de France dite du Centenaire 1921, celle de Jacques Vautrain 1946 et quelques autres, se fiant sur l’édition Charpentier, ont donc répété l’erreur commise sans chercher le sens exact de la phrase et sans s’apercevoir que le terme de marine était déformé.

Il ne s’agit là que de petites remarques, mais il serait souhaitable que les éditions futures de Madame Bovary impriment les deux mots tolets et bosse qui normalement doivent figurer.

L. A.