Notre bulletin : un avenir incertain

Les Amis de Flaubert – Année 1977 – Bulletin n° 50 – Page 3

 

Notre bulletin : un avenir incertain

Éditorial

Nous voilà parvenus au cinquantième numéro de notre revue littéraire, ce qui est bien par rapport à d’autres dont la durée fut plus éphémère. Elle est petite par son tirage semestriel de cinq cents exemplaires, plus grande par la qualité des articles que nous avons publiés.

En cette circonstance, nous devons nous tourner vers nos créateurs, vers ceux qui, en 1948, ont eu l’audace et la perspicacité de remettre sur pied cette association des Amis de Flaubert, fort déclinante dans l’intervalle des deux guerres, et remise alors à flot, avec d’autres structures et le lancement de cette revue. Elle a paru longtemps sous un format plus réduit et une couverture verte. Jacques Toutain, René Senilh et Georges Leroy furent les premiers à oser tenter cette aventure. Tous trois sont disparus ; nous leur devons beaucoup Nous n’avons fait que continuer leur action et leur espérance.

Notre tirage est faible, nous voudrions qu’il soit double. Nous regrettons de ne compter qu’une cinquantaine de membres dans la région rouennaise alors qu’il serait logique d’être deux cents. Le patriotisme local ne joue pas en notre faveur. Nous ne pourrions exister si nous n’en avions pas près de 300 autres dans la France métropolitaine et dix-sept pays étrangers.

Nous continuerons de le préparer tant que nos forces nous le permettront car l’équipe dirigeante a dépassé le cap dangereux des sept décades. Après ? Il faudra bien que des plus jeunes se dévouent à leur tour. Malheureusement malgré nos recherches, nous n’en voyons pas apparaître à l’horizon pour assurer ce bénévolat. Nous savons qu’il en est de même dans d’autres sociétés littéraires pour qui l’avenir leur parait aussi incertain.

Le bulletin est primordial dans les sociétés de ce genre. Il est nécessaire pour créer un lien régulier entre les membres éloignés les uns des autres Nous nous heurtons constamment à son coût qui enfle malheureusement à chaque numéro. C’est là l’autre danger. Sans oublier que depuis le début de cette année, l’œil fiscal du service des impôts s’intéresse à nous, conséquence inattendue de la prétendue aide à la presse. De plus, nous ne recevons plus depuis l’année dernière une subvention de la Caisse Nationale des Arts et Lettres. Il paraît que nous n’entrons plus dans la catégorie intéressante des sociétés méritant une aide de l’Etat, bien que nous soyons les uns et les autres de parfaits contribuables. Faut-il y voir une recherche de concentration des petites sociétés ? Enfin, ne cherchons pas à comprendre certaines finalités.

Pour pallier à des retraits, il vous faudrait enregistrer chaque année une trentaine de nouveaux membres pour compenser les décès et les pertes. C’est avant tout à nos membres de les rechercher. Enfin, tant que nous le pourrons financièrement et vitalement, nous continuerons avec foi.

Il est certain qu’il existe actuellement une désaffection inquiétante des études littéraires assez normale du côté des étudiants. Les carrières de professorat de lettres et de langues étrangères sont devenues fort aléatoires avec la pléthore que l’on rencontre, pour de nombreuses années, dans chaque discipline. Aujourd’hui, les diplômes demandés ne suffisent plus. Il est donc prudent que les jeunes se tournent, malgré leur souhait, vers d’autres branches scientifiques moins surchargées, et susceptibles de leur trouver un emploi. Cette remarque finit par jouer sur l’intérêt de nos sociétés.

Les chercheurs sont moins nombreux dans les bibliothèques et les dépôts d’archives. Le goût de la recherche amateur, sauf pour les généalogies familiales, même chez les jeunes retraités souvent désœuvrés, s’avère en baisse sensible.

La société depuis trente ans a changé d’aspect et de forme. On imprime de plus en plus et on lit de moins en moins d’ouvrages de qualité. Sommes-nous devenus une société décadente, malgré la multiplication des diplômés de toutes sortes ? Des individus plus égoïstes certainement, malgré les sentiments collectivistes souvent avancés : on vous doit tout, mais on ne doit rien en échange. C’est peut-être là le plus grave défaut de notre société de consommation et de continuelle expansion. Nous avons peut-être dépassé l’âge d’or de la société industrielle tant vantée avec la récente crise du pétrole. L’agriculture et l’artisanat ne jouent plus leur rôle de contrepoids compensateur. La crise se prolongeant, les craintes de chômage jouent sur l’ensemble de nos sociétés, et l’on s’en écarte volontiers par économie ou nécessité.

Sachons nous montrer généreux de notre vivant. Le remède à toutes ces difficultés est en nous seuls. C’est ainsi que nous agissons, malgré les désillusions que nous pouvons rencontrer. C’est parce que nos aînés, comme nous-mêmes, avons eu au fil des années le sens de l’altruisme, de la continuité, de l’effort gratuit, que nous avons su faire vivre notre société, la maintenir et la développer. Et maintenant, pensons à notre soixantième numéro.

André DUBUC