Opinion de Mario Vargas Llosa sur des romanciers français

Les Amis de Flaubert – Année 1976 – Bulletin n° 49 – Page 47

 

Opinion de Mario Vargas Llosa

sur des romanciers français

Le nouveau président du P. E. N. club international est Mario Vargas Llosa, romancier péruvien. Il connaît fort bien la littérature française pour laquelle il a une prédilection depuis sa jeunesse. Dans un récent numéro des Nouvelles Littéraires, Ernesto Gonzalès Bermejo (traduction Annie Morvan) rapporte ses propos avec lui.

Sur l’origine de la vocation littéraire, il en dit : « La vocation littéraire suppose une attitude de rébellion en face de la réalité réelle et qui mène à cette décision extrême : lui substituer une réalité fictive. Je crois que c’est pour cela et en fonction de cela qu’on écrit, bien qu’on ne se pose pas le problème consciemment ».

Sur la raison d’être de la littérature : « C’est le besoin de corriger ou d’abolir la réalité réelle. Je crois qu’un homme satisfait qui s’accommode du monde réel ne commettrait pas cette espèce de démence qu’est de se mettre à créer d’autres réalités avec un matériel aussi éphémère que les mots… On écrit pour nier la réalité, pour la remplacer par une autre réalité et en même temps pour essayer d’éclairer ce qui ne va pas entre soi et le monde ».

On pense naturellement à Flaubert qu’il aime beaucoup : « C’est un des auteurs que j’admire le plus. J’aimerais pour ce qui est de mon univers créatif, être ce qu’il a été Flaubert, en tant qu’écrivain, pour le sien : je me sentirais heureux si j’arrivais une fois à écrire un livre qui soit à ma création ce que Madame Bovary et L’éducation sentimentale ont été à la sienne. Beaucoup de choses m’importent chez Flaubert. Ce que je pourrais appeler son « éthique professionnelle », son attitude face à sa vocation d’écrivain : il a organisé sa vie en fonction de sa vocation, il a su la mettre avant toute chose, il s’est servi de tout en faveur d’elle et ne l’a mise au service de rien : je crois que c’est grâce à cet égoïsme monstrueux que nous avons aujourd’hui tout le génie, toute la générosité de sa littérature. Je crois qu’avec lui on voit clairement qu’un écrivain est ce qu’il veut être, que le talent ou la médiocrité, ça se choisit. Il y a autre chose qui m’intéresse chez Flaubert : c’est qu’il a été le premier à théoriser un fait essentiel de la création narrative : le fait que pour exister, cette réalité fictive, purement verbale, doive être autonome. Le narrateur doit disparaître. Les techniques qu’il a créées sont les fondements du roman moderne. Ce n’est pas un hasard si un Joyce, un Proust et un Kafka furent de grands partisans de Flaubert ».

Sur Balzac : « J’admire énormément Balzac pour son aspect totalisateur et pour l’humanité de son génie. II est réconfortant de voir que ce génie qui aujourd’hui éblouit, il l’a construit à la manière d’une fourmi qui bâtit sa maison : avec persévérance, avec ténacité, avec patience, avec une folie systématique ».

Sur Sartre : « …Durant mes premières années d’université, j’ai lu son essai Qu’est-ce que la littérature ? et j’ai été très impressionné… Aujourd’hui, c’est un auteur qui a pour moi cessé d’être aussi décisif que par le passé. Je pense que seule une partie de sa pensée philosophique reste en vigueur ».

A. D.