Centenaire de la mort de George Sand

Les Amis de Flaubert – Année 1976 – Bulletin n° 49  – Page 3

 

Centenaire de la mort de George Sand

Éditorial

Si 1976 est marqué par le centenaire de la mort de Louise Colet, il est aussi celui du décès de George Sand. Ces deux disparitions ont alors troublé Gustave Flaubert. Il est probable que malgré les souvenirs de la chair, celle de l’insupportable Muse l’aura moins affecté que celle de George Sand, deux mois plus tard, pour laquelle il avait une grande admiration respectueuse pour son talent littéraire. Sa correspondance en témoigne largement.

Il faut donc se réjouir que le département de l’Indre ait joué pleinement son rôle de mécène et qu’il ait tenu que ce centenaire soit longuement et fortement célébré dans les divers lieux aimés de George Sand, et avant tout à Nohant, où elle est née, où elle est morte et enterrée, où elle a vécu presque toute sa jeunesse et les dix dernières années de sa vie. Nous souhaitons que, dans quatre ans, le Conseil Général de la Seine-Maritime se montre aussi empressé moralement et financièrement pour le centenaire de la mort de Gustave Flaubert qui le mérite aussi.

Le programme de ces fêtes est significatif. Naturellement, nous retrouvons en tête des protagonistes notre ami Georges Lubin, lequel avec une ténacité vraiment berrichonne continue la publication de sa longue correspondance qui ne connaît pas les succès d’édition qu’elle mérite. Souhaitons que ce centenaire permette l’impression de la dizaine de volumes qui reste à paraître.

Réjouissons-nous de la reprise de l’association « Les Amis de George Sand » créée autrefois par sa petite-fille Aurore, qui s’était éteinte faute d’animateurs locaux suffisants et qui, en ayant trouvé de nouveaux, paraissent décidés à faire revivre cette société littéraire, analogue à la nôtre.

Durant l’été, de juin à septembre, de nombreuses manifestations se sont suivies à Gargilesse, à Nohant, à La Châtre, à Châteauroux, à Aigurande. Et quel programme varié et de qualité ! Exposition et soirée de chansonniers avec Robert Rocca, sur la chanson populaire au XIXe siècle ; autre exposition préparée par les Archives départementales sur l’Indre au XIXe siècle ; exposition sur Chopin avec le concours de sociétés de Pologne et de Majorque ; hommage de la Pologne à George Sand et fêtes romantiques musicales avec l’œuvre de Liszt, Mozart, Beethoven, Bach et Chopin ; festival de folklore et exposition sur les Maîtres Sonneurs, le compagnonnage et les sociétés secrètes ; congrès international des professeurs d’éducation musicale Willens ; rencontre internationale des maîtres sonneurs de vielles et de cornemuses. Tout le département s’est mobilisé pour rendre cet hommage à la plus illustre femme de la région, en organisant ces nombreuses manifestations et en développant intelligemment son tourisme littéraire en l’axant sur ce centenaire. C’est bien et même fort bien d’avoir honoré avec simplicité et grandeur cette Berrichonne exceptionnelle.

Qui n’a pas lu et même relu, enfant et adulte, quelques-uns de ses romans champêtres, les meilleurs. Georges Lubin, celui qui actuellement la connaît le mieux, rappelle qu’au soir de sa vie, elle a écrit : « Je ne l’ai pas fait exprès. Ils (ses personnages) me sont apparus comme je les ai peints… J’ai peut-être aussi rencontré trop de belles âmes dans la vie réelle et j’ai cru à la droiture, à l’amitié, au désintéressement… Mes honnêtes et purs personnages ne sont pas des abstractions et j’ai remarqué qu’ils étaient toujours acceptés comme possibles par les personnes qui leur ressemblaient.. ». C’était vrai en son temps et dans cette région uniquement agricole de petits fermiers et métayers ; c’était presque encore vrai au milieu de notre siècle, comme cela avait été pour cette châtelaine retirée dans un hameau écarté et s’intéressant à ceux qui l’entouraient et à leurs cas sociaux, comme on dit aujourd’hui. Elle avait connu les misères de la vie, dans les soupentes parisiennes, pour conquérir sa liberté féminine. Elle avait conclu une sorte de contrat social, avec cette population villageoise, en qui continuaient de vivre des coutumes, des habitudes, le respect du travail bien fait et achevé et cette dignité paysanne qui en a toujours fait le charme.

Villageoise, elle le fut toute sa vie, jouant avec les enfants du hameau, comme plus tard Maupassant, citadine avec ardeur dans sa jeunesse, aimant les plaisirs de la ville et surtout les spectacles, elle fut avec ardeur pour l’émancipation féminine. Elle pencha pour l’union libre en réaction au code napoléonien, marqué pour les femmes des contraintes romaines et surtout corses. Elle porta le pantalon masculin pour aller plus facilement au spectacle, ancêtre de tous ces « jeans » propres ou délavés qui ont envahi si rapidement l’Europe. Toutes les femmes de nos jours devraient saluer respectueusement cette pionnière qui a lancé avec le sourire son défi à une société bien fermée et masculine. Pour tous, cette femme qui travaillait la nuit comme Balzac, à la lumière de pâles flambeaux, elle eut ce style unique, différent de celui des autres romancières de son époque, plus monotone et plus mièvre. Elle avait un style presque masculin, mais avec une touche vibrante de féminité et de maternité. On comprend que Flaubert, pointilleux sur ce chapitre, ait eu tant d’admiration pour elle et il était donc de notre devoir de nous associer, dans notre bulletin, à l’esprit de ce centenaire.

A. Dubuc.