Flaubert et Bernardin de Saint-Pierre

Les Amis de Flaubert – Année 1979 – Bulletin n° 54 – Page 46

Flaubert et Bernardin de Saint-Pierre

Nous avons reçu plusieurs fois des lettres nous demandant si Flaubert, entraîné par son imagination, n’avait pas inventé les melons divisés en tranches par la nature afin d’être mangé en famille qu’il attribua à Bernardin de Saint-Pierre. Nous avons toujours répondu de notre mieux mais, il y a quelque temps, la question avait été reposée dans une revue et cela est assez grave, car si l’on doute de ce passage, on peut douter de tout ce qui a été écrit dans le « sottisier ». Il nous semble donc que nous devons dire que l’erreur vient seulement de Guy de Maupassant quand il donne comme référence Études de la nature.

En effet, les lecteurs prennent alors l’œuvre de Bernardin de Saint-Pierre : Harmonies de la nature en 3 volumes et cherchent en vain. On y peut lire :

« Les gourdes pesantes du calebassier sont suspendues à quatre ou cinq pieds de terre le long de ses branches grosses et longues, qui s’abaissent à mesure que leur fruit devient plus lourd. Notre citrouille peut croître à la même hauteur, et en tombe sans se briser ; car elle est le fruit d une plante grimpante, qui a des vrilles pour s’attacher aux arbres. J’en ai vu plus d’une fois, d’une grosseur considérable, suspendues, comme des cloches, à des perches transversales. Je pense que la nature n’a fait les fruits d’un volume considérable que pour croître sur le bord des eaux, où ils tombent sans se briser, et où ils flottent d’eux-mêmes. La citrouille grimpante me paraît de ce nombre, elle est plus volumineuse dans les lieux frais et le long des ruisseaux… »

C’est tout, d’où à conclure à l’invention de Flaubert.

C’est donc à Études de la nature, nouvelle édition revue et corrigée par Bernardin de Saint-Pierre, en cinq volumes de l’imprimerie Crapelet, 1804 qu’il faut se référer, page 57 :

« Il y en a beaucoup qui sont taillés pour la bouche de l’homme, comme les cerises et les prunes ; d’autres pour sa main, comme les poires et les pommes ; d’autres beaucoup plus gros, comme les melons, sont divisés par côtes, et semblent destinés à être mangés en famille ; il y en a même aux Indes, comme le jacq, et chez nous la citrouille qu’on pourrait partager avec ses voisins ».

Flaubert n’a donc rien inventé et Bernardin de Saint-Pierre dans toute son œuvre a toujours pensé que la nature a créé tout pour l’homme.

L. ANDRIEU